En novembre, l’Économie Sociale et Solidaire rassemble ses membres. Le mois de novembre est traditionnellement, depuis 2007, celui de l’ESS. Cette année n’y échappe pas et, dans chaque territoire, chacun s’attelle à présenter ce qu’est et ce que fait l’ESS pour les personnes et les territoires.
Comme l’indique ESS France, l’instance représentative de toutes les familles de l’économie sociale et solidaire : « En novembre, le Mois de l’ESS c’est le mois des acteurs qui font l’économie sociale et solidaire pour témoigner de ce qu’elle peut apporter à notre société en pleine transition ET le mois de tous les citoyens et citoyennes qui souhaitent découvrir cette économie ! ». Mais cette année, « il faut du cœur à l’ouvrage pour y aller ! » tant le sentiment qu’en France les avancées obtenues depuis des années, la reconnaissance de ce qu’est l’ESS comme mode d’économie autrement sont remis en cause par des décisions politiques qui détruisent tout ce que nous avons élaboré avec patience et conviction.
Je dis bien en France, car les échanges que nous avons pu avoir dans nombre de rencontres internationales montrent combien l’ESS est aujourd’hui non seulement une économie prise en compte, mais une économie alternative dans bien des situations.
La définition même de l’ESS, au plan international est celle que nous avons construite en France. Mais « autre temps, autres mœurs » et la dépendance du pouvoir en place avec les ennemis de l’ESS, conduit à une position ambiguë entre démonstration que l’on prend en compte cette économie et refus de l’aider à son développement. Pour être clair : nomination d’une ministre dédiée mais absence, voire suppression de financements demandée par certaines catégories de députés.
L’ESS par les ignorants
C’est d’ailleurs ce que pointe le Président d’ESS France : « J’avais eu l’occasion de partager avec vous ma stupéfaction devant la décision du gouvernement de baisser les crédits dédiés au développement de l’ESS de 25%. J’avais aussi exprimé la mobilisation de toute l’ESS après que l’UDES ait évalué à 186 000, le nombre d’emplois menacés dans l’ESS, si ce budget s’applique. Mais je tiens à décerner le pompon de l’irresponsabilité et de la violence sociale aux députés du Rassemblement National qui proposent ni plus ni moins que la suppression intégrale des crédits ESS. L’extrême droite n’aime ni la justice sociale, ni l’égalité, encore moins l’entrepreneuriat social, l’initiative citoyenne et la liberté associative. Elle le prouve : moins 100% pour l’ESS. »
Une fois de plus, c’est l’ignorance et le sectarisme qui priment. Dire de l’ESS : « La dépendance de ce secteur à l’égard de la dépense publique est d’autant plus problématique que les associations et entreprises bénéficiaires ne sont pas en capacité de générer une véritable valeur ajoutée économique », c’est ignorer qu’elle pèse 10% du PIB, 14% de l’emploi privé soit 2,5 millions d’emplois et qu’elle est une économie qui, dans les territoires, apporte des réponses en complémentarité des politiques publiques.
Un(des) budget(s) en déshérence
Et le mauvais coup porté dans le projet de budget pour 2025, prévoyant une baisse de 25% d’une enveloppe dérisoire au regard de l’importance des entreprises de l’ESS dans le développement économique de notre pays (19 millions d’euros), est un manque de considération à l’égard de ces entreprises. Cette première coupe budgétaire sera très probablement assortie d’un retrait des collectivités territoriales et locales qui voient, elles-mêmes, leurs capacités financières se réduire drastiquement dans le PLF (projet de loi de finance).
Mais la situation instable politiquement l’est tout autant dans les prises de position, les informations, les décisions et ce qui est vrai aujourd’hui peut être faux le lendemain.
En matière de financement de l’ESS et de la valeur qu’on lui accorde pour être une véritable force économique, il faut rester circonspect, savoir écouter, mais ne jamais se laisser prendre aux promesses ni aux revendications du travail exceptionnel fait par l’un ou l’autre. Un petit tour dans les posts de LinkedIn est éclairant à ce propos, entre une organisation qui nous explique que tout change dans les décisions de l’Assemblée Nationale grâce à ses interventions (le MOUVESS), donc qu’il n’y a pas à se faire de soucis car les lignes budgétaires de l’ESS sont correctes, et ESS France qui, poliment, lui rappelle que sa propre démarche (« n’oublie pas les liasses d’ESS France ») se fait au quotidien et au nom de TOUS les acteurs de l’ESS car, au contraire, il y a lieu de s’alerter sur la mise en danger de toutes les entreprises de l’ESS. Plus que jamais, nous devrions parler d’une même voix et celle que nous reconnaissons tous est celle d’ESS France.
Valse-hésitation
Alors, entre une conférence de presse organisée le 16 octobre 2024 et le lancement du MOIS de l’ESS, le 4 novembre 2024, les préoccupations restent et les promesses évoluent.
Le mercredi 16 octobre 2024, ESS France organisait une conférence de presse suite aux coupes budgétaires annoncées pour l’ESS et considérait qu’il s’agissait « d’un désastre pour les solidarités de proximité et un recul sans précédent pour l’ESS ».
Claire Thoury, Présidente Le Mouvement associatif , Hugues Vidor, Président de l’UDES, Marion Lelouvier, Présidente du Centre Français des Fonds et Fondations, Frédéric Gouedard, Administrateur fédéral de la FNMF – Fédération Nationale de la Mutualité Française, Michel Pier Jezequel, Président de la CRESS Bretagne et Vice-Président d’ESS France et Benoit Hamon, Président d’ESS France disait tous leurs inquiétudes face à la décision de cette baisse et les conséquences pour chacune de leurs familles, Benoit Hamon soulignant : « (…) C’est tout l’édifice des solidarités de proximité non-lucrative qui est menacé par des lames de baisses de crédits à différents niveaux (…). Nous élevons la voix et appelons les parlementaires à apporter les indispensables corrections. ».
Le lundi 4 novembre 2024, ESS France a lancé le Mois de l’ESS 2024 autour du fil rouge thématique de cette édition : « Réparer la démocratie ». Démarche plus que nécessaire et constructive pour rappeler combien la démocratie est en danger dans un contexte de défiance à l’égard de la démocratie représentative et la difficulté à trouver des alternatives constructives pour une autre forme de démocratie (la représentation citoyenne est encore dans la recherche de la bonne manière de donner la parole à tous) ; démarche d’autant plus nécessaire que les fondements de l’ESS sont ceux d’un fonctionnement dans lequel la démocratie est le socle de sa construction.
Si cette thématique a été largement reprise et défendue par les interventions de Stéphane Junique, Président du Groupe VYV et de Benoît Hamon, Président d’ESS France, il était clair que la question de la relation entre les structures de l’ESS, leur financement, leur reconnaissance par l’État ne pouvait pas être ignoré et une interpellation de la ministre déléguée chargée de l’ESS, de l’Intéressement et de la Participation, Marie-Agnès Poussier-Winsback, présente à cette occasion, lui a permis de souligner l’importance d’avoir un ministère dédié afin « de mettre en avant les modèles économiques des structures de l’ESS et d’engager l’économie conventionnelle vers un capitalisme plus responsable« . La ministre a également réagi concernant le budget : « J’ai entendu vos inquiétudes concernant le budget. Je pense pouvoir en parler au passé (…) Nous aurons plus ».
Espérons que cette promesse soit tenue !
Les représentants des structures de l’ESS ont d’ailleurs fait part de leur inquiétude, voire de leur scepticisme, adressant une lettre ouverte au Premier ministre Michel Barnier dans laquelle ils rappellent : « … La baisse des crédits publics dans le domaine de l’aide internationale, de l’emploi, du travail, mais aussi des solidarités, du sport ou de la culture auront un impact considérable sur nos activités. Les transferts de 1,1 milliard de dépenses de santé de l’assurance maladie vers les acteurs mutualistes qui protègent la santé des Français affecteront aussi le pouvoir d’achat de nos concitoyens. À cela s’ajoute, la baisse des concours aux collectivité locales qui sera immanquablement répercutée sur les acteurs de l’ESS qui, d’un côté, ont recours aux subventions ou aux marchés publics et, de l’autre côté, par le mécénat et la philanthropie sont sollicités encore davantage quand les financements publics se réduisent comme peau de chagrin. La réduction de 25% de la ligne ESS du BOP 305 qui finance l’écosystème local permettant l’éclosion ou le passage à l’échelle des entreprises de l’ESS va instantanément diminuer la voilure de l’innovation sociale dans les territoires. En ce sens, la menace répétée d’une instabilité fiscale sur les incitations au don ou au mécénat porte le risque d’assécher la générosité des Français (particuliers comme entreprises de toutes tailles) qui financent la solidarité.
Ce sont cinq lames qui vont avoir un coût social immédiat sous la forme de milliers de suppression d’emplois à forte valeur ajoutée sociale, mais aussi un coût social différé à travers la croissance des désordres économiques, écologiques, démocratiques et sociaux que vont produire la disparition de nos crèches, EHPAD associatifs, fondatifs et mutualistes, nos ressourceries ou épiceries solidaires, nos AMAP ou clubs de sport amateur, nos radios associatives ou établissements culturels, nos colonies de vacances ou banques alimentaires…. »
L’espoir
Cela pourrait être d’autant plus réalisable que la lecture attentive des rapports parlementaires sur l’ESS montre qu’il y a, y compris dans les rangs du groupe Ensemble Pour la République (EPR) de l’Assemblée Nationale, un rapporteur qui soutient l’ESS tel que nous pourrions le faire.
En effet, « Le député macroniste Paul Midy, rapporteur du budget de l’économie sociale et solidaire, vient de rendre son rapport sur l’état économique du secteur à contre-sens des objectifs gouvernementaux d’économies budgétaires. Et propose un programme de développement de l’ESS pour le prochain quart de siècle.
L’alerte lancée par le monde de l’économie sociale et solidaire sur la réduction de ses crédits dans le projet de budget 2025 a trouvé des oreilles attentives au Parlement. Y compris sur les bancs des groupes qui soutiennent le gouvernement Barnier. Avec quelques temps d’avance sur l’agenda, le député Paul Midy, rapporteur cette année du budget de l’ESS à l’Assemblée, vient de faire connaître les conclusions de sa mission d’information. »[1]https://www.ash.tm.fr/management-reseaux/coups-de-rabot-sur-less-le-rapport-a-contre-courant-du-depute-paul-midy-957183.php
Dans un Post LinkedIn, le député déclare : « +25% pour le budget de l’ESS l’année prochaine ! J’ai présenté hier à l’Assemblée nationale mon rapport budgétaire sur l’économie sociale et solidaire (ESS). J’y fixe une proposition de cap avec trois grandes ambitions :
- Renforcer immédiatement le soutien de l’État pour accompagner les acteurs de l’ESS
- Valoriser pleinement l’apport à notre société des structures de l’ESS et les mettre durablement dans le droit commun
- Porter une ambition forte pour l’ESS et l’impact dans les 10 prochaines années autour d’un plan de mobilisation nationale.
Dès ce mercredi en commission des affaires économiques, j’ai présenté une série d’amendements au projet de loi de finances qui ont été adoptés, et qui vont permettre demain une augmentation de +25% du budget pour l’ESS en 2025 ! Cette nouvelle augmentation permettra notamment de renforcer le financement des têtes de réseaux et des dispositifs d’accompagnement tels que les DLA et les PTCE ».
Carenews souligne à ce propos[2]https://www.carenews.com/carenews-pro/news/rapport-parlementaire-bergere-de-france-abbe-pierre-les-breves-ess-de-la-semaine : « Il appelle notamment à instaurer une loi de programmation pluriannuelle dédiée à l’ESS pour sécuriser les financements publics ou à lancer un grand plan d’investissement « France 2050 » doté d’une enveloppe de 100 milliards d’euros avec un axe dédié à l’innovation sociale et environnementale. Il veut aussi « reconnaître pleinement l’apport des acteurs de l’ESS à la société et les intégrer durablement dans le droit commun » : il déplore en particulier que les dispositifs de soutien à l’innovation soient centrés sur l’innovation technologique au détriment de l’innovation sociale.
« C’est un rapport de grande qualité », salue Antoine Détourné, le délégué général d’ESS France auprès de Carenews. « Paul Midy a témoigné d’une grande écoute auprès de l’ensemble des représentants des acteurs de l’ESS, nous nous retrouvons assez fortement dans les propositions et les conclusions du rapport. »
Nous devons donc espérer que les conclusions de Paul Midy soient reprises par la commission des finances et que les 25% de recul prévus dans le PLF deviennent 25% de supplément en faveur de l’ESS.
Espoir ou rêve ?
Jean-Louis CABRESPINES, ancien membre du CESE Délégué général du CIRIEC-France
En savoir plus :
Cette article a fait l’objet d’une publication dans La Lettre mensuelle du CIRIEC-France (novembre 2024)
- Il faut du cœur à l’ouvrage - 26 novembre 2024
- Un ministère pour l’ESS, pourquoi ? : pour faire baisser la contribution en direction de l’ESS ! - 29 octobre 2024
- Enfin, l’été est fini ! - 24 septembre 2024
References