Alors qu’une nouvelle Secrétaire d’État auprès du Ministre de l’économie, des finances et de la relance a été chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable, alors que la crise de la COVID montre l’évidence et la nécessité des circuits de production-distribution courts et l’implication des parties prenantes dans les organisations dont elle sont membres, alors que plus que jamais l’économie doit être placée au service des personnes, il est indispensable de remettre en avant les entreprises de l’économie sociale et solidaires et d’avoir une réflexion sur leur pratiques de management.

 

C’est quoi l’économie sociale et solidaire (ESS) ?

Les associations, les mutuelles, les coopératives et, plus généralement, les entreprises agréées « Entreprises solidaires d’Utilité́ Sociale » (ESUS) dans le cadre de la loi de 2014 forment l’ESS. En plus de leurs missions, ces entreprises ont pour finalité d’apporter une réponse de qualité aux attentes et aux besoins de leurs membres. Leurs modèles juridiques n’autorisent pas l’appropriation individuelle des excédents de gestion comme seule finalité. Tournée vers l’entraide, l’ESS décline dans le monde économique une facette de la devise républicaine : la fraternité[1]Leroux, L’économie sociale – La stratégie de l’exemple.. L’ESS n’est pas pour autant une économie de la misère. Si le profit n’est pas l’objectif de ses entreprises, leur rentabilité reste le principal moyen de leur finalité. Elles se retrouvent dans l’obligation de maintenir ou d’atteindre un certain niveau de performance tout en veillant à mettre en place un management qui soit le relais et l’incarnation de leur projet fondateur. Comment procèdent-elles ?

 

L’ESS : un univers de valeurs et de sens

Les valeurs d’une organisation forment un ensemble de croyances et de règles qui fournit aux parties prenantes un cadre de référence (culture, langage commun) pour guider leur action. Ce qui est propre à une entreprise de l’ESS c’est son projet fondateur qui, par la nature militante et politique de l’acte entrepreneurial qu’il représente, est une réponse à une situation socio- économique dégradée ou problématique. Ainsi, les valeurs qui ont d’abord présidé à la création de l’entreprise en deviennent ensuite le cadre du modèle de gestion et définissent les principes de gouvernance et de management.

L’ESS propose donc une application concrète de la gestion collective des problématiques d’intérêts communs alors que la théorie économique standard a longtemps négligé de considérer différemment les deux natures des biens : ceux qui concernent chaque individu isolement et ceux qui concernent un ensemble des personnes collectivement. Les principes posés par la Charte de l’économie sociale et sur lesquels s’engagent les entreprises de l’ESS, profilent les conditions d’une opportunité économique crédible et philosophiquement en phase avec la théorie des biens communs. C’est une rupture avec le principe de la modernité[2]Flahault, Où est passé le bien commun ?, pour lequel c’est l’individu seul qui entend maitriser le monde pour son intérêt. Avec la théorie des biens communs, une nouvelle forme de gouvernance s’impose : la gestion du bien par les parties prenantes concernées directement. Elinor Oström propose ainsi d’envisager un modèle de gestion d’un bien commun par les bénéficiaires mêmes de ce bien[3]Ostrom, Governing the commons.. Cette logique de gestion collective se retrouve au sein des entreprises de l’ESS et amène à remobiliser les notions de collectif et de communauté. C’est cette gestion collective des biens communs qui permet d’atteindre l’objectif d’utilité sociale[4]Parodi, « L’utilité sociale pour éclairer la face cachée de la valeur de l’économie sociale ». que les entreprises de l’ESS se sont fixées. Les entreprises de l’ESS, par la force du collectif qu’elles organisent, proposent une organisation du vivre ensemble qui se démarque de la réalité des entreprises classiques. Ce n’est pas un hasard si elles ont été un moteur de la création de la notion de l’entreprise à mission. Reste alors à faire vivre ce collectif jusque dans le management.

 

Pour un management par les valeurs

L’importance des valeurs est telle dans l’ESS que la spécificité managériale consiste à en faire un élément de partage et de pilotage de la performance, dans une amélioration continue opérant à quatre niveaux : économique, juridique, organisationnel et social. Ainsi, si la performance reste économique, s’estimant à l’aune de la rentabilité et de la productivité, elle s’inscrit également dans une dimension juridique en termes de conformité légale et règlementaire, elle comporte un volet organisationnel à travers le développement des compétences des collaborateurs, et, surtout, elle est sociale par la mission qu’elle se fixe. Elle est créatrice de synergies des parties prenantes et suscite l’implication et la satisfaction des collaborateurs dans leur activité quotidienne et l’exercice de leurs responsabilités professionnelles. Contribuant au développement des potentiels des acteurs de l’entreprise, donnant du sens à leur engagement dans l’organisation, la performance globale des entreprises de l’ESS est un vecteur essentiel de la qualité de vie au travail, grâce à un management cherchant la cohérence avec les valeurs originelles du projet.

 

Conclusion

Chaque entreprise de l’ESS est née d’un projet d’utilité sociale et est animée par le souci de faire vivre ce projet en répondant au mieux aux attentes de ses membres. De ce fait, les valeurs qui la fondent, qu’elle défend et qu’elle affiche sont structurantes de son mode d’organisation et du vivre-ensemble qu’elle propose à ses collaborateurs[5]Lacan, « Le management par les valeurs de trois entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) : une mutuelle, une coopérative et un groupe de prévoyance ».. Pour autant, le partage de ses valeurs et la connaissance de son projet fondateur ne sont pas évidentes pour ses salariés, et les managers de l’entreprise jouent un rôle prépondérant. En tant que porteurs de sens, ils vont animer les équipes de collaborateurs de l’entreprise et leur permettre de situer leur action individuelle au regard du projet collectif[6]Lacan et Silva, François, Repenser le management.. Ainsi le management par les valeurs est-il porteur de performance non seulement sociale mais aussi économique. Mais attention, statuts n’étant pas vertus, rien n’est acquis et les entreprises de l’ESS doivent être proactives en termes de management, elles sont quasiment condamnées à faire « mieux qu’ailleurs ». C’est le prix à payer pour ne pas créer de dissonances cognitives chez les collaborateurs[7]Festinger, A Theory Of Cognitive Dissonance..

 

Arnaud LACAN, Professeur de management – Chercheur – Conférencier

 

 

En savoir plus :

 

Arnaud LACAN, François SILVA (2020), La gouvernance par les valeurs comme élément de performance des organisations de l’ESS : l’éclairage postmoderne, Recherche en Sciences de Gestion-Management Sciences-Ciencias de Gestión, 2020, n°137.

Arnaud LACAN, « Le management par les valeurs de trois entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) : une mutuelle, une coopérative et un groupe de prévoyance. », RIMHE – Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise, n°38.

 

Print Friendly, PDF & Email

References

References
1 Leroux, L’économie sociale – La stratégie de l’exemple.
2 Flahault, Où est passé le bien commun ?
3 Ostrom, Governing the commons.
4 Parodi, « L’utilité sociale pour éclairer la face cachée de la valeur de l’économie sociale ».
5 Lacan, « Le management par les valeurs de trois entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) : une mutuelle, une coopérative et un groupe de prévoyance ».
6 Lacan et Silva, François, Repenser le management.
7 Festinger, A Theory Of Cognitive Dissonance.





© 2024 Institut ISBL |  Tous droits réservés   |   Mentions légales   |   Politique de confidentialité

Vous connecter avec vos identifiants

Vous avez oublié vos informations ?