La responsabilité d’un dirigeant de fait dans une association peut être engagée sous plusieurs aspects, notamment en matière civile et pénale. Une telle situation peut par ailleurs entraîner des conséquences importantes sur le plan fiscal pour le groupement lui-même. Revue de détail.
-
Définition de la notion de dirigeant de fait
1.1 Loi applicable
Selon l’article L651-1 du Code de commerce, les dispositions relatives à la responsabilité pour insuffisance d’actif sont applicables aux dirigeants de fait d’une personne morale de droit privé soumise à une procédure collective. En cas de liquidation judiciaire, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance sera supporté par les dirigeants de fait, comme le dispose l’article L651-2 du Code de commerce.
Cette disposition du Code de commerce trouve à s’appliquer, aux dirigeants de droit mais également aux dirigeants de fait de structures associatives.
1.2 Approche jurisprudentielle de la notion de dirigeant de fait
Récemment, la jurisprudence a été confrontée à de nombreux cas lui donnant l’occasion de préciser les critères permettant de caractériser la qualité de dirigeant de fait.
La Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 28 mars 2024[1]CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 28 mars 2024, n° 21/15189 a défini le dirigeant de fait comme « celui qui accomplit des actes positifs de gestion en toute indépendance et souveraineté, c’est-à-dire celui qui intervient activement dans la direction et se substitue au dirigeant de droit dans la prise de décision. »
La Cour de cassation le 08 octobre 2023[2]C. Cass., Ch. crim., du 8 oct. 2003, 02-88.011, Inédit a énoncé que la direction de fait s’apprécie de manière stricte et ne peut résulter que d’actes révélant la souveraineté et l’indépendance de la personne concernée, lui permettant de prendre en main l’ensemble des décisions de l’entreprise et de les imposer aux organes légaux de cette dernière.
La Cour d’appel de Paris dans une décision du 08 septembre 2023[3]CA Paris, Pôle 5 chambre 9, 8 sept. 2022, n° 22/01509 a confirmé cette approche en considérant qu’un dirigeant de fait est celui qui, sans mandat social, exerce en toute indépendance et souveraineté une activité positive et constante de direction et de gestion.
1.3 Cas d’espèce
Dans une association, comment en arrive-t-on à une telle situation où une personne (membre, tiers, salarié) s’arroge quasiment tous les pouvoirs de direction ? Plusieurs cas peuvent se présenter :
- Des dirigeants dépassés sur le plan technique : bon nombre d’activités associatives sont réglementées et nécessitent de solides connaissances techniques pour permettre à l’association de réaliser son objet statutaire. C’est en particulier le cas dans les secteurs suivants : social, médico-social, gestion et comptabilité, etc. Dans cette hypothèse, il n’est pas rare que des dirigeants de droit bénévoles, souvent d’un certain âge, laissent prospérer en interne un(e) directeur/trice salarié(e), au point que ce(tte) dernier(e) en vienne progressivement à se substituer à eux dans la prise des décisions.
- Une personnalité plénipotentiaire au sein de l’association : l’association étant avant tout une communauté humaine, il arrive qu’un membre, voire un dirigeant de droit, souvent « à fort caractère » ou « charismatique », s’arroge au fur et à mesure du temps un ensemble de pouvoirs en total contradiction avec l’organisation statutairement prévue en matière de gouvernance.
- Une volonté délibérée de gouverner tout en étant rémunéré : d’autres associations fonctionnent délibérément en contradiction avec leurs propres statuts. En d’autres termes, la véritable personne qui gouverne l’association n’est pas celle qui est déclarée dans les statuts déposés en préfecture. Souvent fondatrice du projet associatif, cette personne a recours à une gouvernance « fantôche » lui permettant d’apparaître facialement comme un salarié – souvent en qualité de directeur – pour tout à la fois, conserver la maîtrise de « son » projet, tout en percevant une rémunération qui ne soit pas susceptible de remettre en question le statut fiscal du groupement (cf. infra 3).
-
Comment la jurisprudence caractérise-t-elle la responsabilité des dirigeants de fait en cas de faute de gestion ?
La jurisprudence récente met en avant la nécessité de prouver la faute de gestion, le lien de causalité avec l’insuffisance d’actif, et la proportionnalité de la sanction, tout en excluant la responsabilité pour simple négligence. Les dirigeants de fait sont tenus responsables s’ils accomplissent des actes de gestion en toute indépendance et souveraineté.
2.1. L’existence d’une faute de gestion
La Cour de cassation dans un arrêt du 8 mars 2023[4]C. cass., Ch. com., 8 mars 2023, 21-24.650, Publié au bulletin a confirmé que la poursuite abusive d’une activité déficitaire peut constituer une faute de gestion engageant la responsabilité du dirigeant de fait, même si ce dernier a tenté de sauver l’entreprise : « Il résulte de l’article L. 651-2 du code de commerce que, lorsque le dirigeant d’une personne morale a commis une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire de la personne morale, le juge peut le condamner à supporter tout ou partie de cette insuffisance d’actif. »
La jurisprudence exige que la faute de gestion soit clairement établie et qu’elle ait contribué à l’insuffisance d’actif. Par exemple, la Cour d’appel de Bourges[5]CA Bourges, 1re ch., 11 janv. 2024, n° 23/00731 a récemment précisé que « la responsabilité des dirigeants pour insuffisance d’actif ne peut être retenue qu’à condition d’établir les trois critères suivants : l’existence de l’insuffisance d’actif, la preuve d’une faute de gestion déduite des agissements du dirigeant, sauf faute de négligence, et le lien de causalité entre la faute de gestion établie et l’insuffisance d’actif constatée. »
Encore très récemment, la cour d’appel de Bourges[6]Cour d’appel de Bourges, 1re chambre, 28 mars 2024, n° 23/00830 a confirmé que M. R.F. avait la qualité de dirigeant de fait de l’association et qu’il avait commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de celle-ci. M. R.F. avait interjeté appel de la décision en son ensemble, contestant les fautes qui lui étaient reprochées. La cour d’appel a considéré que les fautes de gestion étaient suffisamment graves pour engager sa responsabilité de M. R.F. et a confirmé sa condamnation à supporter l’intégralité du passif de l’association, soit la somme de 287. 984,43 €, outre remboursement à la partie adverse de 3. 000 € au titre de dommages-intérêts pour les frais d’avocats engagés par la partie adverse.
2.2. Lien de causalité
Il est nécessaire de démontrer que la faute de gestion a contribué à l’insuffisance d’actif. La Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion le 10 mai 2023[7]CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 10 mai 2023, n° 21/02215 a souligné que « le seul constat d’un passif ne suffit pas et un lien de causalité doit être établi entre la faute de gestion et l’insuffisance d’actif. »
La Cour d’appel de Paris[8]CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 30 mai 2024, n° 23/04076 a, quant à elle, rappelé l’importance de démontrer la réalité des fautes de gestion et leur lien avec l’insuffisance d’actif pour engager la responsabilité du dirigeant de fait : « Mme [D] [G] indique que le liquidateur ne démontre pas la réalité de chacune des fautes de gestion qu’il allègue, ni le préjudice, c’est-à-dire l’insuffisance d’actif, que chacune de ces fautes aurait causée. En l’absence de lien de causalité, elle conclut que la SELARL [F] [N] ne satisfait aucune des exigences posées par l’article L. 651 -2 du code de commerce et que, dès lors, sa responsabilité ne peut être mise en cause. »
Bien que concernant une société commerciale, cette jurisprudence est parfaitement transposable dans le cas d’une association.
2.3. Proportionnalité de la sanction
Après avoir classiquement rappelé que pour engager la responsabilité d’un dirigeant de fait, il est nécessaire de prouver le lien de causalité entre les fautes reprochées et l’insuffisance d’actif, la Cour d’appel de Versailles[9]CA Versailles, 13e ch., 16 mai 2023, n° 22/06770 a également pris en compte le caractère bénévole du mandat de président de l’association pour apprécier la faute de gestion : « Les appelants rappellent les conditions d’application de la sanction pécuniaire prévue à l’article L.651-2 du code de commerce en soulignant notamment la nécessité de prouver le lien de causalité entre les fautes reprochées et l’insuffisance d’actif qui doit être appréciée au regard des seules dettes antérieures au jugement d’ouverture, l’absence de responsabilité du dirigeant ayant simplement fait preuve de négligence et le fait que, concernant une association, la faute de gestion du dirigeant est appréciée au regard de sa qualité de bénévole. »
2.4. Responsabilité des dirigeants de fait
En matière de responsabilité civile, le dirigeant de fait peut être tenu responsable des fautes de gestion ayant causé un préjudice à l’association. La Cour d’appel de Bordeaux[10]CA Bordeaux, 30 mai 2013, n° 12/01578 a jugé que le président d’une association, en tant que mandataire, peut engager sa responsabilité personnelle pour faute de gestion, en tenant compte des limites posées par l’article 1992 du Code civil, qui dispose que la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit.
2.5. Exclusion de la simple négligence
La Cour de cassation[11] C. cass., ch. com., 2 oct. 2024, 23-15.995, Publié au bulletin ; v. égal. CA Bordeaux, 4ème ch. com., 29 avr. 2019, n° 18/06307 a rappelé que « la loi du 9 décembre 2016, qui écarte, en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif, est applicable immédiatement aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours. »
Cette jurisprudence a été reprise en matière associative par la Cour d’appel de Paris[12]CA Paris, Pôle 5 chambre 8, 20 sept. 2022, n° 20/07088 qui a néanmoins assortie sa décision d’une peine complémentaire : dans cette décision, Mme [S] contestait le jugement du tribunal de Meaux qui l’avait condamnée à payer 60.963,52 euros pour insuffisance d’actif et à une interdiction de gérer de deux ans. La Cour d’appel examine la responsabilité de Mme [S] pour faute de gestion, notamment son omission de déclarer la cessation des paiements et les licenciements irréguliers de deux salariés. La première instance a retenu des fautes de gestion, mais la Cour d’appel, après analyse, conclut que l’absence de déclaration n’a pas aggravé l’insuffisance d’actif. Elle infirme donc la condamnation à 60.963,52 euros, mais maintient une interdiction de gérer d’un an, sanctionnant ainsi une méconnaissance des règles de gestion. Mme [S] est condamnée à payer 3.000 euros pour insuffisance d’actif.
-
Conséquence fiscale pour l’association de la présence de dirigeant de fait ?
Pour être exhaustif, la question de la présence de dirigeant de fait est prise en compte en matière de fiscalité associative.
Sans surprise, la définition donnée[13] BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 n°380 est identique : « il est précisé que la notion de dirigeant de fait s’apprécie selon les mêmes critères qu’en matière de société. Les dirigeants de fait s’entendent des personnes qui remplissent des fonctions normalement dévolues aux dirigeants de droit, qui exercent un contrôle effectif et constant de l’association et qui en définissent les orientations. »
Dans ces conditions, quid du respect du critère de gestion désintéressée qui, en tout premier lieu, préside au maintien du statut de non-assujettissement de l’association (aux impôts commerciaux) ? Sur ce point, la doctrine fiscale est claire[14]Ibid. n°390 : « il est admis, sans qu’il soit besoin que les conditions exposées supra soient remplies, que le caractère désintéressé de la gestion de l’organisme n’est pas remis en cause, si la rémunération brute mensuelle totale versée à chaque dirigeant, de droit ou de fait, n’excède pas les trois quarts du SMIC. »
Cela étant, la maxime « pas vu pas pris » prend tout son sens : en effet, dans pareille situation, c’est au service des impôts « d’apporter la preuve d’une gestion de fait. A cette fin, il doit réunir le maximum d’éléments de fait permettant de retenir cette qualification (signature des contrats engageant durablement l’organisme, disposition des comptes bancaires sans contrôle effectif des dirigeants statutaires, etc.). »
Autre précision apportée par l’administration fiscale, et pas des moindres : « Toutefois, certains organismes ont recours à un directeur salarié qui participe à titre consultatif au conseil d’administration et dispose, le plus souvent, de pouvoirs étendus. La requalification de la fonction de directeur salarié en dirigeant de fait ne pourrait être mise en œuvre que s’il apparaissait que les membres du conseil d’administration n’exercent pas leur rôle, en particulier celui de contrôler et, le cas échéant, révoquer ce salarié et le laissent en fait déterminer la politique générale de l’organisme à leur place. »[15]Ibid. n°400
Conclusion
En conclusion, un dirigeant de fait dans une association peut voir sa responsabilité engagée tant sur le plan civil que pénal. La caractérisation de la direction de fait repose sur l’exercice en toute indépendance et souveraineté d’une activité de direction et de gestion. En cas de faute de gestion ayant contribué à une insuffisance d’actif, le dirigeant de fait peut être condamné à supporter tout ou partie de cette insuffisance. La responsabilité civile peut également être engagée pour les fautes de gestion causant un préjudice à l’association, avec une application moins rigoureuse pour les mandats gratuits. Enfin, l’existence de dirigeant de fait rémunéré au sein d’une association peut avoir pour conséquence une remise en question de son statut fiscal (de non-assujettie).
Colas Amblard , docteur en droit, avocat
En savoir plus :
Faute détachable des fonctions de dirigeant, Institut ISBL, novembre 2023
La révocation du dirigeant d’association, Institut ISBL, novembre 2023
Présider une association : la vigilance est de mise, Colas Amblard, octobre 2024
- Engagement associatif : petit lexique juridique - 27 novembre 2024
- Présider une association : la vigilance est de mise - 29 octobre 2024
- Association et dirigeant de fait : attention au retour de bâton ! - 29 octobre 2024
References
↑1 | CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 28 mars 2024, n° 21/15189 |
---|---|
↑2 | C. Cass., Ch. crim., du 8 oct. 2003, 02-88.011, Inédit |
↑3 | CA Paris, Pôle 5 chambre 9, 8 sept. 2022, n° 22/01509 |
↑4 | C. cass., Ch. com., 8 mars 2023, 21-24.650, Publié au bulletin |
↑5 | CA Bourges, 1re ch., 11 janv. 2024, n° 23/00731 |
↑6 | Cour d’appel de Bourges, 1re chambre, 28 mars 2024, n° 23/00830 |
↑7 | CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 10 mai 2023, n° 21/02215 |
↑8 | CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 30 mai 2024, n° 23/04076 |
↑9 | CA Versailles, 13e ch., 16 mai 2023, n° 22/06770 |
↑10 | CA Bordeaux, 30 mai 2013, n° 12/01578 |
↑11 | C. cass., ch. com., 2 oct. 2024, 23-15.995, Publié au bulletin ; v. égal. CA Bordeaux, 4ème ch. com., 29 avr. 2019, n° 18/06307 |
↑12 | CA Paris, Pôle 5 chambre 8, 20 sept. 2022, n° 20/07088 |
↑13 | BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 n°380 |
↑14 | Ibid. n°390 |
↑15 | Ibid. n°400 |