Lors de la semaine anniversaire du 21 juin au 1er juillet 2001, nombreux ont été les colloques, sur les droits de l’homme, la liberté d’association, ainsi que sur les relations entre les associations et les pouvoirs publics. Organisés en concertation avec les institutions républicaines qui les accueillaient (Conseil économique et social, Assemblée nationale, Sénat, Conseil constitutionnel), cette fête anniversaire offrait également l’occasion à deux mille représentants associatifs d’assister à l’hôtel Matignon à la signature de la Charte d’engagements réciproques entre l’Etat et les associations.
I/ Point culminant de la célébration : la charte d’engagements réciproques
Le 1er juillet 2001, un siècle après le vote de la loi de 1901 qui a instauré la liberté d’association, l’Etat et la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA) décidaient par la signature de cette Charte de reconnaître le rôle fondamental de la vie associative dans notre pays et ainsi d’intensifier leur coopération mutuelle. A cette occasion, l’Etat rappelait qu’il restait le « garant de l’intérêt général » et le (seul) « responsable de la conduite des politiques publiques », en fondant sa légitimité sur la démocratie représentative. Les associations étaient admises à apporter en toute indépendance leurs contributions à l’intérêt général par leur caractère reconnu d’utilité civique et sociale. Ce texte fondamental porte la signature de quatorze ministres, dont le Premier, et celle de quatorze responsables de coordinations associatives. L’évaluation de la mise en œuvre de la Charte, confiée au CNVA, tous les 3 ans, donne lieu à un compte-rendu public.
Pour l’essentiel, ces engagements réciproques Etat – Associations en 2001 avaient pour objectifs affichés :
- « d’approfondir la vie démocratique et le dialogue civique et social en vue d’une participation accrue, libre et active des femmes et des hommes vivant dans notre pays, tant aux projets conçus par les associations qu’aux politiques publiques conduites par l’Etat ;
- de concourir dans un but autre que le partage des bénéfices à la création de richesses, qu’elles soient sociales, culturelles ou économiques, afin que l’économie de marché ne dégénère pas en une société de marché mais puisse, au contraire, permettre l’affirmation d’une plus grande solidarité. »
Pour l’Etat, les engagements pris consistaient principalement à :
- promouvoir et faciliter l’engagement bénévole civique et social de tous par des mesures destinés à favoriser, notamment, le développement, à côté du temps professionnel et familial, d’un temps civique et social, la formation des bénévoles et la sécurité juridique des dirigeants associatifs ;
- favoriser la substitution progressive de structures juridiques appropriées aux associations para-administratives ;
- organiser dans la durée les financements des associations concourant à l’intérêt général afin de leur permettre de conduire au mieux leur projet associatif ; contribuer à la prise en charge des frais s’y rapportant ; respecter les dates de versement des subventions ; rendre plus lisibles et plus transparents les financements publics et simplifier les procédures de subvention (…) ;
- ou encore, consulter autant qu’il est possible et souhaitable, les associations sur les projets de textes ou les mesures ou les décisions publiques qui les concernent, au plan national et déconcentré…
Pour les associations, il s’agissait principalement de :
- respecter les règles de fonctionnement démocratique et la gestion désintéressée conformes à l’esprit de la loi de 1901 ;
- définir et conduire les projets à partir de l’expression des adhérents ou des attentes des bénéficiaires en privilégiant la qualité des « services relationnels » plus que la finalité économique ;
- mettre en œuvre une éthique du financement des activités associatives, notamment à travers un meilleur usage des financements publics, une diversification des ressources associatives et, enfin, une recherche constante de transparence financière, tant vis-à-vis des adhérents et des donateurs, que des pouvoirs publics.
« Nescit vox missa reverti » (1).
II/ Les « grandes » avancées enregistrées depuis 2001 :
- concernant le Conseil de développement de la Vie associative (CDVA) : le CDVA a pour mission de proposer au ministre chargé de la vie associative les priorités dans l’attribution aux associations de subventions destinés à titre principal au financement d’actions de formations. Depuis 2010, le processus de déconcentration régionale des décisions du CDVA est effectif. Le financement d’actions de formations à caractère national ou interrégional demeure géré par le ministère chargé de la vie associative.
- concernant le fonds de développement de la vie associative (FDVA) : le FDVA est destiné à financer à titre principal, des actions de formation des bénévoles actifs et, à titre subsidiaire, des actions expérimentales de développement de la vie associative. La déconcentration de la gestion administrative et financière de cette mission s’accompagne de la création de commission consultative dans chaque région, chargée d’émettre des avis sur les dossiers de demande de subvention soumis à la décision du Préfet de région. Cette commission réunit des représentants des associations régionales, des collectivités territoriales susceptibles de participer au financement de ces actions et des représentants des services de l’Etat.
III/ Le secteur associatif continue de se développer à un rythme soutenu…
Depuis dix ans, force est de constater que le secteur associatif a continué à se développer à un rythme soutenu (2). Il créé de plus en plus de richesses et d’embauches (3). Ses ressources se sont considérablement diversifiées, au point que la part des financements privés dans les budgets des associations est désormais sensiblement identique à celle des financements publics, ce qui rend le secteur associatif de moins de moins en moins dépendant de l’Etat ou des collectivités territoriales. Enfin, et sans être devenu totalement vertueux, l’engagement associatif a pris conscience de la nécessité de s’orienter vers plus de transparence, aidé en cela par le formidable travail réalisé par le Comité de la charte (4) mais également, par la multiplication des dispositifs de contrôle.
1/ … malgré une multiplication des dispositifs de contrôle…
Depuis lors, les dispositifs de contrôle sur l’octroi et l’affectation des subventions n’ont cessé de se multiplier (5). Sans compter les circulaires régissant les relations entre l’Etat et les associations (6) et les contraintes « générales » liées à la LOLF (7) (en ce qui concerne l’évaluation des politiques publiques) et « spécifiques » à certains secteurs d’activités tels que, par exemple, le secteur médico-social (8)…
Aujourd’hui, l’empilement de ces dispositifs législatifs et réglementaires fait, non seulement peser sur les associations une lourdeur administrative au détriment du temps réellement consacré au projet associatif, mais risque de décourager l’engagement bénévole de bon nombre d
e dirigeants associatifs. A terme, certains y voient même une menace « indirecte » pesant sur la liberté d’association…
2/ … et des « postures étatiques » encore trop souvent incantatoires
Dans son rapport public 2000, une étude du Conseil d’Etat intitulée « Les associations et la loi de 1901, cent ans après » faisait déjà état des ces difficultés rencontrées par les associations et des attentes des personnes impliquées dans la vie associative. D’entrée, le Conseil d’Etat reconnaît que « comme le souhaite la totalité du monde associatif, la loi 1901 doit demeurer inchangée ». Cependant, il rappelle la nécessité d’apporter des aménagements à l’environnement juridique des associations en vue e déboucher sur un fonctionnement à la fois plus efficace et plus démocratique. Pour ce qui concerne la relation puissance publique – monde associatif, il rappelait qu’ « un partenariat bien compris n’est pas seulement un état d’esprit : encore faut-il que cet état d’esprit modifie les comportements et s’exprime dans des procédures précises qui délimitent les responsabilités de chacun ».
Comme l’a précisé Martin Hirch, à l’époque Haut-Commissaire à la Jeunesse, « le renforcement du partenariat entre pouvoirs publics et associations doit donner corps au concept de dialogue civil ». Certes, un dialogue régulier a été instauré entre l’Etat et les représentants du monde associatif depuis les Assises nationales de 1999 donnant lieu à l’organisation de deux Conférences de la vie associative en 2006 et en 2010. Mais la faiblesse des mesures annoncées lors de ces Conférences demeurent demeure préoccupante, malgré quelques timides avancées comme la clarification de la mission du Haut Conseil de la vie associative (ancien CNVA) recentrée sur l’expertise et l’augmentation de 30 % du fonds dédié au Centre de Développement de la Vie Associative (CDVA). Pour Jacques Henrard, Président de la Conférence Permanente des Coordinations Associatives (CPCA) en 2010, la situation est même qualifiée d’« inquiétante » (9), ce dernier appelant encore récemment de ses vœux l’Etat « à repenser structurellement la place des associations dans notre action publique pour renouveler le partenariat ».
En réalité, il s’avère que « c’est la représentation du monde associatif qui fait débat » (10). Suite à la deuxième Conférence de la vie associative, la « faiblesse de la situation actuelle » a été pointée du doigt par le Conseil d’analyse stratégique présidé par Luc Ferry : dans son rapport sur la représentation des associations dans le dialogue civil, de septembre 2010, le CAS précisait que la transformation récente du CNVA en Haut conseil, appelé à de nouvelles fonctions, « laissera totalement la représentation de la vie associative au niveau des fédérations ou des coordinations, en particulier de la CPCA » (11). Or, plus de 40% des associations n’appartiennent à aucun réseau : le risque est donc réel qu’une grande partie du secteur associatif ne se sente pas ou mal représentée.
C’est précisément ce qui s’est passé à l’issue de la promulgation d’une énième circulaire relative aux relations entre pouvoirs publics et les associations.
III/ Une circulaire « Fillon » 2010 aux antipodes des engagements réciproques de 2001 !
Pour les partisans de cette circulaire « Fillon » du 18 janvier 2010 (12), les objectifs poursuivis par cette circulaire consistaient principalement à réhabiliter la subvention comme mode de soutien légitime à l’initiative associative, à adapter la procédure d’octroi de subventions aux contraintes communautaires et à éviter le recours systématique des collectivités territoriales aux procédures de mise en concurrence et d’appel à projets.
Pour les autres – qui n’ont jamais douté de l’intérêt de percevoir des subventions – ce texte administratif fait une part (trop) belle à la notion de libre concurrence, certes, consacrée en droit communautaire, mais dont la transposition dans le secteur associatif ne va pas de soi. Ces derniers regrettent que l’intégration de cette nouvelle « norme », présentée comme le nouveau référentiel soi-disant incontournable du bon fonctionnement associatif, soit rendue possible par la consécration d’une vision (trop) extensive de la notion d’activité économique.
Outre le caractère abscons de la démarche retenue, les nombreux oublis (13) et imprécisions, le présupposé juridique consistant à dire (et à penser) que toute « association sans but lucratif exerçant une activité économique d’intérêt général sollicitant un concours financier sera qualifiée d’entreprise » leur apparaît inacceptable sur un plan politique. D’autant plus lorsqu’il est précisé que « cette notion d’activité économique recouvre, quel que soit le secteur d’activité, toute offre de bien et de services sur un marché donné » (14).
Tout comme est inacceptable, pour bon nombre d’associations, le glissement sémantique de la notion de subvention à celle de « compensation de service public » (15) intervenu à l’occasion de la publication de ce texte administratif.
Que reste-t-il des engagements réciproques de 2001, après publication de la circulaire Fillon de 2010 ?
D’abord deux constats :
- cette circulaire aura réussi à diviser le secteur associatif, entre « petites » et « grandes » associations ;
- la concordance entre les engagements pris par l’Etat lors de la célébration du Bicentenaire de la loi 1901 et les avancées réellement obtenues par le secteur associatif, à cette occasion, n’apparaissent pas aussi clairement…
Directeur des publications ISBL consultants
Cet Editorial a fait l’objet d’une publication dans la Revue Associations Mode d’Emploi n°130, juin – Juillet 2011
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Notes:
[1] « Le mot publié ne revient plus » (Horace, Art poétique, v. 390)
[2] 62 000 créations d’associations par an sur 10 ans – accroissement de 30% du travail bénévole entre 1999 et 2005 (source CPCA)
[3] A. Detolle, Les associations en crise de croissance, AME n°128, avril 2011, pp 4-6
[4] www.comitecharte.org
[5] L. 2000-321 du 12/04/2000 (contrôle des subventions affectées), L. 2006-586 du 23/05/2006 (publications des rémunérations de 3 plus hauts cadres salariés et bénévoles), L. 2009-526 du 12/05/2009 (contrôle des collectivités locales), Ord. 2009-1400 du 17/11/2009 et Ord. 2009-530 du 10/12/2009 (copie des comptes)
[6] Circ. du 24/12/2002, JO du 27, p. 2197 ; Circ. du 16/01/2007, JO du 17, p. 1018
[7] L. organique du 01/08/2001 relative aux lois de finances
[8] L. 2002-2 du 02/01/2002 relative à la rénovation de l’action sociale et médico-sociale
[9] Juris-associations, 01/02/2010, n°412, p.13
[10] E. Dervin, Quelle représentation pour les associations ?, Rev. AME, n°127, mars 2011, pp. 10-11
[11] Rapport CAS, La représentation des associations dans le dialogue civil, sept. 2010, p. 2
[12] Circ. NOR PRM/X/10/01610/C du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations, JO du 20
[13] Tel que notamment la notion d’ « opérateur non économique » ou de « services strictement locaux » insusceptibles d’affecter les échanges intra communautaires
[14] La Circulaire précise même que « le fait que l’activité concernée puisse être de nature » sociale » n’est pas en soi suffisant pour faire exception à la qualification d’activité économique au sens du droit des aides d’Etat »
[15] Au-delà des règles de « minimis » de 200 000 € sur 3 ans