1/ La loi « Buffet » du 28 décembre 1999 (1) : le secteur professionnel au service de l’intérêt général

A l’époque, nous écrivions que « dans la droite ligne d’une conception déjà amorcée par les lois de 1975 et 1984 (2), et alors même que la conversion du sport professionnel à l’économie du spectacle semble irrésistible (3), les parlementaires ont opté pour un dispositif législatif médian, oscillant entre éthique sportive et logique marchande » (C. Amblard, Des nouveaux cadres juridiques pour l’exercice du sport professionnel en France, Revue juridique et économique du sport, Ed. Dalloz, n°59, juin 2001, pp 43-75).

Les motivations de la réforme de 1999 s’énonçaient clairement :

  • En premier lieu, il importait d’assainir un « milieu » dont l’image était passablement ternie depuis la survenance d’un certain nombre de scandales qui éclatèrent au début des années 90 (4) ;
  • En second lieu, il s’agissait de permettre un développement et une gestion transparente des activités économiques liées au sport ; autrement dit, la loi permettait « aux clubs professionnels de se doter d’un statut juridique adapté à leur spécificité, à la diversité de leurs situations, [en fixant] des limites conformes au respect des règles sportives » (5).
  • Enfin, pour le gouvernement de l’époque, ce nouveau dispositif devait absolument contribuer à maintenir le lien existant entre sport professionnel et organisation fédérale.

En 1999, il se disait encore que : « Le sport est le plus grand mouvement associatif de notre pays, un des grands enjeux de société d’aujourd’hui. On ne peut pas laisser le sport à n’importe qui : pas aux marchands, pas à la violence, ni à ceux qui mettent la santé des sportifs en péril » (6).

Dans cette optique, la loi « Buffet » interdisait l’introduction en bourse des clubs sportifs et la possibilité d’investir dans plusieurs sociétés sportives à la fois.

Elle imposait également l’obligation pour les associations sportives de créer une filiale commerciale dès lors qu’elles organisent des manifestations sportives payantes leur procurant un certain montant de recettes fixé à 7,5 millions de francs (7) ou emploient des sportifs moyennant le versement de 5,5 millions de franc de rémunération ; d’adopter des statuts-types de sociétés dont deux formes sur trois (l’EURSL et la SAOS) offraient à l’association sportive mère le rôle de « gardienne du temple ». Le statut d’EURSL (8) assurait à l’association sportive la position d’un associé unique, tandis que la SAOS permettait à cette dernière de conserver au minimum un tiers du capital social et un tiers des droits de vote au sein de la filiale sportive professionnelle. Seule la SASP (9) permettait une ouverture plus large de la détention de capital à des investisseurs privés.

Dans tous les cas, les relations entre les deux structures composant le groupement sportif professionnel ne reposaient pas uniquement sur le lien capitalistique, mais étaient également assurées sur un plan contractuel, par l’obligation d’adopter une convention-type dont un certain nombre de clauses obligatoires étaient définies par décret en Conseil d’Etat (10). Il s’agissait notamment de prévoir les conditions d’utilisation par la société de la dénomination sociale du club, de la marque ou des autres signes distinctifs dont l’association est propriétaire. La loi précisait, enfin, que c’est l’association qui conservait l’affiliation à la fédération permettant aux équipes du club de participer aux compétitions sportives officielles.

Par ce biais, le législateur entendait assurer la prédominance du secteur amateur sur le secteur professionnel, ainsi qu’en atteste le rapport (11) présenté par le député J.C. Beauchaud : « Ce point est important car il permet de s’assurer que l’activité commerciale de la société sportive reste subordonnée au pouvoir sportif, gardien de l’esprit sportif. »

Ce dispositif « médian » a été profondément remis en question.

2/ Les lois « Lamour » : l’émancipation progressive du sport professionnel dans la sphère libérale

Dans un premier temps, en 2003 (12), le nouveau ministre des sports Jean-François Lamour s’est attaché a créer les conditions propices à une inversion du rapport de gouvernance instauré au sein des groupements professionnels sportifs en offrant aux clubs la possibilité de céder ces éléments d’actifs « stratégiques » aux filiales commerciales.

Cette appropriation privative a eu pour conséquence de permettre aux filiales sportives de s’affranchir peu à peu du contrôle opéré par les associations mères. Parallèlement, l’ouverture du capital de ces sociétés à des partenaires privés accentuait le phénomène d’autonomisation de ces filiales et rendait impossible toute distribution de dividendes au bénéfice desdites associations pourtant à l’origine de la création du secteur sportif professionnel.

Par là même, il s’agissait de préparer l’entrée en bourse des clubs sportifs professionnels, ce qui supposait indubitablement que les filiales commerciales sportives puissent disposer de ces actifs « stratégiques » : Comment introduire en bourse, une société sportive qui ne serait pas propriétaire des couleurs et du logo du club et ne pourrait disposer de l’affiliation lui permettant de participer aux compétitions officielles ? Cette problématique étant réglée, le conseil des ministres du 21 septembre 2006 pouvait entériner le projet de loi de Jean-François Lamour visant à admettre la cotation en bourse des clubs sportifs.

Peu convaincu par les bienfaits d’une telle loi, le ministre attirait néanmoins l’attention des futurs investisseurs sur le risque encouru : « L’actionnaire de base devra être attentif » (13). Quelle clairvoyance, lorsque que l’on sait que l’action de l’OL Groupe vaut approximativement 3,70 € alors qu’elle cotait à 24 € au moment de son entrée en bourse quelques années plus tôt ! La situation était-elle prévisible au moment de la promulgation de la loi fin 2006 (14) ? Évidemment. L’ensemble des clubs ayant déjà fait le choix d’entrer en bourse dix ans plus tôt avait suivi une trajectoire parfaitement identique : la valeur de l’action s’est progressivement étiolée au point de devenir résid
uelle (sur quelques exemples de clubs européens : voir C. Amblard, Il faut sauver le soldat Lamour, ISBL consultants, 28 septembre 2006).

Dans un second temps, s’en est suivi, toujours sous la conduite de Jean-François Lamour, la promulgation de la loi du 22 juillet 2009 (15) déclarant d’intérêt général la construction des grands stades – ce qui empêche désormais tout recours administratif déposé contre le projet de construction – et celle du 12 mai 2010 (16) autorisant les paris sportifs en ligne. Deux lois permettant aux clubs de diversifier leurs ressources (par l’exploitation de l’enceinte sportive : « naming », restaurants, hôtels…), de renforcer leurs fonds propres afin d’améliorer leur capacité d’emprunt, l’objectif final étant pour les investisseurs privés de maîtriser au maximum l’aléa (sportif) économique.

Adoptée à une très faible majorité, la loi sur les paris sportifs inspirait au député André Chassaigne, lors des travaux parlementaires du 30 mars 2010, la tirade suivante :

« Ce qui m’a particulièrement convaincu, c’est la dimension morale du débat, à laquelle je m’en tiendrai.

En effet, en définitive, en voulant accélérer l’examen de ce projet, et même simplement en le présentant, vous soulevez, au nom de la morale du jeu, une question fondamentale : celle de la morale politique.

En vous écoutant, je pensais à cette tirade de Ruy Blas : « Bon appétit, messieurs ! Ô ministres intègres ! Conseillers vertueux ! ». Derrière ce projet de loi, il y a la défense d’intérêts privés au détriment de la défense de l’intérêt collectif. Ne serait-ce que pour cela, il faut voter cette motion de rejet.

Outre Victor Hugo, vous me faites penser aussi à la devise des Shadoks : « Quand on ne sait pas où l’on va, il faut y aller le plus vite possible »… Mais vous n’en retenez que la deuxième partie, car vous, vous savez où vous allez : vers le grisbi, le tout-fric. »

Une telle saillie pourrait prêter à rire, si l’on ignorait les risques que font actuellement courir les jeux d’argent sur l’intégrité des résultats sportifs (17)… et sur le sport en général.

3/ La loi « Ethique » du 1er février 2012 : la libéralisation définitive du sport professionnel en France

En permettant, désormais, aux filiales commerciales sportives d’adopter les statuts de droit commun des sociétés commerciales (SA, SARL, SAS…), la loi du 1er février 2012 (18) parachève le processus de libéralisation du sport professionnel en France.

L’exception sportive « à la française » peut désormais laisser la place sans limitation au « sport business ».

Soumises au régime de droit commun des sociétés par la loi, les fédérations sportives délégataires ne pourront plus soumettre les filiales sportives professionnelles à des conditions plus restrictives. Le lien entre secteur sportif amateur et professionnel ne tient plus désormais qu’à un fil : cette convention (19) qui doit obligatoirement être signée entre les associations sportives et « leurs » filiales commerciales pour une durée de 5 ans (sans tacite reconduction) et être approuvée par l’autorité administrative (20).

A l’arrivée du terme, quel sera le pouvoir de négociation du secteur amateur face à un secteur sportif professionnel riche de ses nouveaux attributs ?

La question reste en suspens.

Aussi symbolique soit-elle, cette problématique interroge d’une manière plus générale sur les liens qu’entretient désormais le sport avec l’intérêt général.

Colas Amblard

Directeur des publications

En savoir plus :

C. Amblard, Des nouveaux cadres juridiques pour l’exercice du sport professionnel en France, Revue juridique et économique du sport, Ed. Dalloz, n°59, juin 2001, pp 43-75 : voir en ligne

C. Amblard, Il faut sauver le soldat Lamour, ISBL consultants, 28 septembre 2006 : voir en ligne

Jean-Christophe Beckensteiner et Denis Provost, Observations sur les principales dispositions de la loi visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs (Loi n° 2012-158 du 1er février 2012 ), ISBL consultants, mars 2012 : voir en ligne

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Notes:

[1] Loi n°99-1124 du 28 décembre 1999, JO du 29 décembre

[2] Loi n°84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, JO du 17 juillet

[3] Y. Mamou, Le sport-biz s’engouffre dans la course au profit, Le Monde Economie, 8 février 2000 (JO du 08 février), p. 1 ; voir égal. A. Echegut, Concurrence et exigence de compétitivité, le football à l’ère industrielle, Les Echos, 10 avril 2001, p. 70 et s.

[4] Ou le passif d’un club atteignit 300 millions de francs

[5] Discours prononcé devant le Parlement le 15 décembre 1999 par Marie-Georges Buffet

[6] L. Codiac, E. Moatti, C. Droussent, La politique de Marie-Georges Buffet passée au crible, L’Equipe Magazine, 29 mai 1999

[7] Décret n°99-504 du 17 juin 1999, JO du 18 juin 1999

[8] Décret n°2001-148 du 16 février 2001 relatif aux statuts types des entreprises unipersonnelles sportives à responsabilité limitée

[9] Décret n°2001-149 du 16 février 2001 relatif aux statuts-types des sociétés anonymes sportives professionnelles

[10] Décret n°2001-150 du 16 février 2001 relatif aux conventions passées entre les associations sportives et les sociétés sportives professionnelles créées par elles en application de l’article 11 de la loi n°84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives

[11] Rapport au nom de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur la proposition de loi de M. J.M. Eyrault portant diverses mesures relatives à l’organisation d’activités physiques et sportives

[12] Loi n°2003-708 du 1er août 2003

[13] Source : L’Equipe, 21 septembre 2006

[14] Loi n°2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social (JO du 31 décembre)

[15] Loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, art. 28

[16] Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne (JO du 13 mai 2010)

[17] Le Monde.fr, Football : dix-sept arrestations en Italie pour match truqué, 19 déc. 2011

[18] Loi n°2012-158 du 1er février 2012

[19] Décret n°2001-150 du 16 février 2001 préc.

[20] Loi n°2003-708 préc., art. 11

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