Alors même que nous célébrons les 10 ans de la création du fonds de dotation, le succès de la formule ne se dément pas(1). Depuis la loi du 4 août 2008, sous l’impulsion de Christine Lagarde, alors ministre de l’Économie et des Finances, plus de 2 500 fonds de dotation ont été créés. Décryptage des raisons de l’arrivée d’un tel phénomène dans le paysage de la philanthropie et du mécénat.

 

Depuis 2008, le constat est clair : la France dispose, grâce à la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite « loi Aillagon »(2), du régime de mécénat le plus incitatif d’Europe, voire, pour certains(3), du monde !

Rappel du contexte

Sous certaines conditions(4), le système du mécénat permet aux entreprises et aux particuliers de réduire de leurs impôts sur les sociétés (IS) ou sur le revenu (IR) respectivement jusqu’à 60 % et 66 % de leurs dépenses de mécénat. Mais, paradoxalement, si le degré de générosité des Français n’a, contrairement aux idées reçues, rien à envier à celui des pays anglo-saxons(5), la France ne disposait pas, avant 2008, comme en Angleterre ou aux États-Unis(6), d’un « véhicule » de mécénat à la fois souple et efficace capable d’implanter une véritable « culture du don »(7) sur son territoire national. À l’époque, seules existaient les fondations d’entreprise et les fondations reconnues d’utilité publique (FRUP), deux dispositifs jugés « élitistes » et considérés comme n’ayant « pas su s’adapter aux évolutions de la société »(8).

Les premières obligent à déposer en préfecture, au moment de leur création, un programme d’action pluriannuel financé à hauteur de 150 000 euros minimum(9), montant très difficile à réunir pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME). Le financement de la fondation d’entreprise devant être assuré quasiment exclusivement par l’entreprise elle-même ou ses salariés(10), la mise en œuvre d’un mécénat de flux extérieur à l’entreprise est impossible.

Quant aux secondes, elles recèlent depuis toujours des « vicissitudes » connues de tous : nécessité d’un investissement(11) important (au moins 1,5 million d’euros de dotation initiale ), lourdeur administrative au moment de la création (délai d’instruction du dossier de reconnaissance d’utilité publique pouvant aller jusqu’à 18 mois, voire 24 mois), difficultés liées à la gouvernance (impossibilité pour l’entreprise mécène de conserver seule la maîtrise de son projet), rigidité (obligation d’adopter des statuts types).

C’est dans un tel contexte qu’a été érigée par le législateur(12) une nouvelle personne morale, dédiée à la philanthropie par la réalisation d’œuvres ou d’activités d’intérêt général et/ou au financement d’institutions sans but lucratif (ISBL) : le fonds de dotation (FDD)(13). Le succès fut immédiat et, même après l’obligation de disposer d’une dotation initiale de 15 000 euros(14), l’attrait des mécènes pour cette nouvelle formule n’a jamais faibli depuis. Tandis que le rythme de création de fondations d’entreprise ou reconnues d’utilité publique stagne, voire régresse, celui des FDD continue de se maintenir à 10 par jour(15). Mais, en dehors de ce contexte, quelles peuvent être les raisons d’un tel succès ? Pour l’essentiel, plusieurs approches peuvent expliquer que le FDD soit actuellement la formule la plus prisée par les personnes désireuses d’impulser une politique de mécénat.

Raisons du succès

Rapidité, souplesse, maîtrise et efficacité : telles sont les principales raisons expliquant le succès du fonds de dotation, entité « à mi-chemin entre association et fondation»(16). La gamme très hétérogène de fondateurs – approximativement 50 % des FDD sont créés par des personnes physiques, 30 % par des associations, 10 % par des entreprises et 5 % par les pouvoirs publics(17) – apporte également un éclairage particulier sur les avantages que procure cette forme juridique.

  • Pour les personnes physiques

Avant le décret du 22 janvier 2015(18), pris en application de la loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS)(19), le FDD était très largement accessible aux personnes physiques dans la mesure où il pouvait être créé sans dotation initiale(20). Depuis la publication de ce texte administratif instaurant une dotation minimale de 15 000 euros à verser en numéraire au moment de la création, la crainte était que cette nouvelle contrainte impacte de façon significative l’attractivité de ce « véhicule » de mécénat. Des études montrent que, en réalité, il n’en fut rien, même si l’on a pu remarquer un léger tassement du rythme de création des FDD(21) avant et après la publication dudit décret. Pour le gouvernement, il s’agissait d’éviter – à l’instar du phénomène connu pour le secteur associatif – une multiplication de ce type de structures, dont le contrôle par l’administration aurait été rendu malaisé, tout en préservant cette dynamique positive de créations enclenchée depuis plus de cinq ans. L’équation était donc complexe à résoudre.
Il importait absolument :
– d’une part, d’éviter l’émiettement de structures non efficientes, de nombreux FDD étant restés au stade de la « coquille vide » ;
– d’autre part, de maintenir la capacité de contrôle de l’administration, du stade de la création jusqu’au moment de la délivrance des reçus fiscaux(22) octroyant le droit pour le(s) mécène(s) de faire jouer leurs réductions d’impôt (IS ou IR) pour les dons effectués au profit du FDD.

Enfin, en obligeant ces structures à produire chaque année un rapport d’activité(23) et à déclarer leur dissolution en préfecture(24) – contrairement aux associations –, le gouvernement tenait à conserver un niveau d’exigences élevé sur des structures contraintes par ailleurs de rester actives en termes d’investissement d’intérêt général.
Malgré ces contraintes, on observe que ce dispositif légal demeure aujourd’hui encore une formule plébiscitée, notamment par les particuliers. La rapidité de création (un mois), la souplesse de son organisation interne (liberté statutaire) ainsi que la gouvernance facilement maîtrisable du FDD constituent assurément ses points forts. En effet, son caractère unipersonnel oblige uniquement le fondateur à désigner trois administrateurs au moment de sa création(25), le poste de président pouvant même lui être réservé(26). Par ailleurs, l’efficacité du schéma a fait ses preuves sur le plan fiscal puisque le fondateur, s’il est lui-même imposable, pourra bénéficier de la réduction d’IR attachée à sa qualité de mécène, voire diminuer substantiellement l’assiette de calcul de son impôt sur la fortune immobilière (IFI). Pour les personnes physiques, le FDD peut ainsi tout à la fois constituer un mode de gestion « contrôlé » de l’entreprise « familiale »(27) et un moyen d’organiser sa propre succession (FDD « post-mortem »)(28).

  • Pour les associations

Quels intérêts les associations peuvent-elles avoir à s’adjoindre une structure de ce type ? Plusieurs exemples issus de la pratique peuvent illustrer cette présentation.
– Une association assujettie aux impôts commerciaux peut souhaiter (re)déployer des activités d’intérêt général. Pour cette dernière, constituer un FDD, seule ou à plusieurs, peut lui permettre de (ré)intégrer la sphère des ISBL concourant à la réalisation d’activités d’intérêt général, tout en bénéficiant elle-même des réductions d’IS en qualité d’entreprise mécène.
– Une association simplement déclarée peut vouloir accéder à la « grande capacité juridique » en se dotant d’un FDD. En effet, le FDD dispose de la capacité de recevoir des dons et des legs en vue de financer des activités d’intérêt général et/ou de soutenir des ISBL concourant à la réalisation d’une action d’intérêt général(29). Dans ces conditions, cette association pourra générer des financements complémentaires par ce biais.
– Une association reconnue d’intérêt général peut vouloir créer un FDD en vue notamment de lui apporter un actif immobilier(30). Dans cette hypothèse, l’objectif consistera dans un premier temps à bénéficier de l’exonération de droits de mutation à titre gratuit(31) au moment du transfert du patrimoine immobilier au bénéfice du FDD. Dans un second temps, il s’agira pour le FDD d’affecter les revenus locatifs – exonérés d’IS si le FDD a opté pour une dotation non consomptible(32) – générés par ce patrimoine immobilier au financement d’une ou plusieurs activités d’intérêt général et/ou au financement d’ISBL bénéficiaires, dont l’association à l’origine de la création du FDD pourra elle-même faire partie(33). En effet, une association peut solliciter l’administration dans le cadre de la procédure de rescrit fiscal général ou spécifique(34) afin de se voir reconnaître officiellement la qualité d’organisme d’intérêt général ou de faire reconnaître uniquement une partie spécifique de ses activités comme étant d’intérêt général. Dans ces conditions, il semble d’ores et déjà possible d’envisager qu’une association fiscalisée – ou non – procède à la création d’un FDD dit « de redistribution » en vue de bénéficier d’un financement direct par ce dernier. Bien évidemment, l’affectation des financements privés effectuée par l’intermédiaire du FDD ne devra pas prendre le caractère d’une distribution illégale de bénéfices.
– Une fédération ou ses représentations territoriales peuvent vouloir créer un FDD dans le but de développer, seules ou avec l’aide de partenaires privés extérieurs, une nouvelle stratégie de recherche de financements. Dans une telle situation, le FDD prendra la forme d’un véritable « groupement de moyens » dédié à la recherche de mécènes aux fins d’en faire profiter les ISBL appartenant au réseau fédéral.
– Une association disposant de fonds de réserve associatifs importants peut avoir tout intérêt à créer un FDD afin de sécuriser sa situation sur le plan fiscal. En effet, la question de la gestion de ces capitaux propres se pose avec une certaine acuité au regard des perspectives nouvellement offertes par le FDD. Si l’administration rappelle qu’« il est légitime qu’un organisme non lucratif dégage, dans le cadre de son activité, des excédents reéflets d’une gestion saine et prudente », elle considère néanmoins qu’il « ne doit pas les accu- muler dans le but de les placer »(35). Outre le risque fiscal engendré par une telle accumulation, ce type de situation peut décider les financeurs publics à diminuer les subventions ou dotations allouées à l’association. Comment, dès lors, optimiser la gestion de ce haut de bilan ? L’association qui ne dispose pas du droit de constituer une fondation d’entreprise(36) peut ainsi souhaiter « confier » tout ou partie de ses fonds de réserve à un FDD qu’elle maîtrise a fin de préserver et sécuriser sa situation au regard des contraintes fiscales et financières précédemment évoquées.

  • Pour les pouvoirs publics

S’ils ne peuvent leur attribuer aucun financement public de quelque nature que ce soit, sauf exceptions(37), les pouvoirs publics sont néanmoins en droit de créer des FDD destinés à pallier le manque de moyens dont ils souffrent actuellement(38). Cette formule offre ainsi aux collectivités territoriales plusieurs avantages :
– elles peuvent initier, seules ou à plusieurs, la création d’un FDD pour susciter l’initiative privée et continuer ainsi à répondre aux besoins sociaux auxquels elles sont confrontées ;„
– la création d’un fonds de dotation offre aux collectivités territoriales un affichage politique volontariste et innovant en faveur du soutien apporté à une cause d’intérêt général et/ou à des ISBL reconnues d’intérêt général ;
– les représentants désignés par les collectivités territoriales peuvent figurer, même majoritairement(39), au nombre des dirigeants du FDD, ce qui leur permet de conserver un pouvoir décisionnel dans la distribution des financements privés en direction d’activités d’intérêt général et/ou d’ISBL situées sur leur territoire ;
– le fonds de dotation pourra également permettre de fédérer des acteurs locaux autour d’une « cause » commune d’intérêt général sur un territoire donné, identifier des besoins territoriaux, lancer un partenariat public-privé, voire amorcer un processus plus large de démocratie participative en intégrant dans le projet une participation citoyenne.

  • Pour les entreprises

Dans la mise en œuvre de leur politique de mécénat – en forte croissance, comme le démontre le rapport d’Admical de 2018(40) –, les entreprises doivent opérer un choix entre deux possibilités qui s’offrent à elles : créer une fondation d’entreprise ou un fonds de dotation. Ce choix stratégique devra mettre en balance, d’un côté, la nécessité de réunir 150 000 euros sur cinq ans minimum pour boucler son programme pluriannuel d’activité et la possibilité d’obtenir des subventions avec, de l’autre, la capacité du FDD à créer un effet de levier auprès d’autres partenaires privés en vue de financer une cause d’intérêt général et/ou une ISBL, mais sans possibilité de bénéficier d’aides publiques, sauf dérogation exceptionnelle(41).
Ainsi, comme le soulignait Christine Lagarde, le fonds de dotation est avant tout « un outil complémentaire, générique, à la disposition de tous […] ». C’est précisément pour cela qu’il connaît encore actuellement un succès important et constitue une véritable « révolution dans le monde des ISBL »(42). L’ensemble des parties prenantes, publiques et privées, doit donc continuer à tirer parti de ce dispositif légal « hybride », qu’il convient toutefois de savoir manier avec précaution et discernement. Derrière une apparence de simplicité se cache une réalité beaucoup plus complexe, avec pour enjeu la conservation d’avantages fiscaux et patrimoniaux importants pour les fondateurs quels qu’ils soient.„

Colas AMBLARD
Docteur en droit – Avocat associé NPS consulting
Directeurs des publications ISBL consultants

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Documents joints:

article JA590



Notes:

3. http://admical.org > « Le mécénat » > « Qu’est-ce que le mécénat ? » > « Définition ».

4. CGI, art. 200 et 238 bis

5. Observatoire de la Fondation de France – Cerphi, « Panorama de la philanthropie en Europe », avr. 2015, p. 9-10.

6. M. Chabrol, « Le Fonds de dotation à la française et l’endowment fund aux États-Unis », mémoire M2 de recherche de droit comparé européen, université Paris 2 – Panthéon-Assas, 2015-2016.

7. Ibid., p. 12, note 22.

8. J.-L. Langlais, « Pour un partenariat renouvelé entre l’État et les associations », juin 2008, p. 26.

9. L. n° 87-571 du 23 juill. 1987, art. 19 et 19-7, al. 1er ; décr. n° 91-1005
du 30 sept. 1991, art. 7.

10. L. n° 87-571, préc., art. 19-8.

11. Modèle de statuts types du Conseil d’État du 19 juin 2018, art. 11, note 29.
12. L. n° 2008-776 du 4 août 2008, JO du 5, art. 140, I.

13. C. Amblard, Fonds de dotation : une révolution dans le monde des institutions sans but lucratif, 2e éd., Wolters Kluwer, coll. « Lamy Axe Droit », nov. 2015.

14. Décr. n° 2015-49 du 22 janv. 2015, art. 1er, réd. décr. n° 2009-158 du 11 févr. 2009, art.2 bis.
15. Deloitte – In Extenso, « Fonds de dotation – L’Observatoire », 30 juin 2017.
16. C. Bergeal, conseiller d’État, directrice des affaires juridiques du ministère de l’Économie et des Finances, séminaire sur le développement des FDD en France, 19 nov. 2008, actes des interventions, atelier 1.

17. Étude statistique menée par le cabinet d’avocats NPS Consulting à partir de l’analyse des statuts des 230 premiers FDD déclarés en préfecture entre le 13 février 2009 et le 1er avril 2010 : C. Amblard, Fonds de dotation : une révolution dans le monde des institutions sans but lucratif, préc., ann. 4, p. 248-258.

18. Décr. n° 2015-49, préc.

19. L. n° 2014-856 du 31 juill. 2014, JO du 1er août, art. 85.

20. L. n° 87-571, préc., art. 19 : à noter que les personnes physiques et les associations ne peuvent pas constituer de fondation d’entreprise.

21. Deloitte – In Extenso, « Fonds de dotation – L’Observatoire », préc.
22. LPF, art. 14 A.

23. L. n° 2008-776, préc., art. 140, VI al. 2 ; décr. n° 2009-158, préc., art. 4, al. 1er et art. 8.

24. L. n° 2008-776, préc., art. 140, VIII, al. 1er ; décr. n° 2009-158, préc., art. 14.
25. L. n° 2008-776, préc., art. 140, V.
26. Comité stratégique des fonds de dotation, recommandation n° 5.
33. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-30-50 du 4 avr. 2018, § 110 : en référence à rép. min. à M. Marland- Militello, JOAN Q du 17 mai 2011,
n° 62981.
34. LPF, art. 80 C.
35. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-10-20 du 7 juin 2017, § 630 ; dossier « Excédents et non- lucrativité – Le bénéfice du doute », JA n° 580/2018, p. 17.
36. L. n° 87-571, préc., art. 19.
37. L. n° 2008-776, préc., art. 140, III, al. 3.
38. Dossier « Collectivités territoriales – Les élues du mécénat », JA n° 569/2017, p. 16.

39. Dans cette hypothèse, le FDD sera un pouvoir adjudicateur au sens de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 (JO du 24, art. 10, 2°).

40. Admical, « Le mécénat d’entreprise en France », oct. 2018, JA n° 587/2018, p. 6 : de 2010 à 2016, le nombre d’entreprises mécènes a plus que doublé et le montant des dons a été multiplié par 1,8.

41. L. n° 87-571, préc., art. 19 et 19-7, al. 1er ; decr. no 91-1005, préc., art. 7.

42. C. Amblard, Fonds de dotation : une révolution dans le monde des institutions sans but lucratif, préc.

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