Sujet sensible s’il en est – a fortiori dans les groupements d’associations[1]V. JA 2024, n° 693, p. 3, édito B. Clavagnier. –, le pouvoir de licencier questionne sur la répartition parfois complexe des compétences et engendre des conséquences potentiellement lourdes pour l’employeur. Détails.

 

Parmi les questions que pose une procédure de licenciement, celle du titulaire du pouvoir de licencier est primordiale car un licenciement notifié par une personne qui n’est pas titulaire de ce pouvoir est sans cause réelle et sérieuse[2]Soc. 17 mars 2015, n° 13-20.452, JA 2015, n° 522, p. 12, obs. D. Castel., ce qui ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts dont le montant dépend de son ancienneté[3]C. trav., art. L. 1235-3.. S’agissant plus spécifiquement des groupes d’associations, il est nécessaire d’identifier au préalable le titulaire du pouvoir de licencier dans les associations pour déterminer la personne ou l’organe susceptible de prononcer un licenciement.

 

Le titulaire du pouvoir de licencier dans une association

L’exclusion de la « personne étrangère »

Pour les structures qui emploient du personnel, le titulaire du pouvoir de licencier est « l’employeur »[4]C. trav., art. L. 1232-1 et s. (licenciement pour motif personnel) ; C. trav., art. L. 1233-1 et s. (licenciement pour motif économique).. Il en résulte que le licenciement ne peut être notifié par une personne étrangère à l’entreprise, c’est-à-dire qui n’en est pas salariée ni mandataire.

Une association ne peut donc pas donner mandat de licencier à une société tierce intervenant en qualité de prestataire, quand bien même la mission confiée à cette société serait d’assurer le pilotage de l’ensemble de ses activités, d’exercer le pouvoir hiérarchique sur l’ensemble du personnel, d’animer et de gérer le personnel ainsi que de prendre toute mesure et décision. Pour les juges, le représentant de cette société reste une personne étrangère à l’association et le licenciement prononcé par celui-ci est à ce seul titre abusif[5]Amiens, 28 mai 2020, n° 18/00735, confirmé par Soc. 16 mars 2022, n° 20-18.145..

À l’inverse, il a été jugé[6]Paris, 23 juin 2022, n° 19/12364. qu’une association pouvait donner mandat au représentant d’une société tierce pour signer et notifier le licenciement d’un salarié, aux conditions suivantes :

  • „„les statuts doivent autoriser le représentant de l’association à déléguer ses pouvoirs ;
  • la délégation de pouvoirs consentie doit inclure le pouvoir de licencier ;
  • „„l’assemblée générale doit valider préalablement la notification du licenciement par la société tierce.

À ce jour, en l’absence de position claire et définitive de la Cour de cassation sur cette question, il est recommandé de s’abstenir de déléguer le pouvoir de licencier à une personne étrangère à l’association.

 

Le strict respect des statuts

Ensuite, il reste à identifier au sein de l’association la personne ou l’organe qui pourra valablement notifier le licenciement.
Une lecture attentive des statuts constitue un préalable indispensable car un licenciement notifié par une autre personne que celle désignée par les statuts sera infondé. Il en va ainsi lorsque le licenciement est notifié par le président alors que les statuts réservent ce pouvoir au conseil d’administration[7]Soc. 4 avr. 2006, n° 04-47.677.. La confirmation ultérieure du licenciement par le conseil d’administration est inopérante puisque cette irrégularité ne peut pas être régularisée, même si le Conseil d’État l’a récemment admise dans un cas particulier et sous conditions[8]Ce 3 avr. 2024, n° 470440, JA 2024, n° 700, p. 12, obs. A. Kras..

Il est également important de vérifier si les statuts confèrent le pouvoir d’embaucher à un organe en particulier car, en application de la règle dite du « parallélisme des pouvoirs », le pouvoir de licencier incombe à l’organe ayant statutairement le pouvoir d’embauche[9]Soc. 9 sept. 2020, n° 18-18.810, JA 2021, n° 632, p. 38, étude m. Julien et J.-F. Paulin..

Enfin, en l’absence de règle statutaire relative à l’embauche ou au licenciement, la Cour de cassation a récemment réaffirmé la compétence de principe du président de l’association pour procéder au licenciement d’un salarié[10]Soc. 23 mars 2022, n° 20-16.781, JA 2022, n° 660, p. 13, obs. D. Cas- tel ; JA 2022, n° 669, p. 41, étude L. Morieux ; Soc. 14 juin 2023, n° 21- 24.162, JA 2024, n° 692, p. 40, étude J.-F. … Continue reading.

En tout état de cause, les éventuelles délégations de pouvoirs devront être précises, explicites et respecter les conditions prévues par les statuts en la matière. À défaut, le licenciement notifié en exécution d’une délégation de pouvoirs irrégulière sera infondé[11]Soc. 2 mars 2011, n° 08-45.422, JA 2011, n° 437, p. 11, obs. L. tur ; Soc. 6 janv. 2021, n° 19-16.113..

 

Le titulaire du pouvoir de licencier dans les groupes associatifs

Avant de pouvoir identifier le titulaire du pouvoir de licencier dans les groupes associatifs, une rapide analyse des solutions dégagées au sein des groupes de sociétés s’impose.

 

Les groupes de sociétés

Dans le cadre d’un groupe « classique » de sociétés, composé d’une société mère et d’une ou plusieurs filiales, la jurisprudence distingue deux cas de figure.

  • Délégation à un membre de la société mère. Ici, la personne qui notifie le licenciement n’est pas le représentant de la filiale ayant embauché le salarié, mais un membre de la société mère du groupe auquel appartient la filiale.

La Cour de cassation fait preuve de souplesse en la matière car elle considère que le salarié de la société mère intervenant dans la gestion du personnel des filiales n’est pas étranger à l’entreprise et peut donc valablement notifier le licenciement des salariés des filiales en question. Cette solution a été confirmée à plusieurs reprises pour le directeur financier[12]Soc. 30 juin 2015, n° 13-28.146., le directeur des ressources humaines[13]Soc. 23 sept. 2009, n° 07-44.200. ou encore le directeur général[14]Soc. 13 juin 2018, n) 16-23.701. de la société mère. Et ce même en l’absence de délégation de pouvoirs écrite.

  • Délégation à un membre d’une autre filiale (société « sœur »). Ici, la personne qui notifie le licenciement n’est ni le représentant de la filiale ayant embauché le salarié, ni un salarié de la société mère, mais un salarié d’une autre filiale du groupe.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a exclu ce mécanisme en considérant que la directrice des ressources humaines d’une autre filiale du groupe était une personne étrangère à l’entreprise[15]Soc. 20 oct. 2021, n° 20-11.485. car cette personne n’avait pas la charge des ressources humaines de la structure du salarié licencié et n’y exerçait aucun pouvoir de direction.

Toutefois, la Cour de cassation a ensuite admis que le directeur d’une filiale du groupe puisse notifier les licenciements des salariés d’une autre filiale du groupe[16]Soc. 28 juin 2023, n° 21-18.142., en retenant que le directeur avait été missionné par le groupe en qualité de consultant externe et avait reçu mandat pour agir au nom et pour le compte du représentant légal de la filiale qui employait le salarié licencié dans le cadre de la gestion opérationnelle administrative et financière de la société, en ce compris la gestion et le management des ressources humaines.

 

Les groupes d’associations

Au sein des groupes associatifs, la jurisprudence n’est pas établie, et les solutions dégagées pour les groupes de sociétés commerciales ne peuvent malheureusement pas être appliquées par analogie.
Pour preuve, une association avait contesté, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la règle selon laquelle le signataire de la lettre de licenciement dans les associations doit être désigné par les statuts. Pour cette association, cette règle porterait atteinte au principe d’égalité et à la liberté d’association en ce qu’elle n’est pas exigée pour les sociétés commerciales. La Cour de cassation a toutefois refusé de renvoyer cette QPC au Conseil constitutionnel[17]Soc. 6 nov. 2019, n° 19-15.632..

En outre, la notion de « groupe associatif » n’est pas définie légalement. L’existence d’un groupe a certes été retenue entre des structures associatives – malgré l’absence de liens capitalistiques – pour déterminer l’étendue de l’obligation de reclassement de l’employeur en cas de licenciement pour inaptitude ou pour motif économique[18]Soc. 20 nov. 2002, n° 00-42.962.. Pour autant, cette solution ne peut pas être trans- posée au titulaire du pouvoir de licencier car, depuis 2017[19]C. trav., art. L. 1226-2 et L. 1233-4., la notion de groupe pour les recherches de reclassement est définie par renvoi aux articles L. 233-1 et L. 233-3 du code de commerce, qui se fondent sur des notions étrangères aux associations (capital, actionnaires, associés, etc.). Il a également été jugé que les notions de société mère et de filiale n’étaient pas applicables en présence d’une association, interdisant au directeur général d’une société commerciale de licencier une salariée d’une association, les deux structures ayant pourtant la même dénomination[20]Lyon, 6 févr. 2019, n° 16/08731, validé par Soc. 27 janv. 2021, n° 19-14.875..

Dans ce contexte, la prudence est de mise et doit donc conduire les groupes associatifs, dans l’attente d’une décision expresse et définitive de la Cour de cassation ou d’une intervention législative, à s’abstenir de déléguer le pouvoir de licencier à des personnes extérieures à l’association ayant engagé le salarié licencié.

D’autres mécanismes sont donc à envisager, comme confier le pouvoir de licencier à un travailleur temporaire (en intérim) – ce qui a déjà été validé par la Cour de cassation[21]Soc. 2 mars 2011, n° 09-67.237. –, ainsi que constituer un groupement d’employeurs au sein duquel les délégations de pouvoirs interstructures sont autorisées[22]C. trav., art. L. 1253-15..

Un groupe d’associations pourrait-il confier le pouvoir de licencier à un salarié mis à disposition dans le cadre d’un prêt de main- d’œuvre à but non lucratif[23]C. trav., art. L. 8241-2., voire dans le cadre d’un mécénat de compétences[24]C. trav., art. L. 8241-3. ? À notre connaissance, la jurisprudence ne s’est pas prononcée sur ces deux derniers cas, qui ne sont donc pas sécurisés[25]V. JA 2020, n° 617, p. 17, dossier « mise à disposition – une affaire personnelle ». Il serait cependant surprenant que la Cour de cassation sanc- tionne ce mécanisme dans le cadre d’un prêt de main-d’œuvre à but non lucratif alors qu’elle l’a accepté pour le prêt de main-d’œuvre lucratif.

 

Conclusion

Les associations, et encore plus les groupes associatifs, restent donc exposés à un risque prud’homal élevé concernant le titulaire du pouvoir de licencier.
Si, malgré ces risques, une association faisant partie d’un groupe souhaite déléguer le pouvoir de licencier à un salarié d’une autre structure du groupe, les préconisations suivantes seront à prendre pour tenter de sécuriser l’opération :

  • „„les statuts de l’association devront autoriser le titulaire du pouvoir de licencier à déléguer ce pouvoir à toute personne du groupe auquel l’association appartient ;
  • „„la personne se voyant conférer le pouvoir de licencier devra avoir reçu mandat (délégation écrite) pour agir au nom et pour le compte du ou des représentants de l’association employant le salarié licencié ;
  • „„cette délégation devra expressément inclure la responsabilité des ressources humaines de la structure qui emploie le salarié licencié et inclure le pouvoir d’embaucher et de licencier ;
  • „„l’assemblée générale devra valider la délégation ainsi que le licenciement à venir. „

 

 

 

Mathieu Pastene, avocat en droit social et en droit de l’ESS

 

 

En savoir plus : 

Juris Associations 706 – 15 octobre 2024

 

References

References
1 V. JA 2024, n° 693, p. 3, édito B. Clavagnier.
2 Soc. 17 mars 2015, n° 13-20.452, JA 2015, n° 522, p. 12, obs. D. Castel.
3 C. trav., art. L. 1235-3.
4 C. trav., art. L. 1232-1 et s. (licenciement pour motif personnel) ; C. trav., art. L. 1233-1 et s. (licenciement pour motif économique).
5 Amiens, 28 mai 2020, n° 18/00735, confirmé par Soc. 16 mars 2022, n° 20-18.145.
6 Paris, 23 juin 2022, n° 19/12364.
7 Soc. 4 avr. 2006, n° 04-47.677.
8 Ce 3 avr. 2024, n° 470440, JA 2024, n° 700, p. 12, obs. A. Kras.
9 Soc. 9 sept. 2020, n° 18-18.810, JA 2021, n° 632, p. 38, étude m. Julien et J.-F. Paulin.
10 Soc. 23 mars 2022, n° 20-16.781, JA 2022, n° 660, p. 13, obs. D. Cas- tel ; JA 2022, n° 669, p. 41, étude L. Morieux ; Soc. 14 juin 2023, n° 21- 24.162, JA 2024, n° 692, p. 40, étude J.-F. Paulin et m. Julien ; JA 2024, n° 693, p. 32, étude S. Damarey.
11 Soc. 2 mars 2011, n° 08-45.422, JA 2011, n° 437, p. 11, obs. L. tur ; Soc. 6 janv. 2021, n° 19-16.113.
12 Soc. 30 juin 2015, n° 13-28.146.
13 Soc. 23 sept. 2009, n° 07-44.200.
14 Soc. 13 juin 2018, n) 16-23.701.
15 Soc. 20 oct. 2021, n° 20-11.485.
16 Soc. 28 juin 2023, n° 21-18.142.
17 Soc. 6 nov. 2019, n° 19-15.632.
18 Soc. 20 nov. 2002, n° 00-42.962.
19 C. trav., art. L. 1226-2 et L. 1233-4.
20 Lyon, 6 févr. 2019, n° 16/08731, validé par Soc. 27 janv. 2021, n° 19-14.875.
21 Soc. 2 mars 2011, n° 09-67.237.
22 C. trav., art. L. 1253-15.
23 C. trav., art. L. 8241-2.
24 C. trav., art. L. 8241-3.
25 V. JA 2020, n° 617, p. 17, dossier « mise à disposition – une affaire personnelle »





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