Assurément, l’un des faits associatifs les plus marquants issu des principaux résultats de la troisième édition de l’enquête Paysage associatif, réside dans le « boom » des recettes d’activités associatives, puisque celles-ci sont passées de 49% à 66% en part de budget cumulé du secteur associatif entre 2005 et 2017. Les raisons de ce phénomène sont connues : diminution des subventions, augmentation du recours à la commande publique et des prestations réalisées au profit des membres et autres usagers. Reste à apprécier les conséquences de cette évolution dans la pratique associative pour les associations et leurs adhérents.
L’émergence du concept d’entreprise associative
L’article 1er de la loi 1901 définit l’association comme une « convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices». Or, en qualifiant les associations d’ «organismes à but non lucratif», la doctrine majoritaire a longtemps été partisane ou prisonnière d’une conception strictement philanthropique du secteur associatif contribuant ainsi à propager, au sein du monde associatif lui-même, l’idée d’une incompatibilité de principe entre les associations et le monde des affaires. Aussi, en entretenant une confusion entre la capacité juridique dont dispose ce type d’organisme et l’interdiction faite à ses membres, une telle approche du fait associatif s’est longtemps fondée sur une interprétation erronée de l’article 1er de la loi 1901. En effet, l’exégèse de cette disposition légale démontre que la contrainte de propriété impartageable des bénéfices s’analyse au niveau des membres, ce qui induit a priori que le groupement associatif est, quant à lui, en droit de réaliser des bénéfices ou excédents[1].
Par conséquent, rien ne s’oppose désormais à ce que l’association à caractère économique soit reconnue comme une véritable entreprise, ce qui a d’ailleurs été confirmé à deux reprises par le Conseil constitutionnel en 2006 : « doit être regardée comme une entreprise » une association « qui a pour activité principale la prestation de services »[2]. Une telle approche est conforme à la jurisprudence européenne[3] pour qui la notion d’entreprise « comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette activité et de son mode de fonctionnement ».
Ab initio, l’entreprise associative ne peut être assimilée à un commerçant
Jusqu’alors, la Cour de cassation a toujours affirmé qu’une association exerçant des activités commerciales même à titre principal ne saurait être assimilée à un commerçant[4]. En effet, en raison du principe de propriété impartageable des bénéfices imposé par la loi 1901, une association ne peut avoir un objet statutaire commercial au sens de l’article L. 121-1 du Code de commerce et exercer ainsi la profession de commerçant. En d’autres termes, la juridiction suprême confirme que si l’association peut réaliser des actes de commerce à titre accessoire[5], voire habituel[6], ceux-ci ne peuvent primer sur son objet statutaire au point d’entraîner une assimilation légale du statut de cette dernière avec celui de commerçant[7]. C’est précisément la solution retenue par la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg le 27 août 2014, décision de première instance confirmée par la Cour d’appel de Grenoble du 13 juin 2017[8], jugeant qu’une association organisatrice de plusieurs représentations artistiques par an, qui détenait une licence d’entrepreneur du spectacle et dont les ressources provenaient principalement de la billetterie et de l’achat/revente de spectacles, ne pouvait avoir la qualité de commerçant, notamment en raison du fait « qu’elle ne distribue pas de bénéfices, les excédents éventuels étant réaffectés dans la réalisation de l’objet social ». En confirmant la distinction fondamentale entre activité et profession, les juridictions refusent toute idée d’une assimilation de principe entre association à caractère économique et société commerciale, confirmant au passage l’hétérogénéité des modes d’entreprendre en France.
La confrontation de la notion d’activité économique avec celle d’activité commerciale (ou lucrative)[9] permet, également, d’opérer une distinction entre, d’une part, les activités associatives et, d’autre part, le but de l’association. Cette distinction entre activités et but du groupement démontre l’existence d’entreprises [en l’espèce, associatives] capables de réaliser des opérations à titre onéreux, tout en conservant un objectif qui, lui, demeure non lucratif. Or, aujourd’hui, c’est précisément cette spécificité qui fonde l’appartenance des associations à caractère économique au secteur de l’Économie sociale et solidaire[10]. En effet, pour bon nombre de ces « entreprises associatives »[11], la réalisation d’activités économiques, voire commerciales, ne constitue qu’un moyen au service d’un but non lucratif, comme l’a d’ailleurs confirmé le Conseil constitutionnel : « […] le principe, constitutionnellement garanti, de liberté d’association n’interdit pas aux associations de se procurer les ressources nécessaires à la réalisation de leur but, qui ne peut être le partage de bénéfices entre leurs membres, par l’exercice d’activités lucratives […] »[12].
Une association « à but non lucratif » peut exercer des activités économiques ou commerciales
En droit fiscal, bien que le raisonnement soit autonome, la distinction possible entre activité économique et commerciale/lucrative révélée depuis l’instruction fiscale du 15 septembre 1998[13], conforte un peu plus encore ce rapport original que les associations entretiennent avec le monde des affaires. En effet, toute association peut exercer des activités commerciales lucratives pour compléter ses ressources et boucler ainsi son budget. Néanmoins, ces activités doivent demeurer accessoires pour pouvoir bénéficier de la franchise commerciale dont le seuil est limité, pour 2019, à 63.059 euros par année civile[14]. Et pour éviter tout risque de globalisation fiscale, ces groupements, à l’instar des fondations et fonds de dotation, doivent procéder par voie de sectorisation[15], voire de filialisation[16], en cas de dépassement de ce seuil avant que les activités lucratives ne deviennent prépondérantes.
En parallèle, les associations peuvent s’adonner sans réserve – c’est-à-dire quel que soit le montant du chiffre d’affaires réalisé – à des activités économiques jugées hors champ concurrentiel, en particulier lorsque ces dernières présentent une utilité sociale[17]. Tel est le cas dès lors que les critères principaux du «produit» proposé par l’organisme, du «public» bénéficiaire du prix pratiqué – qui devra être « nettement inférieur à celui du marché » – et de l’« affectation des excédents» sont remplis[18]. S’agissant de ce dernier critère, la doctrine fiscale a d’ailleurs réaffirmé le principe selon lequel «il est légitime qu’un organisme non lucratif dégage, dans le cadre de son activité, des excédents, reflets d’une gestion saine et prudente»[19]. Dans cette hypothèse, le secteur associatif pourra non seulement réaliser un chiffre d’affaires et ainsi dégager des excédent sans aucune limite mais également conserver son statut d’organisme à but non lucratif, c’est-à-dire de non assujetti aux impôts commerciaux (impôt sur les sociétés, taxe sur la valeur ajoutée, et contribution économique territoriale).
En définitive, le champ économique peut parfaitement constituer un « terrain de jeu » pour les associations, sans craindre une dénaturation de leur mode de fonctionnement comme de leur statut fiscal originel. Seul le recours systématique à la participation financière des membres – dans des conditions identiques au secteur concurrentiel – et une généralisation de la commande publique (sans intégration de clauses sociales[20]) – au détriment de la subvention – risquent d’entraîner pour ces nouveaux opérateurs économiques une certaine forme de banalisation de leur action.
Colas Amblard – Docteur en droit
Avocat associé Cabinet NPS consulting
Directeur des publications ISBL MAGAZINE
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Notes:
[1]Dossier « Excédents et non-lucrativité – Le bénéfice du doute », JA n° 580/2018, p. 17.
[2]Cons. const., décis. n° 2006-20/21 du 20 juill. 2006 ; Cons. const., décis. n° 2006/22 du 26 oct. 2006.
[3]CJCE 23 avr. 1991, aff. C-41/90 ; CJCE 16 nov. 1995, aff. C-244/94 ; TPICE 12 déc. 2006, aff. T-155/04.
[4]Com. 19 janv. 1988, no 85-18.443 ; v. égal. Com. 1er mars 1994, n°92-13.529.
[5]Com. 13 mai 1970, n° 69-11.268.
[6]Com. 17 mars 1981, n° 79-14.117.
[7]R. Brichet, « Une association peut-elle être une personne morale de droit commerçant ? », JCP E 1988, nos 43-44, p. 336.
[8]CA Grenoble, 13 juin 2017, n°14/05081, JA n°568/2017, p. 10.
[9]C. Amblard, Activités économiques et commerciales des associations, Lamy associations, Etude 246.
[10]L. n°2014-856 du 31 juill. 2014 (JO du 1eraoût), art. 1.
[11]S. Castro et N. Alix, L’entreprise associative : aspects juridiques de l’intervention économique des associations, Ed. Economica, 1990.
[12]Cons. const., décis. n° 84-176 DC du 25 juill. 1984.
[13]Instr. du 15 sept. 1998, BOI 4 H-5-98
[14]BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50- 20-20 du 4 avr. 2018.
[15]BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50- 20-10 du 1er avr. 2015, § 120 à 550.
[16]Ibid., § 560 à 770.
[17]BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50- 10-20 du 7 juin 2017, § 590 à 620.
[18]Ibid., § 630.
[19]Ibid.
[20]L. n°2014-856 préc., art. 13.