5 ans après son lancement, la Cour des comptes retrace dans un récent rapport, sa mise en œuvre depuis 2019 et juge la généralisation du SNU « non préparée » et « à marche forcée ». Explications.
Le dispositif SNU n’est pas une mesure coercitive. Il ne cherche pas à contraindre les jeunes (du moins sur le papier…). Cependant, il est clair que pour généraliser le dispositif, il lui faut un petit coup de pouce. La Cour des comptes souligne dans son rapport public thématique de synthèse (2024, p. 5) que « Dans la perspective d’une généralisation, il reste difficile de savoir, parmi les différentes phases du SNU, ce qui relèvera d’une obligation et ce qui relèvera d’un engagement volontaire, du jeune ». Nous estimons que la solution du SNU est inadaptée d’une part, pour des raisons de légitimité et d’autre part, elle représente une mauvaise interprétation des notions d’« engagement », de « mixité » et de « citoyenneté »[2]https://www.mjcroguet.fr/wp-content/uploads/sites/106/2023/01/snu.pdf. Les buts reliés au processus sont nombreux et contradictoires : assurer une participation à la mixité territoriale et sociale, accompagner l’insertion ainsi que l’orientation des jeunes, solidifier la cohésion nationale, déployer une culture de l’engagement, contribuer au développement de l’esprit de défense et de la résilience, faire exister les valeurs républicaines, etc. La communication ayant mis en avant certains de ces objectifs, selon l’actualité en vigueur, ils se sont multipliés au fur et à mesure de la mise en application du dispositif. Le rapport complet de la Cour des comptes (2024, p. 24) précise que « certains objectifs restent d’ailleurs difficiles à saisir concrètement… évaluables ».
D’autant que, la variété de ces buts se traduit dans la densité et les multiples choix de modules du séjour de cohésion : aussi pour les séjours 2024 sont différenciés des modules « nationaux » (journées défense et mémoire, valeurs de la République, PSC1[3]Formation prévention et secours civiques de niveau 1)[4]https://eduscol.education.fr/document/52644/download, journées sécurité intérieure, mais aussi des « thématiques transversales » (autonomie des jeunes : autopositionnement, démocratie interne, prévention des addictions et santé, éducation budgétaire, développement durable, activités physiques, sportives et de cohésion). Ainsi, on peut légitiment se poser la question du lien entre les modules du séjour et l’objectif de départ à savoir favoriser l’« engagement », la « mixité » et la « citoyenneté » .
Cette multitude de buts à atteindre durant le séjour de cohésion (phase 1) a abouti à un climat d’incertitude sur les aspirations et le sens du SNU, avec pour conséquence des attentes variées quelquefois contradictoires. On constate également que les informations communiquées autour de ce séjour, en particulier celles centrées sur l’aspect militaire et sportif ont participé à opacifier son image. Par exemple des juges ou des éducateurs ont orienté des jeunes vers ce séjour en l’associant à un centre de redressement ou de rétention pour mineurs[5]Retours d’expérience annuels des services déconcentrés du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse (MENJ). Voir également les pages 25 et 26 du rapport de la Cour des comptes … Continue reading. Cette conséquence a été pointée par l’INJEP[6]Les enquêtes annuelles d’évaluation du SNU sont réalisées par l’Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire (INJEP), service à compétence nationale du ministère de … Continue reading(Institut de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire) chargé de l’évaluation du processus, mettant en avant tant la déception que la confusion de ces jeunes qui pouvaient s’attendre à un séjour militaire et sportif (Rapport complet de la Cour des comptes 2024, p. 24)
Or, nombre d’associations de jeunesse, d’éducation populaire et de l’ESS s’accordent à dire que notre société est impactée par la ségrégation, le manque de lieux de rencontre, de solidarité et de don de soi. Il est donc urgent d’agir et de repenser notre façon de vivre et faire ensemble. Nous affirmons que la solution repose sur une construction collective, en prenant appui sur des valeurs de solidarité et de fraternité. Les enjeux soulevés en termes de valeurs dépassent largement la sphère de la jeunesse.
Le concept du Service National Universel (SNU) n’est pas véritablement universel. Il impose à la tranche d’âge des 16 – 25 ans (phase 3) de prendre en charge différentes problématiques sociétales, tout en leur proposant une immersion en internat « 12 jours consécutifs ou 84h perlées » (rapport Cour des comptes synthèse, 2024, p. 5) pour leur inculquer les notions de citoyenneté, de mixité et d’engagement. Ne vaudrait-il pas mieux renforcer les moyens financiers et humains des lieux d’apprentissage traditionnels, tels que les établissements scolaires, associations de jeunesse et d’éducation populaire, ainsi que l’ESS ?
L’engagement est basé avant tout sur une démarche volontaire. À notre sens, c’est à travers des rencontres, formelles ou informelles, par le biais de supports comme la culture, l’art, la musique, la lecture ou le cinéma, que la passion peut émerger. Et si elle ne se manifeste pas d’emblée, nous avons tout le temps pour la découvrir.
Nous soutenons l’idée que c’est dans l’attrait de l’expérience, telle que John Dewey[7]Zask, J (2015). I. La philosophie sociale : son sens, sa fonction. Introduction à John Dewey. La Découverte. l’envisageait, que l’enfant, le (la) jeune ou l’adulte peuvent trouver des opportunités de faire des rencontres avec des personnes inconnues et des univers inexplorés. Mais c’est essentiellement leur voyage intérieur qui laissera l’empreinte la plus significative.
Un dispositif n’est pas à considérer comme une finalité. Il doit être flexible et adapté aux enjeux de la société, et doit être constamment réévalué afin de remplir le ou les objectifs définis. Or, depuis la création du SNU, son approche est rigide, uniformisée et éloignée de la réalité.
Le SNU ne peut pas être dissocié des politiques publiques en vigueur, car, dans cette posture, il risque d’exclure une partie de la population. Dans une France de plus en plus fragmentée par l’appauvrissement du brassage social et territorial, l’objectif de mixité défendu par le SNU en tant que solution nous parait illusoire. La coconstruction démocratique exige la participation d’une grande diversité d’individus issus de la société civile, du marché du travail ou du monde politique, tant au niveau individuel que collectif. Le défi réside donc dans l’émergence des savoirs et des problématiques publiques. Cet enjeu ne peut être relevé que si les acteurs populaires prennent conscience de leur rôle et de leur pouvoir : celui de s’inscrire dans les rapports sociaux et d’en modifier la direction.
Le SNU avance l’idée d’un « projet de société », dans laquelle les notions de résilience de la Nation, de cohésion nationale, d’engagement, d’orientation et d’insertion des jeunes sont promus. Ce qui peut sembler de prime abord louable. Sauf que l’essence même du dispositif se fonde sur un discours « centrée sur les aspects proches du cadre militaire du dispositif » [8]rapport public thématique de synthèse p.6. Est-ce à dire que les politiques sociales doivent adopter un cadre militaire dans leurs missions ? Quel est le lien entre le « projet de société » et le cadre militaire du dispositif ?
Ainsi, il nous parait évident qu’il appartient à l’ensemble de la population de remodeler nos communs et nos solidarités. Dès l’école, l’espace sociétal doit pouvoir susciter et faciliter les rencontres entre les individus, quelles que soient leurs caractéristiques (âge, lieu de résidence, genre, origine, classe sociale, état de santé, sexualité, handicap).
Pour rendre ce souhait plus concret, il est nécessaire d’amplifier et de fortifier les espaces déjà existants qui permettent aux jeunes et aux adultes de connaître leurs droits et d’y avoir accès. Il convient également d’admettre que le conflit sociocognitif est un facteur clé pour apprendre les bases de la démocratie. Le SNU n’est pas conçu comme un outil complémentaire des politiques publiques, susceptible d’illuminer la notion de coconstruction entre la jeunesse et le monde politique. Il se révèle plutôt comme le souligne Laurence Decock a « un projet dévastateur de mise au pas de la jeunesse… Gouffre financier de surcroit, le SNU prospère sur le déni du massacre en cours de l’école publique »[9]https://cafepedagogique.net/2023/03/13/sarah-el-hairy-la-lingua-vanitatis-et-le-snu/.
La Cour des comptes pointe qu’avec la généralisation du dispositif à l’horizon 2027, « il est davantage probable que les coûts de fonctionnement annuels du séjour de cohésion (soit la phase 1 du dispositif) se situent aux environs de 2,5 milliards d’euros, ce qui porterait le coût de fonctionnement annuel du dispositif (3 phases) à un total de 3,5 à 5 milliards d’euros, sans compter les coûts d’investissement à venir dans les centres d’hébergement, les éventuels surcoûts liés au changement d’échelle et les coûts portés par les autres financeurs publics » [10]Rapport complet, Cour des comptes, 2024, p. 14
Pour ne pas conclure, Camille Peugny, sociologue, spécialiste des inégalités, auteur de l’ouvrage « Pour une politique de la jeunesse » (Seuil, 2022), remarque que ces coûts démesurés devraient être restitués à l’Éducation nationale[11]https://www.mjcroguet.fr/wp-content/uploads/sites/106/2023/01/snu.pdf. Il est difficile de prévoir le devenir de ce dispositif onéreux et visiblement pas encore au point, alors que l’heure est aux restrictions budgétaires 2024 et que le soutien financier et humain du secteur associatif, de l’économie sociale et solidaire (ESS) et de la protection judiciaire affectée à le jeunesse, ainsi que le soutien de l’Éducation nationale sont incertains.
André Decamp, Doctorant en travail social codirection Université de Montréal et Université Libre de Bruxelles
En savoir plus :
INJEP décembre 2023 – Enquête d’évaluation des séjours de cohésion du SNU 2023
Enfin, l’été est fini !, Jean-Louis Cabrespines, Institut ISBL septembre 2024
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