Après avoir tenté de nous faire croire que la nouvelle procédure de délivrance des subventions publiques (Circulaire « Fillon » du 18 janvier 2010[1]) serait la panacée pour le secteur associatif, les discussions actuelles autour du projet de loi d’Economie Sociale et Solidaire (ESS) annoncent le grand retour des « doxosophes »[2]. L’antienne nouvellement servie? La définition légale de la subvention, inscrite dans le projet de loi d’ESS, devrait inciter les collectivités locales à recourir plus largement à ce mode de financement. Sérieusement, qui peut raisonnablement croire que cela puisse suffire au moment où la commande publique est en passe de supplanter le recours au subventionnement ? L’étude portant sur « Le paysage associatif français » (2005-2011)[3] montre que la situation est urgente et qu’il convient dès à présent d’afficher un volontarisme politique sans faille pour tenter de sauvegarder un modèle économique actuellement en grande difficulté. L’heure est donc à la mobilisation de tous.
La définition légale de la subvention suffira-t-elle à inverser la tendance actuelle ? Rien n’est moins sûr au moment où la dernière enquête de Viviane Tchernonog[4] montre que les procédures de mise en concurrence ont actuellement le vent en poupe et réduisent comme peau de chagrin la part des subventions dans la composition des budgets associatifs.
1. La montée en puissance de la commande publique au détriment de la subvention : un processus irréversible ?
Les chiffres sont désormais connus de tous, et l’Institut ISBL consultants a déjà eu l’occasion d’en faire écho : entre 2005 et 2011, « les commandes publiques ont crû à un rythme considérable : 73% en 6 ans, soit une augmentation annuelle moyenne de l’ordre de 10%. Le rythme de baisse des subventions est également important : – 17% en six ans, soit – 3% par an. » [5] Depuis 2011, aucun élément ne peut laisser penser que ce processus s’est inversé. Bien au contraire. Il semblerait même que celui-ci se soit aggravé, à cause de la crise économique, mais également en raison de choix politiques discutables : comme l’indique l’étude de Viviane Tchernonog, « cette transformation a plusieurs origines, et notamment un changement de nature philosophique de la conception des relations entre l’Etat et les associations exprimé par le Rapport Langlais[6]. Ce dernier propose de rompre avec la culture de la subvention et suggère que la distribution des subventions laisse désormais la place à un système de commande publique. » C’est dans un tel contexte, largement inspiré par l’Europe libérale, que la circulaire « Fillon » du 18 janvier 2010 a pu voir le jour. Ce texte d’apparence anodine – en raison de son absence de valeur juridique contraignante – considère, dans un premier temps, que les associations ont quasiment toutes un caractère économique pour, dans un second temps, inciter les collectivités locales à recourir à la technique d’appel à projets, procédure de mandatement permettant d’introduire la notion de mise en concurrence au cœur même du processus de subventionnement. Dans cette affaire, ce qui parût le plus surprenant, ce n’est pas tant qu’un gouvernement de droite – ayant peu d’appétence pour le monde associatif – transpose avec beaucoup de zèle les positions exprimées par Bruxelles, mais de constater la facilité avec laquelle certaines instances représentatives du secteur associatif ont emboîté le pas de quelques « chiens de garde »[7], toujours prompts à épouser les tendances du moment. A l’époque, la principale raison avancée reposait sur la nécessité absolue de se conformer aux normes européennes (le fameux « Paquet Almunia »), comme s’il s’agissait d’une fatalité inéluctable ! Depuis lors, les mêmes qui, hier, militaient en faveur de cette nouvelle orientation font mine de découvrir la réalité – que nous présentions comme inéluctable au sein de l’Institut ISBL consultants dès janvier 2010 – et reconnaissent finalement à contre cœur que ce texte administratif présente d’importantes lacunes sur le plan technique et se situe politiquement à contre courant de ce qu’attend le monde associatif. Il est vrai que, depuis lors, le nouveau gouvernement en place a indiqué à plusieurs reprises que ce texte administratif allait être profondément remanié…
Si, au sein de l’Institut ISBL consultants, nous accueillons cette annonce gouvernementale avec beaucoup de satisfaction, la lecture des résultats révélés par la dernière enquête de Viviane Tchernonog nous laisse un goût amer. Que de temps perdu ! Et même si notre détermination demeure intacte, nous mesurons les efforts qu’il convient désormais de déployer auprès des collectivités territoriales pour tenter de les convaincre de renoncer à leurs pratiques habituelles, de cesser de recourir aux procédures qu’elles maîtrisent le mieux et par conséquence qu’elles privilégient : les marchés publics.
2. Le projet de loi d’ESS a-t-il vocation à inverser la tendance en l’état actuel ?
Aujourd’hui, les mêmes tentent de nous rassurer en essayant de nous faire croire que la définition légale de subvention va pallier tous les maux. Peine perdue. En l’état actuel de sa rédaction, le projet de loi d’ESS intégrant cette définition ne devrait pas inverser la tendance et ce, pour plusieurs raisons :
- D’une part, parce que les critères retenus pour définir la notion de subvention sont strictement identiques à ceux d’ores et déjà définis et appliqués par la jurisprudence du Conseil d’Etat, repris depuis lors dans une circulaire – bien connue des collectivités territoriales – datant du 3 août 2006 [8];
- D’autre part, parce que le « corpus » de règles communautaires (Paquet « Almunia ») – qui sous-tend cette nouvelle conception du financement public des associations – demeure inchangé et continue de définir cette notion de subvention, en creux, c’est-à-dire en la soumettant à la logique de mise en concurrence toujours prédominante dans la construction européenne[9].
Aujourd’hui, c’est cette logique trop facilement et trop rapidement présentée comme incontournable – y compris par les principales instances représentatives du secteur associatif – qu’il conviendrait de combattre avec beaucoup plus de pugnacité. Or, les discours de renoncement – « la loi d’ESS ne sera pas une grande loi pour les associations » – semblent au contraire prendre le pas sur une volonté demeurée intact d’infléchir les choses, afin de préserver le modèle associatif et d’éviter la privatisation des financements[10].
3. La bonne volonté politique du gouvernement suffira-t-elle ?
Incontestablement, et au-delà de certaines données statistiques confirmant le dynamisme du secteur associatif[11], le gouvernement actuel semble avoir pris conscience de la situation de grande précarité dans laquelle est placée une bonne partie du secteur associatif. En effet, pour Valérie Fourneyron, ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Education populaire et de la Vie associative, il est désormais prioritaire de s’atteler « au chantier de sécurisation des modalités de contractualisation entre collectivités et associations ».
Comment ?
La ministre a annoncé à plusieurs reprises, notamment lors du colloque du 27 juin dernier[12], que le gouvernement s’orientait vers une réécriture de la circulaire « Fillon » et l’élaboration d’une nouvelle charte des engagements réciproques Etat – Régions – Associations « pour refonder un véritable pacte de confiance. »
L’intention est louable et le travail sera certainement salutaire, mais il n’est pas certain que cela suffise à inverser la tendance.
Plusieurs raisons à cela :
- Parce que le secteur associatif a encore présent à l’esprit la Charte d’engagements réciproques signée le 1er juillet 2001 et qui n’a jamais été réellement appliquée;
- Parce que dans ces conditions, ce n’est plus d’un nouveau pacte confiance dont les associations ont le plus besoin dans l’immédiat, mais de moyens humains et financiers pour (à moyen et long terme) mener à bien leurs projets et faire face (à court terme) à leurs besoins de trésorerie en fin de mois[13];
- Parce que le désengagement de l’Etat[14] dans le financement du secteur associatif semble devoir se poursuivre, malgré un budget 2014 annoncé à la hausse (+14% pour le secteur associatif et sportif)[15];
- Parce que « le développement considérable du poids de conseils généraux dans le budget du secteur associatif »[16] risque de connaître – à très court terme – un ralentissement important en raison des difficultés financières sérieuses rencontrées par ces collectivités territoriales[17] ;
- Enfin, et surtout, parce que la généralisation des comportements induits par la culture d’appels à projets sera difficile à combattre, dès lors que les financeurs publics auront pris l’habitude de mettre en concurrence les associations entre elles dans le cadre de procédures d’octroi de subventions publiques. A cette occasion, il convient d’ailleurs de noter que certaines d’entre eux n’hésitent pas à piller l’ « intelligence socio-économique »[18] dont font preuve ces acteurs dans le cadre de ces procédures.
4. Pas de consensus sur l’intérêt général et le bien commun, pas de subventions !
L’analyse des modes de financement public des associations démontre que le schéma décisionnel actuel doit être profondément remanié. « Soupoudrage » inefficace, concentration excessive, réduction de l’initiative et de la capacité d’innovation des associations, les critiques sont nombreuses.
Dès lors, plus que de symboles, c’est d’un véritable discours programmatique dont ont besoin aujourd’hui les associations afin d’être en capacité de faire émerger des projets d’intérêt général et/ou d’utilité sociale et connaître le rôle qui leur est dévolu dans la gestion du bien commun. Au-delà de la simple réaffirmation d’un lien de confiance, c’est une volonté politique forte visant à infléchir la tendance actuelle qui est attendue par ces institutions sans but lucratif.
Plusieurs propositions concrètes peuvent être faites en ce sens :
- Dans une première étape, il conviendrait de favoriser la co-construction du rapport Etat-Régions-Associations visant à l’élaboration de projets d’utilité sociale et/ou d’intérêt général[19] : en application de la loi d’ESS, seraient ainsi automatiquement reconnus comme tels, les projets élaborés à partir du consensus exprimé par l’ensemble des parties prenantes, peu importe la dimension nationale ou locale de ceux-ci. En effet, qui mieux qu’elles peuvent exprimer ce qu’est l’intérêt général[20] (en présence de l’Etat) ou l’utilité sociale (en présence de l’administration fiscale), dès lors que l’ensemble de ces acteurs[21] aura défini contractuellement[22] des objectifs à atteindre ainsi que des critères d’évaluation périodique[23] ?
- En second lieu, il conviendrait d’organiser dans le cadre de la loi d’ESS à venir un véritable droit opposable au subventionnement pour ce type de projets : c’est à ce stade que des conventions pluri-annuelles d’objectifs pourraient systématiquement intervenir visant à sécuriser le financement public des organismes porteurs de ce type de projets, en particulier lorsque ceux-ci auront prévu de s’inscrire dans la durée (à partir de 4 à 5 ans) ; pour ceux faisant partie du périmètre des SIEG, la future loi d’ESS pourrait également servir de cadre général de mandatement[24] afin de garantir la conformité des financements accordés aux règles de droit communautaire (Paquet « Almunia ») ;
- Enfin, il conviendrait d’assurer le financement de ces projets : pour cela, la future loi d’ESS pourrait contraindre l’Etat et les collectivités locales à recourir systématiquement à la subvention en présence de ce type de projets et dès lors que les critères d’absence de contreparties et d’initiative seront respectés. Par ailleurs, pourquoi limiter à 500 millions d’euros (sur les 21 milliards de dotation) le financement de l’ESS par la Banque publique d’investissement, dès lors que ce secteur représente près de 10% du PIB de la France (10,3% de l’emploi, soit 2,34 millions de salariés)[25], qu’il continue de créer de l’emploi même en période de crise là où le secteur marchand traditionnel à tendance à en détruire ?
Pour toutes ces raisons, gardons l’espoir que cette loi d’ESS puisse (encore) être une grande loi.
Colas AMBLARD, Directeur des publications
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Notes:
[2] Le terme doxosophe – on parle plus communément d’interprète de l’opinion – désigne chez Platon un « technicien de l’opinion qui se croit savant », savant apparent de l’opinion, ou des apparences ; Comme le rappelle également Pierre Bourdieu, il s’agit également de celui qui fait croire que le peuple parle, que le peuple ne cesse de parler sur tous les sujets importants, mais qui pose les problèmes de la politique dans les termes mêmes où se les posent les hommes d’affaires, certains hommes politiques voire même certains journalistes politiques (« Les doxosophes », Minuit, n°1, nov. 1972).
[3] V. Tchernonog, Le paysage associatif français, mesures et évolutions, 2ème éd., Juris-Editions Dalloz, oct. 2013