Le 18 février dernier, un rapport du Sénat remis au Gouvernement titrait « la maladie de la norme ». Ce rapport de la Commission de Consultation et d’Evaluation des Normes dénonce le coût, voire l’ineptie de mesures imposées par la Loi aux collectivités territoriales, y compris dans les champs d’action pour lesquels la collectivité est juridiquement reconnue « autonome » (1) . On assiste en effet, dans toutes les formes d’organisation, à une invasion des normes et des procédures. Après avoir été une pratique managériale courante dans les grandes structures industrielles, la tendance qui vise à introduire, dans toute activité, des normes et des procédures fait aujourd’hui écho auprès des dirigeants de collectivité territoriale ou d’association. Celle – ci consiste à utiliser des procédures pour respecter des normes préétablies et avoir, in fine, une meilleure maîtrise de l’activité. Or, la vigilance s’impose, car si l’utilisation de normes et de procédures est toujours chronophage, elle s’avère même, dans certains cas, contre productive.

(1) Les associations sportives sont concernées au premier chef : elles subissent l’excès de « normalisation » des fédérations sportives, particulièrement mises en cause dans le rapport.

Les effets escomptés de la « mise en procédures » ou « procédurisation » de l’activité

La « procédurisation » est une pratique managériale héritée de la « division scientifique du travail », forme d’organisation du travail selon laquelle une catégorie de salariés pense le travail et l’articule en procédures afin qu’une autre catégorie les exécute. Si cette pratique a été particulièrement utile au développement des grandes entreprises industrielles, elle reste utilisée par toute organisation qui vise l’efficience (1) par l’uniformisation des modes opératoires. La diffusion de procédures permet en outre, en réduisant les comportements « hors normes », d’apporter des garanties quant à la qualité des produits ou des services offerts et par conséquent, de limiter le risque juridique, financier ou humain. Certains secteurs d’activité sont donc plus exposés à la « maladie de la norme et de la procédure », comme ceux où la concurrence fait rage ou ceux pour lesquels le risque juridique est important. Par exemple, nombre d’associations de service à la personne utilisent un référentiel normatif de l’intervention à domicile afin de limiter le risque du « mauvais geste médical » sur la personne aidée.

Les limites de la « procédurisation »

La mise en place de normes et de procédures peut, dans certains cas, produire des résultats aux antipodes de ceux escomptés, comme le montrent les deux expériences ci-après.

1. Les agences « Pôle Emploi », en se réformant, sont devenues de hauts lieux de la procédure. Le conseiller Pôle Emploi s’appuie en effet sur une « catégorisation » des besoins des chômeurs, à laquelle correspondent des normes et des procédures. En parallèle, les conseillers sont eux-mêmes évalués à l’aide de normes représentées par des indicateurs, tels que le taux d’entrée dans les mesures ou le taux de contractualisation. Or, la mise en place de ces normes a rapidement eu des conséquences néfastes sur le comportement de ces professionnels de l’intervention sociale. En effet, au-delà du malaise lié à l’évaluation de leur travail et au trouble de « l’évaluateur évalué » (2), elle a provoqué des comportements contre-productifs. Le meilleur exemple est sans doute celui du « taux de contractualisation » : dans le seul but d’améliorer cet indicateur, des conseillers ont indûment modifié leurs modes opératoires en faisant signer le contrat dès l’instruction de la demande.

2. Le « référentiel des activités du formateur » mis en place dans un institut de formation de l’Ain illustre également les limites de la « normalisation » et de la « procédurisation ». Un descriptif des activités « normales » du formateur, chacune évaluée en volume horaire, a été établi par la direction générale afin que chaque formateur, en renseignant au jour le jour, dans un agenda électronique partagé, son temps de travail passé sur chaque activité, puisse se positionner par rapport à la norme. Or, ces derniers récusent ce référentiel, prétextant qu’il ne permet pas de refléter la réalité de leur travail : ils refusent de le renseigner ou y portent des informations erronées. La mise en place du référentiel s’est donc soldée par un échec : il n’a pas permis d’orienter le travail des formateurs ni de le suivre.

Enfin, il faut noter que la mise en place de normes ou de procédures entrave la capacité d’innovation des acteurs. Or, l’innovation a un coût. Rien d’étonnant donc à ce que, dans notre contexte actuel de réduction de la dépense publique, la maladie de la norme se transforme en pandémie.

Elodie Lestrat, consultante

En savoir plus :

Rapport Sénat, 18 février 2011 : voir en ligne






Notes:

[1] L’efficience se caractérise par l’atteinte du résultat maximum en utilisant le minimum de ressources, dont le temps.

[2] L’évaluation représente, chez le professionnel de l’intervention sociale, la phase pendant laquelle il recueille l’information nécessaire à l’élaboration d’un diagnostic de la situation de la personne « ayant besoin d’aide ». Or, les conseillers se retrouvent eux-mêmes soumis à « évaluation », provoquant chez certains un malaise dès lors qu’ils sont, en tant que personnes évaluées, transposés dans la situation de celui « ayant besoin d’aide ».

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