Pierre GRAPIN, conseiller scientifique du BIPE interroge Maître Colas AMBLARD dans le cadre de la note d’analyse mensuelle d’AssetFi Management Services (ci-joint pour juillet 2010) à propos de l’évolution des fonds de dotation en France.
NOTE D’ANALYSE MENSUELLE d’AssetFi Management Services (juillet 2010)
INTERVIEW
Quatre questions à Colas AMBLARD, docteur en droit, avocat, Président de la Commission Droit des associations du Barreau de Lyon
Quelles sont les raisons qui ont conduit à la création du fonds de dotation en France ?
Le fonds de dotation a été créé par la loi du 4 août 2008. Dans son exposé des motifs, lors des débats parlementaires, la ministre de l’Économie, Christine LAGARDE, a indiqué qu’un déficit se faisait cruellement ressentir en matière de mécénat. Plusieurs facteurs expliquent cette situation.
En premier lieu, le faible volume de versements liés au mécénat. Je n’ai plus les chiffres exactement en tête, mais malgré un dispositif qui date d’une loi de 1987 et qui a été renouvelé au 1er août 2003 avec la loi Aillagon, le mécénat n’a pas connu le développement que l’on espérait. Force est de constater que la France était très en retard dans ce domaine, notamment par rapport aux pays anglo-saxons qui ont une très ancienne tradition de générosité privée.
Autre motif de la réforme : le constat d’un manque en termes de structures adaptées. Il existe très peu de fondations, par exemple. Cela ne veut pas dire que la France n’était pas dotée de structures dédiées au mécénat, mais il vrai qu’on naviguait entre deux eaux : d’un côté, on avait des associations, certes faciles à créer, mais qui devaient se voir reconnaître la reconnaissance d’intérêt général – avec cet espèce d’entonnoir et de couperet organisé par l’administration fiscale – et de l’autre côté, on avait toute la gamme des fondations, fondations d’entreprise, fondations reconnues d’utilité publique, je mettrai peut-être de côté les fondations abritées, qui sont des entités relativement complexes à mettre en œuvre.
Le gouvernement a donc peut-être voulu desserrer « l’étau » pour permettre un mécénat de proximité. Le but est de donner une réponse à des personnes, à des entreprises ou à des institutions, qui n’ont pas forcément les moyens d’investir 150 000 euros pour une fondation d’entreprise ou près de 800 000 à 1 million d’euros pour une fondation reconnue d’utilité publique.
Il s’agissait dans un deuxième temps d’ouvrir les portes du mécénat, notamment à des entités économiques nouvelles, à des investisseurs étrangers, en simplifiant les démarches administratives. On a ainsi voulu permettre à des associations de s’investir par le biais d’une autre structure, en passant par un fonds de dotation dans le domaine de l’intérêt général. On a voulu également permettre à des particuliers de s’investir dans ce domaine à partir d’un dispositif simple à mettre en œuvre et disposant d’un statut avantageux, notamment sur le plan fiscal.
Le titre de votre dernier livre est « Fonds de dotation : une révolution dans le monde des institutions sans but lucratif ». Quelles sont selon vous les caractéristiques importantes à retenir dans ce dispositif ?
Je tiens beaucoup à ce titre (1), même si je ne vous cache pas qu’il y avait un point d’interrogation, en dessous du sous-titre, qui n’a pas été repris en dernière minute…
Néanmoins, je pense que c’est une révolution pour plusieurs raisons. C’est un dispositif qui manquait cruellement, notamment par la simplicité de mise en œuvre qu’il offre et les nombreux avantages qu’il procure : des institutions de ce type existaient déjà dans des pays anglo-saxons, mais comme l’a dit le gouvernement, il n’a pas simplement emprunté à la forme anglo-saxonne, il a également « fait son marché » dans les nombreux avantages cumulés dans les autres institutions sans but lucratif existantes en France et cherché à innover par ce biais là.
Le fonds de dotation se situe dans le prolongement d’un certain nombre d’actions que vont pouvoir mettre en œuvre de nombreux opérateurs. Ces opérateurs peuvent être des particuliers, des associations, des entreprises commerciales, des collectivités territoriales, même si l’on sait qu’aucun financement public ne peut bénéficier à un fonds de dotation, sauf à titre exceptionnel. C’est certainement là où réside la révolution annoncée. Le fonds de dotation peut être créé partout le monde et on a même des exemples de fonds de dotation qui ont créé des fonds de dotation… Le fonds de dotation doit répondre à un contexte particulier ; il offre ainsi beaucoup de possibilités et devrait favoriser de nombreuses expériences et innovations.
Enfin, ce régime présente beaucoup d’avantages sur le plan juridique et fiscal. Quelques caractéristiques très importantes sont à signaler : l’absence de contrôle administratif a priori (même si des contrôles a postériori existent de manière importante), la liberté statutaire, c’est-à-dire possibilité de s’organiser comme l’on veut en interne, un coût de constitution très faible, la dimension unipersonnelle de cette structure qui supprime toutes les problématiques de gouvernance (le fondateur a une maîtrise complète de la structure, notamment sur les investissements qu’il consent), l’exonération des droits de mutation sur les dons et legs consentis, le droit au régime de faveur du mécénat ouvrant droit à des réductions d’impôt sur les sociétés ou sur le revenu…
Que pensez-vous du régime fiscal applicable au fonds de dotation ?
Dans le domaine de la fiscalité, il n’y a pas d’autre entité, d’autre institution sans but lucratif, qui cumule autant d’avantages. Rappelons tout d’abord, que le régime fiscal applicable aux associations est déjà dérogatoire. Le fonds de dotation relève également de ce régime. Sur le plan de ses activités, il relève d’une instruction fiscale du 18 décembre 2006 qui est exactement la même que celle applicable aux associations, aux fondations et aux congrégations religieuses.
En outre, en ce qui concerne les versements dont il bénéficie et, comme il vient d’être dit, les dons et les legs que le fonds de dotation est habilité à percevoir, sont exonérés de droit de mutation à titre gratuit.
Pour les mécènes, les versements ouvrent droit à un avantage fiscal qui est celui lié au mécénat. Si le mécène est un particulier, la réduction d’impôt est de 66% dans la limite des 20% des revenus annuels ; elle est portée à 75% si l’on est dans le cadre d’actions de bienfaisance. Pour l’entreprise, la réduction d’impôt est de 60%, dans la limite de 0,5% du chiffre d’affaires.
L’avantage fiscal par rapport aux autres personnes morales sans but lucratif (excepté les fondations reconnues d’utilité publique), c’est qu’à partir du moment où le fonds de dotation opte pour une dotation non consomptible, (c’est-à-dire une dotation qui est bloquée et qui génère donc des revenus de capitalisation pour financer des activités ou des organismes d’intérêt général), alors il n’est assujetti à aucun impôt, y compris au titre de ses revenus patrimoniaux.
Cette disposition est très importante, parce que cette nouvelle entité est une espèce de « personne morale refuge » dans laquelle on va pouvoir faire entrer un certain nombre de biens immobiliers.
Il faut savoir qu’aujourd’hui les revenus patrimoniaux des associations sont assujettis à l’impôt, même pour celles ne relevant pas de l’impôt sur les sociétés et la TVA. Le fonds de dotation est donc la seule entité à ne pas être imposée sur les loyers perçus au titre de ses revenus patrimoniaux, dès lors qu’elle remplit l’option de la dotation non consomptible.
Comment évaluez-vous le nouveau dispositif au terme de la première année de fonctionnement ?
Il faut être prudent dans l’évaluation, car on ne dispose effectivement que d’une année de recul. On ne connaît donc pas encore le visage définitif que prendra, dans le futur, cette nouvelle personne morale.
Je formulerai, néanmoins, un premier constat et une interrogation. Le constat est à l’évidence celui d’un succès : le nouveau dispositif législatif fonctionne bien, si l’on en juge par le rythme important de création de nouvelles structures. Le gouvernement a opté pour un régime qui incontestablement répond à un besoin. De là à dire que les Pouvoirs Publics s’attendaient à un tel succès, on ne peut l’affirmer. Cela dit, si le rythme des créations est très important, la qualité des créateurs reste très hétérogène : près de 50% des fondateurs sont des particuliers, 37% des associations. Les entreprises, sans doute moins sensibilisées, ont peu utilisé le dispositif en 2009, de même que les collectivités territoriales.
Je serai peut être plus mesuré quant au devenir de ces structures. Il faut rappeler que le fonds de dotation ne vit qu’à partir du moment où il réalise des activités d’intérêt général, selon la définition légale qui est la sienne. Or, la notion d’intérêt général en France est encadrée par un certain nombre de dispositions du Code général des impôts (art. 200 et 238 bis), notamment : et à la lecture de certains objets statutaires, j’ai peur que certains fonds de dotation ne se voient pas reconnaître a posteriori la qualité d’organismes d’intérêt général.
On aura sur ce point rapidement une première réponse. La loi prévoit l’obligation de transmettre un rapport d’activité dans les six mois après la clôture du premier exercice. Le premier exercice étant celui de l’année 2009, les rapports sont en train d’être transmis aux préfets. Ces rapports seront-ils transmis ensuite à l’administration fiscale ? Si un fonds de dotation ne se voit pas reconnaître la reconnaissance d’intérêt général, qu’adviendra t il de la structure ?
Les analyses statistiques que nous avons faites au niveau de notre Cabinet NPS CONSULTING avocats révèlent un certain nombre de situations qui peuvent poser problème de ce point de vue là. Elles révèlent par ailleurs les conditions d’une concurrence possible avec les autres organismes dédiés à la satisfaction de besoins d’intérêt général. Ce sera d’ailleurs ma conclusion. Le gouvernement a souhaité que le fonds de dotation n’entre pas en concurrence avec les entités sans but lucratif d’ores et déjà existantes. Ainsi, les fonds de dotation devaient inscrire leur action dans une « temporalité différente » de celle des fondations. La pratique actuelle vient en partie contredire les propos de la ministre, puisque la grande majorité des fonds créés sont à durée indéterminée, ce qui montre que ces organismes n’entendent pas forcément inscrire leur action dans le court terme. Il y a donc là le premier signe d’une concurrence naissante avec les autres modes d’organisation existants.
Interview réalisé par Pierre Grapin, Conseiller scientifique BIPE, le 07 juillet 2010
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C. Amblard, Fonds de dotation : une révolution dans le monde des institutions sans but lucratif, Ed. Wolters Kluwer Lamy Associations, Collection Lamy Axe droit, monographie, 1ère éd., 264 p. : Commandez cet ouvrage
C. Amblard, Le fonds de dotation : une nouvelle personne morale dans le monde des institutions sans but lucratif, Revue Lamy Droit civil, juill. août 2010, n°73, pages 50 à 54.
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