Cela fait maintenant plusieurs années que je travaille dans le secteur de la lutte contre les exclusions.
Jamais je n’ai vu une situation aussi tendue et dégradée pour ce qui concerne la situation des personnes les plus démunies.
Partout où je regarde, des signaux d’alarme sont présents et doivent nous alerter collectivement :
- Dans les associations caritatives, qui voient affluer de nombreuses demandes (au moins +30% depuis la crise sanitaire) et doivent ainsi souvent « filtrer » les sollicitations en n’acceptant que les plus prioritaires.
Cela en laissant parfois de côté des personnes qui auraient réellement besoin d’aide et qui souffrent de la faim. - Dans les associations gestionnaires de l’hébergement / accès au logement avec une augmentation des durées de séjour des personnes (allant parfois jusqu’à plusieurs années) en raison d’un manque de fluidité vers le logement. Cela crée un embouteillage dans les dispositifs et les personnes à la rue y restent, faute de places qui se libèrent. Par ailleurs, les critères de priorisation des publics ont fortement changé du fait du peu de places disponibles. Il y a encore une quinzaine d’années, les femmes à la rue étaient prioritaires sur les demandes d’hébergement, qu’elles soient enceintes ou pas, qu’elles soient accompagnées d’enfants ou pas. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Le nombre de femmes à la rue est important, et l’on peut désormais voir des femmes enceintes. Il y a même quelques sages femmes de rue qui exercent. Merci à elles mais leur présence est un signal très pessimiste. A partir de combien de mois de grossesse doit on être considéré comme prioritaire pour être hébergé ? Cette question peut sembler choquante, mais pourtant elle se pose désormais. Nous pouvons constater une dégradation de l’accueil et de la mise à l’abri, cela pose de nombreuses questions en termes d’éthique, notamment aux travailleurs sociaux. Dans notre société, une femme enceinte est encore considérée comme une personne vulnérable et instinctivement, nous voulons les protéger. Comment alors accepter cela?
- Dans la rue, où les dispositifs de mobilier urbain « anti SDF », sont les signes d’une société qui va mal. Cela concerne toutes les villes de France et cela est visible. Certaines techniques sont empruntées afin de faire en sorte que les personnes sans-abri ne puissent pas s’installer dans certains lieux. Nous pouvons tous le constater dans notre quotidien. Ici, des plots implantés devant un immeuble, là des bancs arrondis ne permettant pas de se coucher… Il s’agit de la matérialisation d’un rejet, du souhait d’assurer une forme de tranquillité publique. In fine, les personnes sont toujours à la rue, toujours en danger.Alors que se finalise la négociation des budgets pour 2025, nous ne pouvons que craindre que plus de personnes se retrouvent à la rue encore l’an prochain. Il existe des solutions pour que les personnes sortent de la rue :
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- faciliter le désengorgement des structures d’hébergement d’urgence, afin de permettre à ceux qui sont à la rue d’être mis à l’abri,
- permettre à toutes les personnes sans papier qui travaillent d’être régularisées afin qu’elles sortent de ces dispositifs,
- construire des logements très sociaux dans les grandes métropoles…
Nous devrions tous ressentir une forme de honte face à l’existence de ces pots de fleurs géants, de ces bancs inhospitaliers et de ces plots de béton barbares. Prenons soin de ceux qui n’ont rien pour se défendre et dont la voix porte si peu.
Les perspectives budgétaires sont assez sombres. La forte réduction attendue de places dans les dispositifs de l’asile, ainsi que la réduction du nombre de nuitées hôtelières, laisse penser qu’un nombre plus élevé de personnes va se retrouver dehors.
Par ailleurs, les mesures toujours plus contraignantes envers les étrangers pourraient encore plus paralyser les situations, menant plus de personnes vers la clandestinité.
La mobilisation des bénévoles et salariés dans les associations, dans ce contexte, est complexe. La motivation et l’engagement même s’ils sont toujours là, sont mis à mal. Nous pouvons le comprendre car même en conservant des principes de bientraitance en tête, les situations vécues peuvent être totalement maltraitantes par la force de la réalité (remise à la rue sans solution…).
Il est nécessaire de repenser divers pans de notre solidarité nationale. Le système tel qu’il existe aujourd’hui va droit dans le mur. Si des milliers de personnes en plus se retrouvent à la rue, que va t’il advenir ?
Agir en situation d’urgence est possible, avec des actions humanitaires, mais notre rôle n’est pas de maintenir en vie des personnes mais bien de les aider à remonter la pente et s’en sortir.
Noémie Caponnetto, responsable projets, communication et partenariats associatifs
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