Dans un arrêt du 6 février 2024[1]CA Versailles, 6 fév. 2024, n°22VE00104 (inédit), la Cour administrative d’appel de Versailles rappelle utilement les conditions liées à la sectorisation comptable des activités lucratives d’une association. A défaut, ce sera l’ensemble des ressources associatives qui devra supporter le poids de l’imposition.
Rappel des faits et de la procédure
L’association GENETHON, qui est régie par la loi du 1er juillet 1901, a pour activité la recherche et le développement pharmaceutique pour les maladies rares et la thérapie génétique. A ce titre, elle exerce des activités lucratives en matière de développement pharmaceutique ainsi que des activités non lucratives en matière de recherche médicale.
L’association a reçu en 2014 une subvention de la part de l’association AFM-Téléthon s’élevant à 9 387 171 euros. À la suite d’un contrôle effectué par l’administration fiscale, celle-ci a réintégré le montant de la subvention dans les bases d’imposition à l’impôt sur les sociétés (IS) et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) de l’association GENETHON, au motif que la subvention participait au fonctionnement du secteur lucratif de l’association. L’administration fiscale lui a également demandé de verser les intérêts de retard correspondants.
L’association a, en premier lieu, demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge de ces impositions supplémentaires et intérêts de retard, ce que le tribunal a rejeté en 2021. Par la suite, l’association a demandé à la Cour administrative d’appel (CAA) de Versailles d’annuler le jugement du tribunal administratif, de prononcer la décharge des impositions contestées et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros[2]C. justice adm., art. L 761-1.
Devant la CAA, l’association conteste le jugement de première instance ainsi que les impositions supplémentaires et les intérêts de retard afférents. Elle soutient que le montant de la subvention octroyée par l’association AFM-TELETHON n’aurait pas dû être prise en compte dans la détermination du résultat de son secteur lucratif, dès lors que la subvention ne se rattache pas directement à cette activité lucrative.
A l’occasion de cet arrêt, les juges se sont questionnés quant aux conséquences fiscales que peut emporter l’exercice d’une activité lucrative et non lucrative au sein d’une association.
Les juges font une application classique de la doctrine fiscale concernant la possibilité pour une association d’avoir une activité lucrative (bénéfice de la franchise des impôts commerciaux ou de la sectorisation de l’activité lucrative) sans que celle-ci n’emporte de conséquences sur l’intégralité des revenus de l’association, donc sur les revenus tirés de l’activité non lucrative.
De l’usage préalable de la franchise commerciale comme préalable au non-assujettissement global de l’association
Par principe, un organisme dont l’activité principale est non lucrative peut réaliser des opérations de nature lucrative. En effet, le développement d’une activité à caractère commercial peut être nécessaire pour l’exercice de son activité non lucrative.
Dans ce cas, l’organisme peut échapper aux impôts commerciaux (IS, TVA, CET). Le bénéfice de la franchise des impôts commerciaux est subordonné à la réunion de trois conditions cumulatives[3]BOI-IS-CHAMP-10-50-20-20, n°20 et s. :
- La gestion de l’organisme doit être désintéressée[4]BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, n°50 et s.,
- Les activités non lucratives de l’organisme doivent rester significativement non prépondérantes[5]BOI-IS-CHAMP-10-50-10-10, n°140 et s.,
- Le montant des recettes provenant des activités lucratives ne doit pas excéder le montant de la franchise, qui est modifié chaque année civile[6]Pour 2024, le montant de la franchise commerciale est porté au seuil de 78 586 euros.
Au moment des faits, donc en 2014, le montant de la franchise s’élevait à 60 000 euros. A ce stade de la décision, sans remettre en question la gestion désintéressée de l’organisme ni le caractère significativement prépondérant de l’activité non lucrative, les juges retiennent que le montant des recettes d’exploitation encaissées au cours de l’année 2014 au titre des activités lucratives excède la somme de 60 000 euros (considérant 6).
Dès lors, les juges ne retenant pas le bénéfice de la franchise de 60 000 euros pour la partie lucrative de l’activité de l’association, ceux-ci font application de l’article 206 du Code général des impôts. D’après cet article, l’association est passible de l’impôt sur les sociétés (IS) pour la totalité de son résultat. En vertu de l’article 38 du même Code, le bénéfice imposable est déterminé d’après le résultat d’ensemble de ses opérations de toute nature.
C’est pourquoi les juges affirment que l’administration était fondée à prendre en compte dans le calcul du résultat de l’association GENETHON le montant de la subvention versée par l’association AFM-Téléthon.
Sectorisation des activités lucratives : une méthode comptable pour optimiser le régime fiscal des associations
Lorsqu’une association ne bénéficie ni de la franchise des activités lucratives accessoires, ni d’une exonération spécifique, elle est en principe globalement imposable en application du lien automatique entre les impôts commerciaux (IS, TVA, CET).
Toutefois, une association peut soustraire ses activités non lucratives à l’impôt sur les sociétés.
Pour séparer l’activité lucrative de celle non lucrative, l’association peut recourir au mécanisme de la « sectorisation ». En effet, la doctrine retient deux critères pour qu’un organisme ne soit pas considéré comme étant lucratif dans son ensemble :
- L’activité lucrative sectorisée doit être dissociable par nature de l’activité non lucrative,
- L’activité non lucrative doit demeurer significativement prépondérante.
Le secteur dit « lucratif » sera alors seul soumis à l’impôt sur les sociétés, et le régime fiscal dont bénéficie l’activité non lucrative ne sera pas remis en cause, sous réserve que l’organisme procède à une exacte répartition de ses charges entre la structure ou l’entité fiscalisée et la structure non fiscalisée à l’occasion d’un bilan fiscal de départ.
Dans un premier temps, sont considérées comme dissociables de l’activité principale non lucrative les activités lucratives qui correspondent à des prestations différentes. Ces activités lucratives accessoires à l’activité principale de l’organisme à but non lucratif sont exercées dans des conditions concurrentielles (exemples : exploitation d’un bar ou d’une buvette, location de salles, sponsoring, etc.).
La complémentarité d’une activité lucrative et non lucrative ne suffit pas à remettre en cause la non-lucrativité de cette dernière, dès lors que les deux activités sont effectivement distinctes. Toutefois, la non-lucrativité de l’activité peut être remise en cause si cette dernière a pour objet principal le développement d’une clientèle ou l’accroissement des résultats de l’activité lucrative.
En l’espèce, l’activité de l’association peut être décomposée en une activité non lucrative consistant en une activité de recherche médicale correspondant à la première phase de conception de médicaments, et une activité lucrative, qui correspond aux phases d’essais cliniques et d’études thérapeutiques nécessaires avant commercialisation des produits. Les juges retiennent que l’activité lucrative n’est pas dissociable de celle non lucrative (considérant 11).
Dans un second temps, la partie lucrative ne doit pas déterminer l’opération de l’ensemble de l’activité de l’organisme. Cette notion de prépondérance doit s’appréhender de la manière qui rende le mieux compte du poids réel de l’activité non lucrative de l’organisme.
Par exemple, on peut avoir recours au critère comptable du rapport des recettes lucratives sur l’ensemble des moyens de financement de l’organisme, ou encore apprécier la part respective des effectifs ou des moyens qui sont consacrés respectivement à l’activité lucrative et à l’activité non lucrative.
En l’espèce, les juges ne retiennent pas la prépondérance significative de l’activité non lucrative, puisque les charges d’exploitation du secteur lucratif de l’association représentent 49.9% du montant total de ses charges pour l’exercice 2014 (considérant 11). En effet, la moitié des charges d’exploitation étant relative à la partie lucrative de l’activité de l’association, il n’est pas possible de retenir la prépondérance significative de l’activité non lucrative de l’association.
En outre, la Cour administrative d’appel de Versailles en conclut à l’assujettissement global de l’association GENETHON au motif que l’activité lucrative est indissociable de l’activité non-lucrative.
Assurément, dans cette affaire, l’association GENETHON aurait certainement dû étudier la possibilité de procéder par voie de filialisation[7]BOI-IS-CHAMP-10-50-20-10 afin de tenter d’éviter l’application des impôts commerciaux et préserver son secteur non lucratif.
En savoir plus :
V. JA 2024, n° 694, p. 36, étude C. Amblard
JA 2023, n° 681, p. 13, tribune C. Amblard
C. Amblard, « L’utilité sociale : l’avantage compétitif des associations », Institut ISBL, 26 févr. 2020
C. Amblard, La Gouvernance de l’entreprise associative, Éditions Juris – Dalloz, 2019
C. Amblard, « “Statut ne vaut pas vertu”, oui mais… », Institut ISBL, 30 avr. 2018
- Colloque ARJESS – La reconnaissance légale de l’ESS : où en est-on dix ans après ? - 7 octobre 2024
- Dossier Juris Associations – Mécénat : qui ne risque rien… - 30 septembre 2024
- Replay AGORA D.O.D.E.S. – Repenser et renforcer la démocratie dans nos organisations pour aborder les transitions - 29 septembre 2024
References
↑1 | CA Versailles, 6 fév. 2024, n°22VE00104 (inédit) |
---|---|
↑2 | C. justice adm., art. L 761-1 |
↑3 | BOI-IS-CHAMP-10-50-20-20, n°20 et s. |
↑4 | BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, n°50 et s. |
↑5 | BOI-IS-CHAMP-10-50-10-10, n°140 et s. |
↑6 | Pour 2024, le montant de la franchise commerciale est porté au seuil de 78 586 euros |
↑7 | BOI-IS-CHAMP-10-50-20-10 |