« Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance ! » Cette formule du candidat de l’époque à la présidence de la République prononcée au Bourget en janvier 2012 avait fait mouche. Puisque l’heure est au bilan, que faut-il retenir de cette mandature présidentielle sur le point de s’achever ?

1/ L’émergence d’un monde économique nouveau

Lutter contre la finance, ce n’est pas simplement s’attaquer aux banques au sens propre comme au sens figuré – compte tenu du climat d’insurrection qui règne actuellement – ni lutter contre les paradis fiscaux. En raison de la mondialisation de nos économies, de tels angles d’attaque requièrent la mobilisation de nombreux pays. La France, seule, ne peut rien ou pas grand-chose si ce n’est impulser la démarche au sein de l’Europe toute entière, ce qui constituerait déjà un premier pas non négligeable. Le débat n’est pas là.

Lutter contre la finance, c’est également promouvoir l’économie sociale et solidaire (ESS)[1]. Pourquoi ? Simplement parce ce que cette économie, à la différence de l’économie capitalistique libérale, ne repose par sur la mobilisation de capitaux. Certes, les coopératives se structurent autour de la forme commerciale, néanmoins cette forme d’organisation économique est contrebalancée par l’adoption au sein de ce type d’entreprise de principes fondamentaux tels que la démocratie, la solidarité…. Certes, l’ESS intègre dans son périmètre des sociétés commerciales classiques, mais dans cette hypothèse ces dernières doivent obtenir l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » [2]  entraînant pour elles des contraintes importantes et une vraie démarche d’utilité sociale. Pour la plupart des entités composant ce secteur d’ESS, si elles peuvent réaliser des bénéfices, celles-ci ne devront en aucun cas faire l’objet d’un partage entre leurs membres. Tel est le principe de fonctionnement autour duquel s’organise le secteur associatif en particulier[3].

En promulguant la loi relative à l’ESS en juillet 2014, le Gouvernement actuel a ouvert une véritable brèche dans notre conception habituelle de l’économie et la production des richesses. Oui un organisme sans but lucratif peut dégager des bénéfices[4] ! Oui il peut employer des salariés ! Oui il sera redevable des impôts commerciaux (IS, TVA) lorsque les conditions de réalisation (règles des « 4 P ») de ces bénéfices seront identiques à celles d’une entreprise commerciale traditionnelle ! Parce qu’entreprendre sous statut associatif, contrairement aux idées reçues, ne confère a priori aucun avantage sur le plan fiscal[5]. Ou en tout cas, si une association réalise des activités lucratives (au-delà de certains seuils de franchise[6] ou d’exonération[7]), tout en continuant à être non assujettie, c’est simplement parce qu’aucun contrôle n’aura été effectué par l’administration fiscale !

Qu’est-ce qui différencie dans ces conditions, une association qui réalise des activités économiques (susceptibles de générer des bénéfices) d’une société commerciale traditionnelle ? Tout d’abord, le but poursuivi : les dirigeants de l’entreprise associative demeureront bénévoles ou seront rémunérés dans certaines limites[8] et en contrepartie d’un travail effectif[9] au sein de la structure. Ensuite, le mode opératoire retenu pour générer ces bénéfices : soit parce que l’association se situe sur un champ non concurrentiel (exemple : le secteur des services à la personne au milieu des années 70), soit parce que l’intervention économique de l’association se distingue de celle de ses concurrents au regard des critères liés à l’offre proposée et au public bénéficiaire (ces deux principaux critères permettront de caractériser son utilité sociale), ainsi que ceux attachés au prix (qui doit être nettement inférieur à ceux qui sont pratiqués par le secteur marchand) et à la publicité.

De telles différences dans les modes opératoires économiques demeurent encore aujourd’hui difficilement perceptibles – et donc compréhensibles – par le grand public, y compris parfois par les acteurs de l’ESS eux-mêmes. Prenons donc l’exemple des maisons de retraire, secteur de services à la personne constituant un « marché » énorme compte tenu de la tendance actuellement liée au vieillissement de la population. Les maisons de retraite peuvent tout à la fois être gérées par, soit le secteur associatif (80% de secteur social, sanitaire et social et médico-social est actuellement géré par des associations ou fondations), soit de grands groupes capitalistes marchands. Quelles différences peut-on tirer de ces deux modes d’exploitation ? A la différence de secteur marchand privé, le secteur associatif pourra intégrer les familles dans les instances de gouvernance de la maison de retraite en question (cogestion), devra réinvestir les excédents dégagés dans la maison de retraite elle-même (en raison de la prohibition de toute distribution de dividendes) pour, soit améliorer les conditions d’accueil et d’encadrement de nos aînés, soit diversifier son offre, soit diminuer le prix de sa prestation. Étant entendu que lorsque les prix diminuent, la prestation devient mécaniquement accessible à une couche de population qui initialement n’avait pas accès aux services proposés.

En promulguant cette loi tant attendue par les acteurs de l’ESS, le Gouvernement actuel a ainsi jeté les bases d’une « autre » économie, plus humaine, plus digne, plus proche des préoccupations des citoyens. Il a aussi tenté de lutter contre le chômage dans la mesure où l’ESS constitue aujourd’hui l’un des rares secteurs créant encore de l’emploi, des emplois souvent non délocalisables du fait de leur ancrage dans les territoires. Cette dynamique de création d’emplois dans l’économie sociale et solidaire conforte un secteur qui résiste mieux à la crise économique et crée des emplois à forte valeur ajoutée sociale. En effet, depuis 2000, l’emploi privé dans l’économie sociale et solidaire a progressé de 24% alors qu’il n’a progressé que de 4,5% dans le secteur privé hors ESS. D’ici 2020,  600 000 recrutements sont envisagés en raison du renouvellement des générations[10].

2/ La lutte contre la prédation financière, le lobbying pour la défense de l’intérêt général et les biens communs

Lutter contre la finance, c’est aussi permettre l’élaboration de politiques publiques qui ne soient plus conçues par et pour une élite mais en vue de satisfaire l’intérêt général. Pour cela, il faut en finir avec le productivisme, le court-termisme et la recherche du profit à tout prix. Combien de lois ont avorté ou ont raté leur cible initiale – ce qui revient à la même chose – sous les coups de boutoir des lobbies de tout horizon. Pour en finir avec ces déviances mortifères pour notre démocratie, il fallait réintroduire une dose de participation citoyenne. Il fallait permettre à des concitoyens, de plus en plus éclairés, de réinvestir le débat public, leur redonner la possibilité de peser dans l’élaboration des lois, aussi bien au stade de la proposition qu’à celui du contrôle. C’est pour cela que, outre la loi d’ESS du 31 juillet 2014[11], une Charte d’engagements réciproques, État – Régions- Associations, a été signée le 14 février 2014 dans le but de conforter le rôle des corps intermédiaires en matière politique.  Par ailleurs, la Circulaire du 29 septembre 2015[12] a réaffirmé le rôle fondamental des associations en tant que partenaire de l’État et des collectivités territoriales dans le rôle de co-construction des politiques publiques : « Au cœur de la société civile, les associations occupent une place essentielle dans la vie collective de la Nation et le fonctionnement de notre modèle de société ». Le texte souligne par ailleurs « il est indispensable de conforter le rôle des associations dans la construction de réponses originales et pertinentes aux enjeux actuels ».

Fort de ce constat, nous ne pouvons que remercier le Président Hollande et ses gouvernements successifs pour le travail accompli. Certes, le constat doit être nuancé dans la mesure où l’ensemble des parties prenantes rencontre un peu de difficultés à s’orienter dans le sillon qui a été tracé et à s’emparer de ces outils mis à leur disposition. Enfin, il est certain que les tentatives de redressement de la France n’ont pas suffit à enrayer la diminution des soutiens financiers accordés au secteur associatif.

Mais, les fondations permettant l’émergence d’une économie plus humaine ont été jetées durant cette mandature. Incontestablement, nous pensons que l’Histoire lui donnera raison. A nous désormais, simples citoyens, de nous saisir de cette opportunité pour travailler ensemble à l’introduction de plus de démocratie et de solidarité au sein de notre économie.

Colas AMBLARD, Directeur des publications






Notes:

[1] G. Lacroix – R. Slitine, L’économie sociale et solidaire, collec. Que sais-je ? Ed. PUF, 02/11/2016Auteur:

[2] L. 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, art. 2

[3] L. 1er juillet 1901, art. 1

[4] CJCE 21 mars 2002 aff. 174/00 : RJF 6/02 n°736 ; CE 21 nov. 2007 n°291375 : RJF 2/08 n°132

[5] BOFIP impôts – BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20-20120912

[6] CGI, art. 206, 1 bis, 261, 7-1° b et 1447, II

[7] CGI, art. 206, 7-1° a et b

[8] CGI, art. 261-7, 1° d ; BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, n°370

[9] CGI, ann. II art. 242 C

[10] Source : economie.gouv.fr

[11] L. préc. 31 juill. 2014, art. 7, 8 et 9 : organisation des politiques territoriales de l’ESS

[12] Circulaire n° 5811-SG du 29 septembre 2015 relative aux nouvelles relations entre les pouvoirs publics et les associations.

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