Et si l’innovation sociale était reconnue comme activité d’intérêt général, éligible au mécénat. Qu’adviendrait-il ?
Le concept d’intérêt général étant par nature évolutif, l’élargissement du spectre du mécénat semble nécessaire pour pallier les besoins sociaux nombreux à s’exprimer et permettre le maintien des financements publics en direction de la société civile organisée, notamment les entreprises de l’ESS.
Récemment, et c’est heureux, l’article 16 de la loi de finances 2024 a augmenté la liste des organismes susceptibles de bénéficier de dons ouvrant droit à la réduction d’impôt, à ceux concourant à l’égalité entre les hommes et les femmes. Pour rendre possible cet élargissement, un simple ajout aux articles 200 et 238 bis du CGI est intervenu avec effet au 1er janvier 2024 en complétant la liste des structures possiblement reconnues comme étant d’intérêt général.
Dans ces conditions, pourquoi n’en serait-il pas de même pour celles concourant à l’innovation sociale ?
Bien entendu, ces organismes devraient respecter les conditions déjà acquises pour obtenir ce « graal » ouvrant droit au mécénat, à savoir :
- Un gestion désintéressée
- Une démarche globalement non-lucrative
- Ne pas oeuvrer uniquement au bénéfice d’un cercle restreint de membres
Pour ce faire, les modifications du Code général des impôts (CGI) pourraient se fonder sur la définition de l’innovation sociale donnée par la L. 31/07/2014, art. 15 ,I:
I. – Est considéré comme relevant de l’innovation sociale le projet d’une ou de plusieurs entreprises consistant à offrir des produits ou des services présentant l’une des caractéristiques suivantes :
- Soit répondre à des besoins sociaux non ou mal satisfaits, que ce soit dans les conditions actuelles du marché ou dans le cadre des politiques publiques ;
- Soit répondre à des besoins sociaux par une forme innovante d’entreprise, par un processus innovant de production de biens ou de services ou encore par un mode innovant d’organisation du travail. Les procédures de consultation et d’élaboration des projets socialement innovants auxquelles sont associés les bénéficiaires concernés par ce type de projet ainsi que les modalités de financement de tels projets relèvent également de l’innovation sociale.
II. – Pour bénéficier des financements publics au titre de l’innovation sociale, le caractère innovant de son activité doit, en outre, engendrer pour cette entreprise des difficultés à en assurer le financement intégral aux conditions normales de marché. Cette condition ne s’applique pas aux financements accordés au titre de l’innovation sociale par les collectivités territoriales.
III. – Le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire définit des orientations permettant d’identifier un projet ou une activité économique socialement innovant au sens du I.
Selon le Conseil Supérieur de l’Economie Sociale et Solidaire (CSESS) : « l’innovation sociale consiste à élaborer des réponses nouvelles à des besoin sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagers. Ces innovations concernent aussi bien le produit ou service, que le mode d’organisation, de distribution (…). »
Pour Nadine Richez-Battesti et Eric Bidet, auteurs d’un ouvrage récent sur l’Innovation Sociale (ouvrage de la collection Mondes en Transitions – ed. Les Petits matin, 2024, p. 57), citant Julie Cloutier : « Une innovation sociale se définit par son caractère novateur ou hors normes et par l’objectif général qu’elle poursuit, soit celui de favoriser le mieux-être des individus et des collectivités. Elle se caractérise tout autant par un processus de mise en oeuvre impliquant une coopération entre une diversité d’acteurs que par les résultats obtenus, immatériels ou tangibles. »
Innovation, utilité sociale, mieux-être, territorialité, coopération, temps long, autant d’arguments en faveur d’une telle proposition qui permettrait aux entreprises capitalistes traditionnelles de :
- pallier les effets néfastes induits par leur objectif de rentabilité les obligeant à laisser de côté une bonne partie – toujours plus nombreuse – de personnes ne disposant pas des moyens nécessaires pour recourir à leurs services,
- financer des secteurs d’activités considérées comme non rentables mais pourtant essentielles au maintien de notre cohésion sociale
- dynamiser les territoires en faisant en sorte de les rendre plus attractifs, contribuant ainsi à donner une dimension concrète à leur engagement en matière de responsabilité territoriale (Filippi, M., 2022, La responsabilité territoriale des entreprises),
- favoriser l’innovation induite par l’action désintéressée des organismes sans but lucratif (association, fondation, fonds de dotation), éviter les coûts directs d’investissement nécessitant un temps long pour, à terme, bénéficier de nouveaux marchés,
- bénéficier des réductions d’impôt attachées au régime du mécénat et améliorer leur notation sociale (RSE).
Bien entendu, il ne s’agirait pas de déshabiller Paul pour habiller Jacques, un tel dispositif devrait notamment pouvoir s’articuler avec le décryptage formulé par ESS France visant à élargir le CIR (Crédit Impôt Recherche) à l’Innovation Sociale.
Cette proposition volontairement transformatrice portée par l’Institut ISBL, en ce qu’elle permet de mettre à contribution les entreprises capitalistes pour répondre aux multiples besoins sociaux insatisfaits, apparaît ni saugrenue ni difficile à mettre en place techniquement : cela suffit-il ?
Les donateurs s’empareraient-ils de ce nouveau dispositif, en particulier les entreprises en appui de leur politique RSE ?
Pour les raisons de rationalisation économique, l’Etat et les collectivités publiques – actuellement exsangues si l’on en juge les coupes budgétaires sans précédent qui se préparent – n’auraient-ils pas intérêt à aller en ce sens pour pallier la baisse des subventions publiques à venir et s’engager résolument vers plus de démocratie économique ?
Le débat est lancé !
Colas AMBLARD, président Institut ISBL
En savoir plus :
Consultez le dossier Juris Associations n°704 du 15 septembre 2024
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Territoires Zéro Chômeur Longue Durée : une expérimentation sociale au service d’une « autre » politique sociale ?!, Pascal Glémain , Institut ISBL, octobre 2022
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