Une récente étude révèle que les recettes d’activité privées sont passées, entre 2005 et 2017, de 32 % à 42 % en part de budget cumulé du secteur associatif [1]. Faut-il s’en inquiéter ?
Certes, l’on pourra toujours regretter que les associations ne soient pas mieux soutenues par les pouvoirs publics, notamment par l’octroi d’un volume de subventions proportionnel à leur apport en termes d’utilité sociale ou d’intérêt général. Mais, face à un gouvernement prioritairement tourné vers la « start-up nation » et maîtrisant difficilement la dette publique (+43,6 milliards d’euros pour le premier trimestre 2019), quelles autres solutions les associations ont-elles pour faire face aux nombreux défis sociaux auxquels elles sont actuellement confrontées ? Avec le développement de nouvelles pratiques associatives consistant à investir la sphère économique pour compenser la baisse des subventions publiques, peut-on raisonnablement affirmer que nous assistons à la dérive d’une liberté, celle de s’associer librement dans un but non lucratif ? Non, à l’évidence, et cela pour plusieurs raisons :
- la première parce que l’idée qu’une association offrant des services ou des biens à la vente puisse être reconnue comme une entreprise à part entière [2] n’entraîne pas automatiquement une remise en question de sa qualité d’organisme sans but lucratif, au sens juridique[3] comme au sens fiscal du terme, pour peu qu’elle ne distribue aucun de ses bénéfices à ses membres et dédouble ses prestations d’une plus-value sociale ajoutée (règle des « 4 P ») ;
- la deuxième parce que l’idée même qu’une entreprise humaine puisse être statutairement organisée autour de la propriété impartageable des bénéfices[4] fait d’elle un opérateur économique particulièrement adapté à notre temps (absence de capital, réinvestissement des résultats dans l’entreprise) et singulier dans une économie de marché. Or, si ce nouveau mode d’entreprendre venait à se développer de façon hégémonique, il déboucherait immanquablement sur un nouveau paradigme économique, au moment même où le système néolibéral dominant produit toujours plus de travailleurs pauvres et d’inégalités – en 2017, 14,1 % de la population française vivait sous le seuil de pauvreté monétaire[5] ;
- enfin, parce que, parallèlement, depuis une trentaine d’années, il existe un lien évident entre cette situation générant un nombre grandissant d’exclus et l’expansion du bénévolat. En effet, face à l’impuissance de l’État, au niveau élevé de chômage, l’envie de se rendre utile et de jouer un rôle face à la désagrégation sociale est de plus en plus forte. Les changements constatés dans la pratique associative démontrent que l’association n’est plus seulement un mode d’action collectif, elle l’est aussi à titre individuel : nos concitoyens ne veulent plus seulement recevoir, ils veulent participer (self-aid). C’est ainsi que l’on assiste de plus en plus à l’émergence de groupes qui apportent des solutions à leurs propres difficultés.
Cependant, admettre l’association à caractère économique en qualité d’entreprise associative ne suffit plus. Pour éviter tout risque de banalisation, ce nouveau cadre entrepreneurial devra perpétuellement tendre vers l’innovation sociale[6]. Pour revendiquer un statut d’exception – ce qui ne veut pas dire un statut privilégié –, il devra conserver une finalité socialement intéressée et/ou d’intérêt général. Et pour être appréhendé comme une véritable force de transformation sociale, il lui faudra également adopter des modes de gouvernance renouvelés, à savoir partagés, transparents et ouverts à l’évaluation.
Colas AMBLARD
Président de l’Institut ISBL
[1] V. Tchernonog, L. Prouteau, Le Paysage associatif français – Mesures et évolutions, coll. « Hors-série », Juris éditions – Dalloz, mai 2019
[2] Cons. const., décis. no 2006/22 I du 26 oct. 2006 ; L. no 2014-856 du 31 juill. 2014, JO du 1er août, art. 1er
[3] L. du 1er juill. 1901, art. 1er
[4] L. du 1 juill. 1901, préc.
[5] enquête Insee 2017 sur les niveaux de vie et la pauvreté, sept. 2019
[6] L. n° 2014-856, préc., art. 15
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