Si l’appartenance du fonds de dotation (FDD) au périmètre de l’économie sociale et sociale (ESS) fait débat (cf notre précédent article), il constitue indéniablement un outil au service de l’ESS. Dès lors, rien d’étonnant à constater que sur les quelques 4500 fonds créés depuis la promulgation de la loi du 04 août 2008[1]L. 2008-776 du 04 août 2008 de modernisation de l’économie, dite LME modifiée par la L. 2021-1109 du 24 août 2021, plus de la moitié est le fait d’associations, de coopératives voire de mutuelles.
Pour les entreprises de l’ESS qui seraient éligibles au dispositif de mécénat, le FDD peut constituer un outil de financement complémentaire extrêmement performant. Néanmoins, encore trop souvent mal maîtrisée, l’articulation entre ces différentes structures d’utilité sociale et d’intérêt général demeure relativement complexe ce qui oblige les entreprises ESS souhaitant s’inscrire dans ce schéma de financement, à être extrêmement vigilantes (B).
A. Articulation utilité sociale – intérêt général
L’articulation de ces deux concepts permet d’optimiser les modèles socio-économiques des entreprises de l’ESS, et en particulier des entreprises associatives[2]C. Amblard, La gouvernance des entreprises associatives – administration, Juris associations, Dalloz, Hors-Série, mon. 219 p., août 2019 qui pourront ainsi trouver un intérêt direct dans la création d’un FDD. Cette démarche nécessite de connaître très exactement le régime fiscal de l’entreprise ESS bénéficiaire.
1. Flécher le mécénat directement vers des entreprises de l’ESS
Si les entreprises de l’ESS decident d’adjoindre dans leur organisation générale un FDD dans le but de recevoir des financements sous forme de mécénat, il conviendra de :
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- Conserver leur statut fiscal d’organisme sans but lucratif (OSBL) (cf supra I, A),
- Exercer une voire plusieurs activités d’intérêt général[3]CGI, art. 200 et 238 bis.
De facto, parmi les entreprises de l’ESS, cela exclut les coopératives qualifiées d’organismes à lucrativité limitée[4]L. 2008-776 préc., art. 140, y compris les sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC)[5]BOI-RES-BIC-000076 du 17 févr. 2021.
Pour celles qui seront en droit de revendiquer le statut d’organisme sans but lucratif, il conviendra de :
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- Réaliser des activités économiques d’utilité sociale (sans limitation de chiffre d’affaires)[6]BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 du 07 juin 2017, par. 520 et s. et/ou,
- Limiter la réalisation d’activités commerciales accessoires au seuil de franchise commerciale (soit 73.518 euros par année civile pour 2023)[7]CGI, art. 206, 1 bis ; BOI-IS-CHAMP-10-50-20-20 du 23 mars 2022, par. 1, dernier al. et/ou ;
- En cas de dépassement de ce seuil, sectoriser leurs activités lucratives qui, en tout état de cause, devront conserver un caractère non-prépondérant[8]BOI-IS-CHAMP-10-50-20-10 du 03 oct. 2018, par. 120 et s., ou filialiser les mêmes activités avant même qu’elles deviennent prépondérantes[9]Ibid, par. 560 et s..
Sous ces réserves, l’entreprise de l’ESS pourra être directement bénéficiaire des financements sous forme de mécénat en provenance de son propre FDD et les mécènes seront en droit de bénéficier des réductions d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés, soit :
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- 66% de la valeur du don effectué par un particulier dans la limite de 20% de ses revenus annuels ;
- 60% de la valeur du don effectué par une entreprise (40 % sur la fraction supérieure à 2 millions d’euros des dons) dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires annuels hors taxe ou du seuil alternatif de 20 000 euros[10]CGI, art. 238 bis, 3o. depuis le 31 décembre 2020[11]L. n° 2019-1479 du 28 déc. 2019, art. 134..
2. Créer un FDD pour réinvestir la sphère d’intérêt général
Pour réinvestir la sphère d’intérêt général, les entreprises de l’ESS qui ne peuvent pas directement revendiquer le régime de mécénat doivent envisager la création d’un FDD dit « opérationnel » (cf article précédent, I, A), c’est-à-dire qui se finance et réalise par lui-même des activités d’intérêt général. Dans une telle situation, l’entreprise ESS qui participe à la gouvernance et au financement du FDD en qualité de mécène, bénéficie des réductions d’impôt, comme précédemment indiqué.
B. Outil complémentaire au service des entreprises ESS
Par conséquent, recourir à un FDD lorsque l’on est une entreprise de l’ESS présente de multiples avantages. Outre, ceux d’ores et déjà évoqués, ils peuvent être les suivants :
- Il peut servir à sanctuariser le patrimoine immobilier de l’entreprise ESS. En effet, et sous réserve de l’abus de droit[12]LPF, art. L. 64, un immeuble de rapport peut être apporté à un FDD non consomptible (cf supra I, B, 4) ce qui a pour effet d’exonérer les revenus générés (fruit de la capitalisation) de l’impôt sur les sociétés au taux réduit[13]CGI, art. 206-5,
- Il peut servir d’outil de mutualisation entre plusieurs entreprises de l’ESS dans un cadre de philanthropie pour financer les activités d’intérêt général (cf article précédent, I, A) organisées dans un but commun (par une fédération d’associations, par exemple),
- Il peut être utilisé à des fins de communication en direction du grand public notamment en vue de développer des activités de plaidoyer politique ou de militantisme[14]CAA Versailles, 21 juin 2016 n°14VE01966, juris associations 2016, n°548, p. 11 ; voir égal. Rép. min. à F. Boccaletti, JOANQ 29 août 2023, n°5113,
- Il constitue également un outil de management des salariés des entreprises de l’ESS par l’usage de la technique du mécénat de compétences[15]Bofip impôts BOI-BIC-RICI-20-30-10-20 du 7 août 2019, par. 5 ; v. égal. Bofip impôts BOI 4C-5-04 du 13 juill. 2004, par. 50 qui peut avoir pour effet d’améliorer la cohésion sociale interne et le sentiment d’appartenance des collaborateurs à l’entreprise,
- Il peut servir à améliorer la mesure d’utilité sociale ou sociétale des entreprises de l’ESS (RSE) pour faciliter leur accès à la commande publique[16]CCP, art. L 2113-15 à L 2113-16,
- Enfin, en leur qualité de mécènes, les entreprises de l’ESS peuvent bénéficier d’un certain nombre de contreparties matérielles et immatérielles de la part du FDD, sous réserve de respecter le cadre fiscal imparti par le régime de mécénat (notion de « disproportion marquée» entre la valeur du don et les contreparties reçues)[17]BOI-BIC-RICI-20-30-10-20 du 08 juin 2022, par. 120 et s..
Colas Amblard, docteur en droit, avocat
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References
↑1 | L. 2008-776 du 04 août 2008 de modernisation de l’économie, dite LME modifiée par la L. 2021-1109 du 24 août 2021 |
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↑2 | C. Amblard, La gouvernance des entreprises associatives – administration, Juris associations, Dalloz, Hors-Série, mon. 219 p., août 2019 |
↑3 | CGI, art. 200 et 238 bis |
↑4 | L. 2008-776 préc., art. 140 |
↑5 | BOI-RES-BIC-000076 du 17 févr. 2021 |
↑6 | BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 du 07 juin 2017, par. 520 et s. |
↑7 | CGI, art. 206, 1 bis ; BOI-IS-CHAMP-10-50-20-20 du 23 mars 2022, par. 1, dernier al. |
↑8 | BOI-IS-CHAMP-10-50-20-10 du 03 oct. 2018, par. 120 et s. |
↑9 | Ibid, par. 560 et s. |
↑10 | CGI, art. 238 bis, 3o. |
↑11 | L. n° 2019-1479 du 28 déc. 2019, art. 134. |
↑12 | LPF, art. L. 64 |
↑13 | CGI, art. 206-5 |
↑14 | CAA Versailles, 21 juin 2016 n°14VE01966, juris associations 2016, n°548, p. 11 ; voir égal. Rép. min. à F. Boccaletti, JOANQ 29 août 2023, n°5113 |
↑15 | Bofip impôts BOI-BIC-RICI-20-30-10-20 du 7 août 2019, par. 5 ; v. égal. Bofip impôts BOI 4C-5-04 du 13 juill. 2004, par. 50 |
↑16 | CCP, art. L 2113-15 à L 2113-16 |
↑17 | BOI-BIC-RICI-20-30-10-20 du 08 juin 2022, par. 120 et s. |