Connaissance et reconnaissance de l’ESS au plan international
Dans le débat qui commence à s’atténuer sur « qui est de l’ESS ou pas, quelle ESS est la bonne, de quelle ESS parle-t-on », le CIRIEC-France a organisé une conférence débat sur la connaissance et la reconnaissance de l’ESS au plan international et ses conséquences.
A cette occasion, Jérôme SADDIER (président ESS France), Colas AMBLARD (président de l’institut ISBL) et Claire THOURY (président du Mouvement Associatif), sous la houlette de Timothée DUVERGER (universitaire) nous ont apporté tous les éclairages nécessaires pour une meilleure compréhension des tenants et aboutissants, sur les ponts aux ânes (nombreux), sur les affirmations péremptoires de groupuscules minoritaires, sur les bagarres égotistes existant au sein de l’ESS et ce que nous pourrions espérer d’une ESS mondiale qui permettrait de mettre en place un projet économique plus humaniste.
Puis voilà qu’au détour d’une intervention, Claire THOURY parle de la situation des associations et des militants associatifs. Après avoir rappelé que « L’ESS est un mouvement de liberté et (qu’)il faut continuer à défendre la liberté, en particulier associative. On y produit de l’économie et de la démocratie sociale. », elle souligne qu’ « On ne nous donne rien, quasiment rien (pour agir), et on continue à faire. Si j’étais cynique et en responsabilité politique, je me dirais : « pourquoi mettrai-je plus d’argent puisque ces gens-là (les responsables associatifs) sont masochistes. On leur dit, vous aurez moins d’argent, moins de moyens, vous allez continuer à faire pareil, voire plus car entre temps il y aura une crise sanitaire, une crise de l’énergie, une crise du monde, une crise écologique, une crise démocratique et vous allez continuer à le faire parce que vous ne pouvez pas vous en empêcher, parce que vous êtes un peu accro, on vous a dit militant engagé et vous avez dit oui, oui c’est vrai, je le suis et vous vous êtes pris au jeu et on continue. » »
Cette seule phrase, accompagnée d’une réflexion sur la disproportion de la prise en compte de l’ESS par le pouvoir en place qui attribue 1 milliard pour le développement des start-ups et seulement 300.000 euros sur 3 ans pour l’ESS, donne à réfléchir au vieux militant associatif que je suis.
Pourquoi continuer à œuvrer dans un contexte où la relation aux pouvoirs publics se pervertit par la transformation d’un partenariat en un état de dépendance ?
Subvention ou appel à projets
Ainsi, la maltraitance de la subvention, qui était l’exemple du partenariat pouvoirs publics/associations, est aujourd’hui le symbole de la perte de cette relation de confiance. Leur baisse régulière voire leur maintien au même niveau, années après années, dans un contexte d’augmentation de tous les coûts entrainent des pertes importantes pour les réponses qu’apportent les associations dans les territoires.
Et c’est ainsi que l’on demande de continuer à réaliser les mêmes actions, voire d’en faire plus sans que cela se concrétise par une augmentation des moyens nécessaires. Les associations continuent, convaincues de leur utilité et des projets qu’elles portent.
L’un des travers importants dans cette relation est la transformation des subventions en appels à projets, en appels d’offres, en appels à manifestation d’intérêt qui conduisent les pouvoirs publics à prendre le pouvoir par l’argent sur les associations. Il s’agit, alors, de les faire entrer dans un champ concurrentiel mortifère pour elles-mêmes. Claire THOURY rappelle à ce propos : « la part de la subvention aux associations a diminué au profit de la commande publique. Ce n’est pas la même chose : quand on subventionne, on reconnait l’utilité sociale politique, écologique d’un acteur et on lui donne de la liberté car c’est grâce à la subvention qu’on innove, qu’on progresse sur tous les plans. Quand on passe par de la commande publique, de l’appel à projet, c’est différent, on est dans une situation de prestation et le cadre de liberté est beaucoup plus restreint ».
Ce climat général, amplifié actuellement par les restrictions et les orientations prononcées par tel ou tel homme politique, voire tel ou tel chef de service, n’est pas seulement mortifère à l’extérieur de l’association, il l’est aussi de manière interne car il génère des tensions, remettant en cause les valeurs qui unissent ses membres.
Les associations sont dans une logique où ce qui prédomine est l’acquisition de marchés, de ressources pour faire vivre la structure plus que pour porter des projets.
Intérêt général et intérêts particuliers
Au bout du compte, après 50 ans de militantisme, animé de convictions profondes qu’il faut toujours s’engager pour le bien de la communauté, que la défense de l’intérêt général et de l’utilité sociale sont les deux piliers d’une tentative de trouver plus d’égalité dans une société plus juste et plus fraternelle et de défendre les principes fondamentaux de notre république, je m’interroge sur le moteur et son carburant.
Comment et pourquoi continuer quand, chaque jour, lorsque l’on prend des responsabilités associatives, on est exposé aux refus, aux petites mesquineries, aux dérives, aux jalousies… tant venant des adhérents/bénévoles et des salariés, des « partenaires » et acteurs institutionnels, que de représentants des pouvoirs publics, … ?
Ce qui aide à continuer est le sentiment de l’utilité sociale, la possibilité de conduire des projets communs, le partage de convictions, mais aussi la satisfaction de servir, de construire, …. Il faut alors défendre cette fraternité née de valeurs partagées, d’un projet commun pour aller de l’avant, …. Mais cela compense-t-il toujours les aléas de l’engagement ?
Vous avez dit masochistes ?
Alors se poser la question de nos motivations et de nos actes peut amener à penser, quelquefois, en effet, que nous sommes masochistes : continuer à agir dans l’adversité, mener à bien nos combats sans perdre nos convictions alors même que l’on en tire peu ou pas de bénéfices (moraux, car les bénéfices pécuniaires sont, normalement, absents des associations). Nous sommes masochistes au sens où l’entend le psychanalyste et psychiatre François LADAME (auteur du livre Tous masos ? aux éditions Odile Jacob) : nous sommes des masochistes moraux.
Le masochiste moral souffre, mais il ressent de la fierté : « Être fier de faire ce que d’autres ne font pas, c’est le maxi piège dans lequel on peut tomber quand on est entraîné dans le masochisme », alerte François LADAME.
Cette fierté est sans doute le carburant qui nous fait continuer, c’est ce sentiment profond que l’on a raison de poursuivre ce que nous accomplissons.
Mais c’est, en creux, ce qui fait que ceux qui devraient être nos partenaires usent et abusent de notre force et de notre volonté de continuer. Nous en tirons le plaisir que peut provoquer cette impression de faire pour le bien commun mais est-ce suffisant ?
C’est bien cette notion du plaisir qui est au cœur de l’engagement. Continue-t-on à le faire si nous n’en tirons pas de bénéfices secondaires ? la rencontre des autres, le sentiment de servir, la possibilité de construire, voire la (re)construction de son égo sont autant de facteurs qui nous aident à continuer.
La question qui se pose est celle de la balance entre ce qui nous permet de continuer et ce qui nous incite à cesser notre investissement.
Suivant la source des informations, il est dit que le nombre de bénévoles augmente ou baisse. Les deux propositions sont sans doute vraies : on voit de plus en plus de personnes prêtes à donner de leur temps, de manière ponctuelle et spécifique, mais l’on constate, dans le même temps, la perte voire l’absence de personnes prêtes à s’engager dans la vie administrative, financière, sociale, gestionnaire des associations.
Les contraintes, les responsabilités, les relations souvent tendues avec les pouvoirs publics, le sentiment de déconsidération qui entourent souvent la fonction des responsables associatifs, sont autant de facteurs de découragement et de désengagement des administrateurs. A cela s’ajoute, souvent, pour beaucoup de ces administrateurs, une formation insuffisante face aux aléas à gérer, aux structures à faire évoluer, ….
Dans le même temps, certains continuent à élaborer des solutions nouvelles pour agir ensemble autour d’un projet partagé, plus liées à une organisation collective informelle que ne le sont les statuts associatifs.
Associations et pouvoirs publics : je t’aime, moi non plus ?
Le masochisme dans les associations est à la fois individuel et structurel. Cette pathologie collective est aussi la force du monde associatif, voire de l’ESS car entre les tiraillements ressentis dans les relations avec tout notre environnement et la satisfaction que donne l’impression (et la réalité souvent) de servir, nous avons la force de poursuivre, de renforcer nos convictions, de rencontrer d’autres personnes.
Les associations sont les garants de l’intérêt général avec les pouvoirs publics. A ce titre, tous deux devraient avoir une relation privilégiée leur permettant de construire ensemble des réponses adaptées aux besoins repérés dans les territoires et les domaines liées à cet intérêt général.
Si l’on considère que les associations sont un rempart pour répondre à des situations de détresse, une force économique et un créateur d’emploi, un lieu de solidarité et de partage, un acteur du lien social, un lieu d’innovation sociale et économique, un partenaire des pouvoirs publics pour mener à bien des actions d’intérêt général, il faut reconstruire la relation de confiance entre les associations et les pouvoirs publics et sortir de la relation commande/contrôle de l’État vers les associations.
Mohamed GNABALY (Maire de L’Ile-Saint-Denis, Vice-président de l’Association des maires de France, DG Scic Novaedia) partage largement cet avis : « Les associations locales ne sont pas des prestataires de services. Ces dernières années, nous avons vu plusieurs belles associations locales fermées à cause d’un modèle économique public-privé déséquilibré ou par manque de trésorerie. Chers collectivités, bailleurs et partenaires soyons vigilants dans notre relation avec les associations. Elles ne sont pas nos sous-traitants mais des acteurs indépendants, avec des projets associatifs ancrés sur nos territoires et en réponse aux habitants. Nous devons apprendre à coopérer davantage et renforcer leur pouvoir d’agir par moins d’administratif, des conventions pluriannuelles et des paiements rapides ! L’intérêt général est l’affaire de tous. Et nous avons besoin de chacun. »
Un tel appel, venant d’un élu, montre combien cette question est préoccupante et demande une clarification de cette relation dans laquelle les militants associatifs doivent plier pour pouvoir continuer à défendre leurs valeurs, à poursuivre leurs projets. Entendre ce qu’il nous dit et le mettre en œuvre combattrait alors le masochisme associatif et ferait des administrateurs des associations des partenaires des pouvoirs publics inscrits dans une relation rassérénée et plus efficace.
Jean-Louis CABRESPINES, Ancien membre du CESE Délégué général du CIRIEC-France
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