Si les avancées de la circulaire relative aux nouvelles relations entre pouvoirs publics et associations sont louables, certains points mériteraient néanmoins d’être approfondis.
La circulaire « Valls » du 29 septembre 2015 (1) consacre des avancées importantes souhaitées par l’ensemble des observateurs de la vie associative et, en premier lieu, par les acteurs associatifs eux-mêmes. Cependant, les événements tragiques des 7 janvier et 13 novembre 2015 appellent déjà, en réaction, à un surcroît de démocratie et de participation de la société civile dans la coconstruction, mais également dans la gestion des politiques publiques.
Avancée significative de l’État dans l’interprétation du fait associatif
Lors de la campagne présidentielle de 2012(2), François Hollande avait affirmé devant le Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale (Ceges) et la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA, devenue depuis le Mouvement associatif), les 2 et 10 mars 2012, « ne pas craindre les corps intermédiaires ». À l’époque, le futur président exprimait sa volonté de reconnaître le rôle d’une partie du secteur associatif dans la construction de l’intérêt général – « L’intérêt général n’est pas le simple fait de l’État ou des élus au suffrage universel, c’est aussi celui de la démocratie sociale, les partenaires sociaux et les associations » – et son souci d’améliorer le dialogue civil – « Je n’oppose pas démocratie politique, sociale et citoyenne. Les relations avec les associations doivent être conçues comme une relation avec les citoyens».
Dans cet ordre d’idée, le gouvernement actuel a tout d’abord repris les travaux élaborés en 2001 lors du centenaire de la loi de 1901 pour aboutir à la signature, le 14 février 2014, de la charte d’engagements réciproques entre l’État, les collectivités territoriales et les associations(3). Dans son préambule, la charte précise que « cet acte solennel, fondé sur les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, renforce des relations tripartites, basées sur la confiance réciproque, le respect de l’indépendance des associations et la libre administration des collectivités territoriales. Il contribue à l’élaboration progressive d’une éthique partenariale, rendue nécessaire par l’évolution des politiques publiques, nationales et territoriales, et du cadre réglementaire français et européen. […] La puissance publique, assumée par l’État et les collectivités territoriales, garante de l’intérêt général, écoute les associations et dialogue avec elles, contribue au financement de leurs projets et leur confie la gestion de certains services, dans le cadre des politiques publiques qu’elle conduit. L’optimisation de la dépense publique l’incite à rechercher des partenariats qui assurent la meilleure utilisation de l’argent des contribuables, la proximité avec les citoyens et usagers, la lisibilité des responsabilités. Pour l’avenir, les règles de partenariat inscrites dans cette charte constitueront des principes d’actions partagés entre les trois parties. Leur mise en œuvre entraînera des effets concrets et mesurables et permettra d’approfondir la vie démocratique et le dialogue civil et social, en vue d’une participation libre, active et accrue des femmes et des hommes aux projets associatifs et aux politiques publiques dans des démarches coconstruites. »
Dans un second temps, ce même gouvernement a promulgué la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS)(4), laquelle s’attache à organiser les modalités de coconstruction des politiques publiques dans les territoires : « les politiques publiques de collectivités territoriales et leurs groupements en faveur de l’ESS peuvent s’inscrire dans des démarches de coconstruction avec l’ensemble des acteurs concernés. Les modalités de cette coconstruction s’appuient notamment sur la mise en place d’instances associant les acteurs concernés ou les démarches associant les citoyens au processus de décision publique. » Pour cela, la loi prévoit qu’« au cours de la conférence régionale de l’ESS, […] les débats donnent lieu à la formulation de propositions pour le développement de politiques publiques territoriales de l’ESS ».
Enfin, François Hollande s’était engagé à abroger la circulaire « Fillon » du 18 janvier 2010(5) en raison de sa complexité et de son inadaptation mais, surtout, de son rejet par une partie du secteur associatif lui-même(6). C’est désormais chose faite. Dans un contexte de réforme des collectivités territoriales(7) et dans le prolongement de la charte d’engagements réciproques, la circulaire du 29 septembre 2015 a donc abrogé la circulaire de 2010(8) en proposant de « rénover les relations entre pouvoirs publics et associations ». Le Premier ministre souhaite que l’État, à travers ses ministères et préfectures, et maintenant les différentes collectivités territoriales, favorise « dans la durée, le soutien public aux associations concourant à l’intérêt général ». Pour ce dernier, il est devenu « indispensable de conforter le rôle des associations dans la construction de réponses originales et pertinentes aux enjeux actuels ». L’objectif de cette nouvelle circulaire consiste donc bien avant tout à « rénover les relations entre les pouvoirs publics et les associations » afin de permettre à ces dernières de participer à la « coconstruction des politiques publiques »(9). Toujours selon Manuel Valls, il s’agit là d’« actes forts qui illustrent le choix stratégique de société fait par le gouvernement».
Incontestablement, les événements tragiques des 7 janvier et 13 novembre 2015 donnent une résonance particulière à ces engagements pris par les pouvoirs publics et les représentants de la société civile. Ils confèrent à l’ensemble de ces acteurs une responsabilité accrue dans la traduction concrète de ces principes, l’enjeu principal consistant à créer une dynamique dans la mise en œuvre opérationnelle de ces nouveaux textes législatifs et réglementaires en vue de favoriser l’émergence d’un nouveau projet de société.
Interrogations sur l’approfondissement du processus démocratique
L’idée d’associer de plus en plus étroitement la société civile à l’élaboration – et non plus simplement la mise en œuvre – des politiques publiques peut constituer une réponse appropriée aux événements des 7 janvier et 13 novembre 2015. Face aux menaces de repli identitaire et de défiance vis-à-vis de la classe politique, ce « choix stratégique de société» doit être analysé comme une volonté du gouvernement d’aménager les conditions d’un sursaut républicain en jetant les bases d’une véritable transition démocratique. Sur le plan national, mais encore plus dans les territoires, il semble que le modèle politique sur lequel se fonde notre Cinquième République a vécu. En effet, comment un système basé sur la démocratie représentative pourrait-il se maintenir dès lors que les abstentionnistes représentent le premier parti politique de France ? Le fort taux d’abstention aux dernières élections régionales des 6 et 13 décembre 2015 constitue le dernier exemple probant de la désaffection du peuple français pour ce type d’expression citoyenne. C’est pourquoi il est nécessaire de réinventer un modèle de société plus en phase avec les attentes des citoyens. À défaut, le pacte social risque de voler en éclats sous les coups de boutoir des extrémismes de tous bords, dont l’obole ne cesse de se remplir comme une valeur (prétendument) refuge à chaque atteinte portée aux principes fondamentaux de la République : la liberté, l’égalité, la fraternité, auxquelles il conviendrait aujourd’hui de rajouter la laïcité (10).
Néanmoins, proclamer ces principes fondamentaux aux frontispices ne suffira pas à faire reculer le chômage et la pauvreté, à organiser efficacement la lutte contre toutes les formes de discrimination et d’inégalité pour créer, à coup sûr, les conditions d’un « mieux vivre ensemble. » Par l’intermédiaire des institutions sans but lucratif (ISBL), c’est-à-dire à partir d’un cadre organisé et démocratique, le gouvernement invite chacun d’entre nous à se réapproprier la chose publique, à réinvestir la vie de la cité. Pour lui, l’homme providentiel n’existe plus. Les solutions à trouver sont beaucoup trop complexes et les attentes de nos concitoyens toujours plus nombreuses dans un monde en constante mutation. Pour apporter des réponses satisfaisantes, la citoyenneté doit désormais être « pro-active » et pour cela, il faut réinvestir les organisations civiles les mieux à même d’identifier les besoins, y compris dans les territoires, afin de faciliter l’élaboration de propositions concrètes et innovantes susceptibles d’inspirer des politiques publiques à la fois utiles et efficaces. En ce sens, Yannick Blanc, président de la Fonda(11), appelle à la création de communauté d’actions en s’appuyant sur la méthode de l’impact collectif(12). D’autres solutions existent et sont nombreuses. Et même si le volontarisme manque le plus souvent, il faudra cependant basculer rapidement « vers une société de l’engagement »(13) pour lutter contre les extrémismes et toutes les formes de communautarismes qui menacent la société et dont les événements de Charlie Hebdo et du Bataclan en sont, à ce jour, l’expression la plus meurtrière. Pour ce faire, la circulaire du 29 septembre 2015 jette incontestablement les bases d’un changement profond. Pour autant, ce texte est-il de nature à favoriser réellement la transition démocratique souhaitée par nos concitoyens ?
Limites de la circulaire Valls
Deux réserves principales quant au pouvoir de la circulaire du Premier ministre de changer durablement la société semblent d’ores et déjà pouvoir être formulées.
D’une part, ce texte administratif s’adresse prioritairement aux « associations concourant à l’intérêt général ». Or, l’appréhension concrète de cette notion révèle aujourd’hui encore une approche éminemment arbitraire(14) allant à l’encontre des objectifs affichés par le gouvernement. Certes, il convient de tenir compte du caractère nécessairement évolutif de ce concept, mais il n’empêche que maintenir un ensemble de procédures – y compris dans la définition même de la notion de subvention(15) – reposant sur cette notion indéfinie confine à un véritable déni de démocratie, même si la circulaire s’attache tout de même à préciser que l’octroi d’une subvention par une autorité publique ne présume pas de la situation de l’association au regard de la qualification d’intérêt général au sens fiscal. En matière de subventions attribuées aux associations, il en résulte que bon nombre de procédures d’attribution sont entachées de clientélisme et de népotisme débouchant sur une véritable gabegie en matière de gestion des finances publiques. Les exigences de démocratie réelle(16) obligent à en finir avec ces dérives d’un autre temps. Pour cela, des solutions existent. À titre d’exemple, il pourrait être envisagé d’instaurer un véritable droit au subventionnement(17) pour les ISBL dont l’action d’utilité sociale est reconnue par une commission ouverte et représentative de l’ensemble des parties prenantes, mesurable dans le temps (en intégrant les externalités positives) et modélisable (pour, à terme, en faire bénéficier le plus grand nombre). Pour cela, il suffirait de généraliser un processus d’ores et déjà utilisé dans le secteur social et médico-social qui veut qu’un projet innovant porté par un établissement reconnu expérimental(18) soit obligatoirement financé de façon pérenne par l’État. Exit la notion d’intérêt général versus articles 200 et 238 bis du code général des impôts (CGI)(19). À l’instar de la méthode de reconnaissance d’utilité sociale préconisée par l’instruction fiscale du 18 décembre 2006(20), il convient de partir des besoins exprimés par les citoyens ou de la nécessité d’agir positivement en faveur d’un public « justifiant l’octroi d’avantages particuliers au vu de leur situation économique et sociale ».
D’autre part, la mutation de l’action publique prônée par la circulaire (partenariat) continue de s’inscrire dans une philosophie néolibérale, dont la logique de fond vise en réalité à « généraliser la loi du marché à tout processus d’interaction sociale »(21). De ce fait, la sélection des partenaires des pouvoirs publics continue de donner la priorité à l’efficacité et à l’efficience (logique gestionnaire), le plus souvent au détriment de l’innovation et de l’expérimentation. Sur ce point, l’étau est actuellement en train de se desserrer dans le cadre de l’élargissement progressif du périmètre des services sociaux d’intérêt général (SSIG) ou de la procédure de mandatement pour les services sociaux d’intérêt économique général (SIEG) par l’augmentation du seuil de minimis à 500 000 euros sur trois ans(22). Il n’empêche qu’encore actuellement, sous l’influence du droit européen (paquet « Almunia- Barnier »(23)), l’initiative associative – reconnue comme l’un des critères essentiels dans le cadre de la sécurisation de la subvention – ne s’exerce plus en réalité que dans un environnement juridique contraint par une logique de mise en concurrence (processus d’appel à initiatives).
Tant que ces questions de fond ne seront pas définitivement résolues, la transition démocratique prônée par la circulaire du 29 septembre 2015 se trouvera menacée. Ce qui ne serait pas forcément une bonne nouvelle au regard du niveau de confiance élevé que les citoyens placent encore actuellement dans le secteur associatif(24), pour mettre en œuvre les changements déterminants que nécessitent la survie du modèle de société français.
Colas AMBLARD Directeur des Publications
En savoir plus :
Cet article a fait l’objet d’une publication aux éditions Juris-associations (Dalloz) dans le n°533 du 15 février 2016 :Télécharger l’article
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