La loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) contient plusieurs articles applicables aux fonds de dotation. Pour autant, cette personne morale à but non lucratif entre-t-elle dans le champ d’application de l’ESS ? A priori non, même si la plasticité de la loi du 4 août 2008 devrait permettre à ces structures d’accéder au périmètre de l’ESS.
Instauré par les articles 140 et 141 de la loi de modernisation de l’économie, dite « LME », du 4 août 20081 , le fonds de dotation est entré en vigueur le 6 août de la même année. Il a pour objectif de financer des activités d’intérêt général ou/et des organismes sans but lucratif exerçant des activités d’intérêt général. À l’instar des fondations, des associations, mais également des mutuelles et des coopératives, cette nouvelle personne morale de droit privé s’organise autour du principe de propriété impartageable des bénéfices. Pour autant, peut-elle faire partie du périmètre de l’ESS ?
Périmètre de l’ESS
Pour mémoire, l’article 1er de la loi du 31 juillet 20142 précise que l’ESS « est un mode d’entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine auquel adhèrent les personnes morales de droit privé qui remplissent les conditions suivantes :
- un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices ;
- une gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant l’information et la participation, dont l’expression n’est pas seulement liée à leur apport en capital ou au montant de leur contribution financière, des associés, des salariés et des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise ;
- une gestion conforme aux principes suivants : les bénéfices sont majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise, [et] les réserves obligatoires constituées, impartageables, ne peuvent pas être distribuées3. »
Par ailleurs, la loi4 précise que « l’ESS est composée des activités de production, de transformation, de distribution, d’échange et de consommation de biens ou de services mises en œuvre par les personnes morales de droit privé constituées sous la forme de coopératives, de mutuelles ou d’unions relevant du code de la mutualité ou des sociétés d’assurance mutuelles relevant du code des assurances, de fondations ou d’associations régies par la loi du 1 juillet 1901 relative au contrat d’association ou, le cas échéant, par le code civil local applicable aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle».
A priori, le fonds de dotation ne fait Pas Partie de l’ESS…
À la lecture du descriptif du périmètre de l’ESS, rien de permet de dire que le fonds de dotation peut intégrer ce nouveau secteur économique. En effet, la loi étant d’interprétation stricte, il convient d’observer, dans un premier temps, que le fonds de dotation ne fait pas partie de la liste des personnes morales de droit privé nommément citées par la loi ESS. Dans un second temps, on peut objecter que le fonds de dotation a été instauré en vue d’« attirer les financements privés pour des opérations d’intérêt général 5. » A priori, cette personne morale n’a donc pas vocation à devenir un mode d’entrepreneuriat économique, ni à exercer des activités de production de transformation, de distribution, d’échange et de consommation de biens ou de services par ailleurs. Enfin, la question du fonctionnement démocratique est un frein à l’intégration du fonds de dotation au sein de l’ESS. En effet, le fonds de dotation est une structure naturellement unipersonnelle. Il permet une complète maîtrise du projet et des biens et droits apportés par le fondateur, évitant ainsi les habituels avatars liés à la mise en œuvre d’une vie démocratique (lenteur du processus décisionnel, instabilité voire conflits éventuels entre les parties prenantes…). À la différence du mode de fonctionnement habituel des associations ou même, à un degré moindre, de celui des fondations reconnues d’utilité publique (FRUP) – dans la mesure où les modèles de statuts proposés par le Conseil d’État6 obligent l’existence de trois collèges de membres au sein du conseil d’administration –, celui du fonds de dotation n’est pas a priori conçu pour respecter ce critère d’importance. Il convient de rappeler à ce stade que l’article 140 V de la loi LME du 4 août 2008 prévoit au contraire un mode de gouvernance relativement fermé : « Le fonds de dotation est administré par un conseil d’administration qui comprend au minimum trois membres nommés, la première fois, par le ou les fondateurs. » Lors de la présentation de la loi, le ministère de l’Économie lui-même l’a reconnu, à travers la position exprimée par Catherine Bergeal, « le fondateur peut être un dictateur7 », laquelle poursuivait en indiquant encore que « le fonds de dotation est un outil de financement, ce n’est pas une institution. » Par là-même, cette dernière semblait indiquer qu’une telle personne morale n’avait pas vocation à devenir autre chose qu’une entité unipersonnelle, entièrement dévouée à son fondateur qui pourra lui-même se désigner en qualité d’administrateur du fonds de dotation8. Incontestablement, le descriptif donné du fonds de dotation par ses concepteurs eux-mêmes démontre que le fonds de dotation n’a pas a priori vocation à intégrer la sphère de l’ESS.
… mais rien ne l’en empêche !
En dépit des prévisions du législateur, la plasticité de la loi du 4 août 2008 et la pratique actuelle démontrent que le fonds de dotation peut parfaitement intégrer ce périmètre de l’ESS en respectant les critères d’appartenance ci-dessus mentionnés.
Capacité à entreprendre
Cette problématique renvoie à la distinction à opérer entre le but de la personne morale qui ne doit pas être confondu avec son objet statutaire, représenté par l’ensemble des activités énoncées dans ses statuts et/ou effectives. En effet, la dissociation entre, d’une part, le but légal poursuivi par les fonds de dotation et, d’autre part, les activités énoncées dans les statuts ou effectivement réalisées (liées par exemple au secteur du sport amateur, de la culture…) apparaît particulièrement marquée dans le cas du fonds de dotation. À cet effet, il convient d’observer qu’au nombre des ressources envisageables pour un fonds de dotation l’article 140 III cite les « produits des activités autorisées par les statuts et des produits des rétributions pour service rendu ». Ce dernier dispose donc d’une pleine capacité juridique pour réaliser des activités économiques, voire commerciales9. Toutefois, ces activités doivent demeurer au service du but (légal) non lucratif du fonds de dotation, à l’instar du régime juridique applicable aux associations10. De ce point de vue, on observe une grande similitude entre les obligations imposées par la loi du 1er juillet 1901 en son article 1er et celles imposées par l’article 140, I et III de la loi LME du 4 août 2008. Ces activités économiques voire commerciales sont ainsi érigées en qualité « d’activités moyens11 » au service du but statutaire du fonds de dotation qui, quant à lui, doit demeurer non lucratif12. Par ailleurs, dans l’hypothèse où ces activités économiques seraient concurrentielles et deviendraient prépondérantes au sein du fonds de dotation, l’administration fiscale pourra notamment en cas de contrôle remettre en question la franchise commerciale13 et, partant le principe de non assujettissement aux impôts commerciaux (impôt sur les sociétés, taxe sur la valeur ajoutée, taxe professionnelle auquel se rattache le fonds de dota tion14. Par conséquence, tant sur le plan juridique que fiscal, il apparaît bien que le fonds de dotation peut constituer – au sens économique du terme – un mode d’entreprendre, même si cela demeure accessoire par rapport à son but statutaire.
Nature juridique
Le fonds de dotation n’a pas été conçu pour l’exercice de la démocratie en son sein : « Dans le cas du fonds de dotation, il n’y a pas de membres, d’assemblée générale, de démocratie15. » Par là-même, les concepteurs du fonds de dotation semblaient indiquer que cette personne morale n’avait pas vocation à devenir un groupement de personnes, l’Administration craignant ainsi que le fonds de dotation fasse « concurrence à ceux qui existent déjà16 ». Une telle position n’est cependant pas conforme à la loi du 4 août 2008 dans la mesure où le fonds de dotation se caractérise avant tout par la liberté statutaire. En d’autres termes, si la conception autocratique prévaut dans l’esprit des concepteurs du fonds de dotation, rien n’empêche un tel organisme de lui-même se concevoir non pas uniquement comme un groupement de biens, mais également en qualité de groupement de personnes en prévoyant par exemple dans ses statuts la présence de membres, une assemblée générale, des administrateurs élus démocratiquement par cette dernière… Et contrairement aux prévisions17, la pratique des fonds de dotation révèle que c’est d’ores et déjà quasiment ce mode de fonctionnement qui prévaut puisque 45 %18 des fonds de dotation déjà créés ont, en réalité, été conçus non pas par un mais par plusieurs fondateurs, obligeant de facto ces derniers à adopter un mode de fonctionnement décisionnel basé sur le consensus, voire sur le respect du principe démocratique (« un homme, une voix »).
Gouvernance
Là encore, rien ne prédestine le fonds de dotation à s’orienter vers l’autocratie, voire la dictature ! Certes, la maîtrise du projet par le ou les fondateurs initiaux peut s’expliquer par la nature du fonds de dotation19 ou, tout du moins, par la nécessité de sécuriser le projet au moment de la création du fonds de dotation, lequel requiert désormais le dépôt d’une dotation initiale minimum de 15 000 euros20. Mais, par la suite, les statuts du fonds de dotation peuvent parfaitement « déverrouiller » la gouvernance du fonds de dotation en intégrant progressivement les parties prenantes (membres, partenaires, mécènes, salariés), au fur et à mesure de l’état d’avancement du projet. Par conséquent, il conviendra de procéder ultérieurement à des modifications statutaires. Là encore, la pratique des fonds de dotation semble d’ores et déjà valider cette conception dans la mesure où plus de 60 %21 des fonds de dotation comptent plus de trois administrateurs au sein de leur conseil d’administration.
Être ou ne pas être partie intégrante de la grande famille de l’ESS ?
Telle est finalement la question que devront se poser les fonds de dotation tout au long de leur processus de développement, en fonction de leurs intérêts propres.
Colas AMBLARD, Directeur des publications
En savoir plus :
Juris Associations n° 526 du 15 octobre 2015
Colas AMBLARD, « Activités lucratives des associations : une perversion de la loi 1901? », Éditorial ISBL CONSULTANTS mars 2007
- A propos de la nomination de Marie-Agnès Poussier-Winsback en qualité de ministre déléguée chargée de l’Economie sociale et solidaire, de l’intéressement et de la participation - 29 septembre 2024
- Modes de reconnaissance : quels impacts fiscaux ? - 29 septembre 2024
- Pourquoi le rapprochement entre deux associations doit s’opérer par voie de fusion ? - 28 juillet 2024
Documents joints:
Juris Associations n°526 du 15 octobre 2015
Notes:
1. L. no 2008-776 du 4 août 2008, JO du 5, art. 140 et 141 ; JA no 521/2015, p. 16 ;
C. Amblard, Le Fonds de dotation : création, gestion, optimisation, Coll. « Axe Droit », Lamy, 2e éd., 2015 ; NDLR : L. Devic, Fonds de dotation – Création I Gestion I Évolution, « Le Juri’Guide », Juris éditions – Dalloz, 2e éd., 2014.
2. L. no 2014-856 du 31 juill. 2014,
JO du 1er août ; JA no 506/2014, p. 17.
3. L. no 2014-856 préc., art. 1, I.
4. Idem, art. 1, II, 1°.
5. C. Lagarde, Colloque de Bercy sur le développement des fonds de dotation du 19 nov. 2008, www.modernisationeconomie.fr.
6. CE, avis, 13 mars 2012.
7. C. Bergeal, directrice des affaires juridiques du ministère de l’Écono- mie, des Finances et de l’Industrie, colloque préc., 19 nov. 2008, atelier 1.
8. Circ. NoR : IoCD1031294C du
3 déc. 2010 : « Ce président sera souvent désigné par le fondateur et peut-être le fondateur lui- même » (recommandation no 5).
9. C. Amblard, étude 246, « Activités économiques et commerciales des associations », Lamy Associations, sept. 2009 ;« Activités lucratives des associations : une perversion de la loi 1901? », mars 2007, www.isbl-consultants.fr.
10. C. Amblard, « Associations et activités économiques : contribution à la théorie du tiers secteur », thèse de droit versailles-saint-Quentin-en-Yvelines, 1998, p. 450.
11. Idem.
12. Cass., ch. réun., 11 mars 1914, Dalloz 1914, I, 257, note L. sarrut ; v. égal. soc. 27 juin 1990, no 86- 43.472, RTD com. 1990. 602.
13. BOFiP-Impôts, BoI-Is- CHAmp-10-50-20-20 du 1er avr. 2015 : seuil fixé à 60 540 euros par LF pour 2015 n° 2014-1654 du 29 déc. 2014,
JO du 30. pour un dossier d’ensemble sur les exonérations fiscales,
v. JA no 525/2015, p. 17.
14. Instr. BoI 4 C-3-09 no 40 du
9 avr. 2009 ; Instr. BoI 7 G-06-09 no 66 du 2 juill. 2009.
15. H. savoie, déclaration faite lors du colloque du 19 nov. 2008 préc.
16. C. Bergeal, préc.
17. C. Bergeal, préc., précisait néanmoins que le fonds de dotation peut être créé par « une assemblée de […] différentes personnes », notamment un « groupement d’associations pour créer entre elles un projet commun ».
18. Étude statistique réalisée par le cabinet d’avocats Nps consulting portant sur les 100 premiers fonds de dotation, in Fonds de dotation : une révolution dans le monde des institutions sans
but lucratif ?, Coll. « Axe droit », Lamy, mars 2010, Ann. III, tableau III, p. 209.
19. C. Amblard, « Le rôle des fondations et fonds de dotation dans la transmission d’entreprise : vers un renouveau du capitalisme en France ? », Lamy associations, Bull. actualités, juin 2015, no 238.
20. Décr. no 2015-49 du 22 janv. 2015, JO du 24.
21. Idem, tableau 6, p. 212.