Le 17 avril 2008, le Premier Ministre, François Fillon, sur rapport de la Ministre de l’intérieur, Mme Michèle Alliot-Marie, prononçait par décret la dissolution de l’Association nouvelle des Boulogne Boys, association ayant pour but de soutenir pacifiquement l’association sportive Le Paris Saint-Germain (PSG) (1). Cette dissolution, décidée à la suite de la banderole à caractère raciste déployée par des membres de l’Association nouvelle des Boulogne Boys lors du match PSG/Lens du 29 mars 2008 au stade de France à Saint-Denis, a constitué un véritable coup de tonnerre au sein du monde sportif mais également associatif.
L’alinéa 1er de l’article 332-18 du Code du sport, issu de la loi du 5 juillet 2006, autorise le Gouvernement à dissoudre, après avis de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives, « toute association ou groupement de fait ayant pour objet le soutien à une association sportive […], dont des membres ont commis en réunion, en relation ou à l’occasion d’une manifestation sportive, des actes répétés constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d’incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». C’est sur ce fondement qu’a été dissoute l’Association nouvelle des Boulogne Boys mais également le groupement de fait « Faction Metz » (2), groupe informel de supporters du Football Club de Metz, dont les membres sont accusés d’avoir commis des actes répétés de violence ou d’incitation à la haine ou à la discrimination lors de rencontres sportives. Si d’ores et déjà, les mesures d’interdiction de stade sont décriées en raison de leur efficacité relative, la dissolution administrative des associations de supporters, quant à elle, pose problème d’un point de vue juridique.
Dans sa proposition de loi du 29 mars 2006 (3), le député Claude Goasguen estimait que « ce dispositif de dissolution administrative contribuera à responsabiliser davantage les dirigeants des associations ou groupements de supporters en les incitant à pacifier leurs relations mutuelles et à faire adopter à leurs membres un comportement conforme à l’esprit festif qui doit caractériser le déroulement des rencontres sportives ».
Cependant, cette volonté de responsabiliser les dirigeants des associations de supporters et de préserver avant tout l’esprit sportif ne doit pas conduire à éluder les principes de base en matière associative. En effet, la dissolution administrative des associations de supporters porte sans aucun doute atteinte au principe de liberté d’association, lequel a en France une valeur constitutionnelle (4). Aussi, les dérogations à ce principe doivent reposer sur des fondements ne pouvant souffrir d’une remise en cause permanente. Or, l’immixtion du Gouvernement dans le fonctionnement des associations, grâce à son pouvoir souverain de dissolution, suscite des interrogations quant aux motifs invoqués pour justifier ce pouvoir. L’alinéa 1er de l’article 332-18 précité fait état d’ « actes répétés » en présence desquels le Gouvernement peut dissoudre des associations de supporters.
Cependant, à partir de combien d’actes (racistes ou violents) doit-on considérer que ceux-ci constituent des actes répétés ? Existe-t-il un seuil d’actes à partir duquel le caractère de répétition serait rempli ? Le flou entourant cette question laisse la porte ouverte à toutes sortes de contestations devant le juge administratif contre les décisions de dissolutions administratives prises par le Gouvernement.
Certains groupements de supporters semblent déjà avoir trouvé la parade en se dissolvant volontairement pour pouvoir se reconstituer éventuellement. C’est le cas notamment de la « Faction Metz » qui s’était autodissoute quelques jours après les faits de violence et de racisme qui leur ont été reprochés, mais cet acte de dissolution ne l’empêchait pas de se reformer. En effet, lorsque la dissolution volontaire d’une association a été entérinée par l’assemblée générale des membres conformément aux dispositions statutaires, l’association conserve la faculté de se reconstituer et de recommencer ses activités.. Cette possibilité de « renaissance » des associations et des groupements de fait dissous laisse libre cours à de nombreux abus de dissolution d’association, même en dehors du domaine sportif (Cour d’appel Amiens, Ch.1 section 1, 28 Février 2008, Numéro JurisData 2008-358388) (5).
Aussi, pour éviter que la « Faction Metz » puisse se reconstituer après sa dissolution volontaire, le Gouvernement a prononcé sa dissolution administrative, frein légal à toute tentative de reconstitution. Néanmoins, la dissolution volontaire puis officielle de la « Faction Metz » ne pourrait empêcher ses membres de reconstituer un groupement informel, voire même une association, sous une nouvelle dénomination ou même d’intégrer d’autres groupements informels ou des associations de supporters légalement déclarées, et ceci, au regard du principe constitutionnel de liberté d’association.
Aussi, l’on ne peut que s’interroger sur l’efficacité des sanctions prises par le Gouvernement dans la lutte contre le racisme, la haine et la violence lors des manifestations sportives. La Ministre de l’intérieur, Mme Michèle Alliot-Marie, consciente des lacunes du dispositif actuel de prévention contre les violences sportives s’exprimait ainsi : « [si] depuis 1995, beaucoup de progrès ont été faits dans la sécurisation des événements, notamment grâce aux interdictions de stade, les sanctions seront encore durcies dans le projet de LOPSI (Loi d’orientation et de programmation de sécurité intérieure) que je présenterai bientôt au Parlement » (6). Il est à prévoir que cette LOPSI envisagera diverses sanctions plus ou moins répressives qui viendront s’ajouter ou suppléer les sanctions actuelles sans pour autant garantir l’effet recherché, faire sortir de nos stades la haine, la violence et le racisme.
La dissolution des clubs de supporters est-elle le remède le plus efficace contre les maux dont souffre le monde sportif ?
Pour notre part, nous préconisons depuis quelques années l’élaboration d’une charte éthique des supporters (C. Amblard, Manifestations sportives : prévention des violences, ISBL consultants, juillet 2006) que chaque association devrait intégrer dans ses statuts et à laquelle chaque supporter membre se soumettrait. Aussi, plutôt que de laisser planer sur les associations de supporters « l’épée administrative » de la dissolution suite aux actes de violence ou de racisme commis par quelques uns de leurs membres, tel que préconisé par le député Claude Goasguen, l’adoption obligatoire de cette charte offrirait à ces associations la possibilité de faire elle-même « le ménage » parmi ses membres en objectivant des agissements susceptibles de donner lieu à la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire pour motif grave. Cette charte éthique aurait ainsi valeur de contrat moral par lequel le membre supporter s’engagerait, vis-à-vis de son association et des autorités administratives, à respecter les principes sp
ortifs de base, c’est-à-dire le sport dans la fraternité et le respect de l’adversaire. Toute violation de cette charte entraînerait ipso facto l’exclusion du membre indélicat, sans présager des sanctions administratives pouvant aller jusqu’à l’interdiction de stade (7)voire même des poursuites judiciaires (8) susceptibles d’être prononcées contre lui. La sécurité dans les enceintes sportives passe prioritairement par la responsabilisation de chaque supporter membre et non par la dissolution quasi-automatique de l’association.
Beaucoup d’attente et d’espoirs reposent donc sur la LOPSI en préparation. Confronté à un véritable défi, il s’agira rien moins pour le Gouvernement que de lutter efficacement contre des actes de violences commis lors des manifestations sportives tout en respectant l’une des principales libertés publiques : la liberté d’association.
Les auteurs :
Lydie SOALLA
Juriste ALTYS avocats
Docteur en droit avocat associé ALTYS avocats Vos réactions
En savoir plus :
Circulaire Ministre de l’intérieur 26 mai 2008 :voir en ligne
- Engagement associatif : petit lexique juridique - 27 novembre 2024
- Présider une association : la vigilance est de mise - 29 octobre 2024
- Association et dirigeant de fait : attention au retour de bâton ! - 29 octobre 2024
Notes:
[1] Décret du 17 avril 2008 portant dissolution d’une association, Texte n° 8, JORF N° 0093 du 19 avril 2008
[2] Décret du 17 avril 2008 portant dissolution d’un groupement de fait, Texte n° 9, JORF n° 0093 du 19 avril 2008
[3] Proposition de loi n° 2999 du 29 mars 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives
[4] Décision "Liberté d’association", Conseil Constitutionnel, Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971
[5] Cour d’appel Amiens, Ch.1 section 1, 28 Février 2008, Numéro JurisData 2008-358388 : cela a notamment été le cas d’une association communale de chasse où le juge a validé la dissolution volontaire puis la reconstitution de cette association avec le même président et les mêmes membres, alors que la dissolution avait été opérée afin d’éviter la réintégration d’un membre arbitrairement exclu
[6] Journal L’Equipe du 17 avril 2008
[7] Code du sport, art. L 332-11
[8] Une procédure judiciaire est en cours devant le Tribunal correctionnel de Metz contre le supporter du FC Metz qui avait proféré des insultes à caractère raciste contre le capitaine valenciennes le 16 février 2008. Ce supporter, jugé pour « injures publiques envers un particulier en raison de sa race » a fait l’objet d’une mesure d’interdiction de stade jusqu’au 22 mai inclus. Le jugement du Tribunal correctionnel de Metz est attendu le 13 mai prochain. A suivre donc.