Depuis quelques années, les organisations de l’ESS, en particulier les structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE), rencontrent des difficultés économiques, liées à la baisse des subventions publiques, à la baisse des carnets de commandes en raison d’une concurrence féroce, et à la part importante des coûts fixes (gestion, administration, commercial…).
Bien sûr ces difficultés impactent différemment les SIAE (Structures de l’Insertion par l’Activité Économique) en fonction de leurs statuts.
Le modèle économique des ACI (Ateliers et Chantiers d’Insertion) est fragile, compte tenu de la baisse des subventions publiques difficilement compensée par des recettes alternatives, en raison de la limite du seuil des 30% de chiffre d’affaire dans le total de leurs recettes.
Mais au-delà des statuts, ces difficultés économiques concernent particulièrement les structures de petite taille, qui sont les plus vulnérables.
Alors comment faire en sorte que les SIAE puissent atteindre une taille critique plus élevée, qui leur permettra d’être plus résiliente en cas de crise, et d’amortir les coûts fixes sur une base de recettes plus importante ?
Un des leviers d’action qui pourrait être développé et encouragé par les donneurs d’ordre, financeurs publics et mécènes privés, est le rapprochement entre SIAE.
Ces synergies entre SIAE peuvent prendre plusieurs formes, de la fusion entre associations au simple partenariat pour mutualiser des moyens communs.
Mais un des freins majeurs au rapprochement et aux synergies entre SIAE réside souvent dans la réticence des Conseils d’Administration de ces structures.
En effet, certains administrateurs, notamment ceux engagés de longue date, ont parfois du mal à modifier leurs habitudes (« on a toujours fait comme ça »…) et à s’ouvrir à d’autres manières de faire, ce qui s’impose nécessairement en cas de partenariat et de rapprochement avec une organisation différente.
Les freins sont exacerbés lorsqu’il s’agit de coopérer avec des structures qui hier encore étaient concurrentes.
D’autres craignent de voir leur pouvoir et leur statut (de Président, de Trésorier…) s’éroder, se diluer ou disparaître. En effet, dans le cas d’une fusion, il n’est pas très efficace de faire doublonner tous les postes d’administrateurs pour contenter les organes de gouvernance des deux structures partenaires. Cela passe par des renoncements de mandats et des choix difficiles pour savoir qui occupera les postes d’administrateurs les plus valorisants, et qui devra se retirer et transmettre.
Un autre frein observé à ces rapprochements et synergies entre SIAE réside dans les conflits de vision et de valeurs entre le management opérationnel et certains administrateurs.
Malheureusement, dans bon nombre de SIAE, les administrateurs sont plus attirés par le projet social et solidaire de la structure, et moins par le volet économique et le développement d’activité. Combien de fois a-t-on pu observer, malgré les alertes récurrentes des équipes de management et de direction, des administrateurs repousser à plus tard des projets de réorganisation nécessaires mais qui viendraient bousculer le « social business as usual ». ?
Le conservatisme des administrateurs des SIAE conduit à différer des projets de restructuration et de suppression d’activités déficitaires, par crainte des conséquences sociales et d’emploi. Cette peur des conséquences à court terme (perte de chiffre d’affaires temporaire, licenciements économiques à assumer) peut hélas conduire à un immobilisme, qui se soldera quelques années après par des conséquences sociales bien plus graves, comme la disparition totale de la structure elle-même, quand les financeurs publics et privés décideront d’arrêter de remplir le tonneau des Danaïdes.
Et ce conservatisme peut hélas aussi conduire à freiner ou entraver le développement de nouvelles activités (par exemple dans des secteurs sources de nouveaux gisements d’emploi comme l’économie circulaire ou la rénovation énergétique) ou l’expérimentation de structures juridiques innovantes et efficaces : création d’un Groupement Economique Solidaire regroupant plusieurs SIAE de statuts et d’activités différents, d’une Joint-Venture Sociale avec une entreprise privée du secteur marchand,… .
Beaucoup de causes à cette rigidité de certains administrateurs : absence d’une culture de prise de risque, manque de compétences dans les domaines RH, juridiques, financiers, développement commercial.
Les administrateurs manquent aussi parfois de compétences managériales et relationnelles : capacité à coopérer, à construire des partenariats équilibrés, à décider vite et à assumer les conséquences de leurs décisions.
Alors quelles solutions à ce qui ne doit pas être une fatalité ?
Il existe heureusement quelques pistes à envisager et à expérimenter :
- Renouveler et diversifier les profils des administrateurs des SIAE
Il est urgent d’anticiper les renouvellements de mandats et d’aller recruter des profils d’administrateurs avec une plus grande diversité de compétences et de parcours professionnels. Féminiser davantage, attirer des candidats plus jeunes, ouvrir les Conseils d’Administration à des acteurs du monde économique avec une expérience des secteurs marchands.
Une des pistes pour attirer et fidéliser de nouveaux profils d’administrateurs et leur faire découvrir le potentiel fabuleux des SIAE est le mécénat de compétences. Les entreprises privées du secteur marchand ont une responsabilité en la matière. Elles gagneraient à monter des programmes de mécénat de compétences plus ambitieux, pour mobiliser un panel large de collaborateurs : les seniors en fin de carrière et qui vont disposer de temps pour un engagement bénévole lors de la transition vers la retraite. Mais aussi les salariés qui souhaitent faire une parenthèse (congé sabbatique, temps partiel solidaire) pour développer leurs compétences dans le secteur passionnant de l’Economie sociale et solidaire (ESS)(lien hypertexte : vidéo qu’est-ce que c’est l’ESS ?). Et pourquoi ne pas imaginer d’insérer des missions et immersions temporaires dans une SIAE pour des salariés à potentiel et futurs dirigeants ? Ces missions dans une SIAE pourraient faire partie d’un parcours de formation et de développement des compétences entrepreneuriales pour de futurs managers de PME ou de grands Groupes. Avec en prime le bénéfice, pour les entreprises privées qui se lanceraient dans ce type d’engagement, d’améliorer leur marque employeur et d’attirer des talents en recherche de sens et de contribution sociétale positive.
C’est par exemple ce que développe la startup VENDREDI avec des entreprises françaises.
- Professionnaliser les administrateurs des SIAE:
Les différentes fédérations associatives et têtes de réseaux qui regroupent les SIAE gagneraient à structurer des modules de formation pour les administrateurs, avec des contenus actualisés qui tiennent compte des nouveaux enjeux du secteur.
Au-delà des compétences classiques à maîtriser par des administrateurs (Gestion/finance, gouvernance, Ressources Humaines, …), il serait pertinent d’intégrer de nouvelles thématiques dans ces formations :
- Construction de nouveaux modèles d’affaires, basés sur les outils utilisés par les startups (Lean Model Canevas, Minimum Viable Product, méthodes agiles…)
- Savoir piloter une réorganisation (volets sociaux, juridiques, financiers), développer une nouvelle activité en maîtrisant les risques et/ou abandonner une activité déficitaire en déclin
- Bâtir des partenariats innovants (coopération entre SIAE, avec des entreprises privées, des collectivités locales du territoire…) et expérimenter de nouvelles formes d’organisation : Groupement Economique Solidaire, Joint-Venture sociale…
En complément de ces nouveaux modules de formation, les têtes de réseaux et fédérations de SIAE devraient encourager les voyages d’étude (=Learning Expeditions) qui permettraient aux administrateurs de découvrir de nouveaux modèles d’organisation, de nouvelles activités pour se diversifier, et s’inspirer des bonnes pratiques duplicables dans leur propre structure (culture du « benchmark » à développer).
Tout ceci devrait permettre aux administrateurs de jouer pleinement leur rôle dans le respect des équilibres de gouvernance : ni trop passif pour pouvoir guider le management opérationnel lors des choix stratégiques et rester les garants d’une vision long terme ; ni trop interventionniste pour éviter les conflits et la confusion des rôles et responsabilités avec les équipes de direction.
- Inciter les SIAE à créer des synergies et à mutualiser leurs moyens
Afin d’accélérer la nécessaire évolution des SIAE et des postures de leurs administrateurs, il va falloir quelques aiguillons.
Les incitations devront venir des mécènes, financeurs, donneurs d’ordres, client, qui ont dans leurs mains de nombreux leviers pour accompagner la modernisation et la coopération des SIAE :
Les aides, dons, prêts et subventions publiques et privées pourraient être conditionnées non plus seulement à des résultats (indicateurs classiques de mise à l’emploi, d’accompagnement social…), mais aussi à des obligations de moderniser les structures juridiques, de mutualiser les moyens entre différents partenaires d’un même éco-système, de renforcer les coopérations inter-structures, d’abandonner des activités en déclin et déficitaires au profit de nouvelles activités en plein essor.
De la même manière, les cahiers des charges et appels d’offre des acheteurs et donneurs d’ordre devront intégrer également ces aspects, en privilégiant notamment les offres émanant d’un collectif de partenaires SIAE au détriment de réponses isolées de chacune des structures.
Conclusion :
Le potentiel d’innovation et d’agilité de ce secteur de l’ESS est immense. Mais bon nombre de SIAE sont aujourd’hui fragilisées dans leur modèle, leurs modes d’organisation et leur modèle économique.
Il ne s’agit pas ici de jeter la pierre uniquement aux administrateurs.
Chacune des parties prenantes doit prendre ses responsabilités dans ce vaste chantier de modernisation des activités et des structures de gouvernance des SIAE :
- Aux salariés et équipes de direction de se mobiliser, de proposer des scénarii de développement et de mettre en œuvre efficacement les stratégies validées par les Conseils d’Administration.
- Aux administrateurs de renouveler leurs compétences, d’attirer de nouveaux profils et de limiter leurs mandats dans le temps pour éviter la sclérose.
- Aux financeurs, donneurs d’ordre, clients et mécènes d’utiliser les leviers en leur possession pour inciter les SIAE à mieux coopérer entre elles, à clarifier leurs modèles économiques et à inventer des formes d’organisation plus adaptées au monde qui vient.
Joël TRONCHON, Directeur du Développement Durable et Délégué Général du Fonds de dotation Groupe SEB