Ça y est, après de longues tergiversations, nous avons un gouvernement et, en son sein, dans la constitution initiale (ce qui veut dire que ce poste a été prévu dès le départ, contrairement à ce qui s’est passé ces dernières années), une ministre de l’économie sociale et solidaire, de l’intéressement et de la participation rattachée au ministère de l’économie et des finances.
On ne pouvait que saluer la nomination de Marie-Agnès Poussier-Winsback à ce poste et lui souhaiter de réussir dans sa mission.
9ème ministre ou secrétaire d’État de l’ESS depuis 1984 (les 8 autres étant : Jean Gatel, Guy Hascoët, Benoit Hamon, Valérie Fourneyron, Carole Delga, Martine Pinville, Olivia Grégoire, Marlène Schiappa), elle se voit confier un portefeuille exigeant qui demande de prendre en compte une économie particulière dans un contexte où l’économie libérale, malgré son échec de plus en plus visible, continue à régner en maître.
Avant la nomination de la ministre, ESS France a pris acte de l’annonce de la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre en précisant : « L’Économie Sociale et Solidaire incarne bien souvent le premier kilomètre de l’intérêt général dans un contexte de désertification des territoires et de dégradation des services publics. (…) elle est essentielle et présente dans le quotidien de millions de citoyens. L’ESS, par sa contribution, permet d’importants coûts évités pour la puissance publique (…) : elle représente un véritable filet de sécurité pour la cohésion sociale, la vitalité de notre démocratie ou encore la dignité des personnes. »
Je ne sais si ce rappel de l’importance de l’ESS dans la vie des citoyens a eu un effet et si la nomination d’une ministre déléguée à l’ESS serait une réponse qui puisse satisfaire les structures de l’ESS, mais les premiers actes de ce gouvernement lors de la présentation du Projet de Loi de Finances 2025 sont loin de démontrer la prise en compte de l’ESS dans sa politique, voire même si nous ne pouvons pas considérer cela comme « une humiliation » comme le dit le délégué général d’ESS France, Antoine Détourné : « cette annonce est une humiliation, et le signal envoyé par le gouvernement est celui du mépris envers les acteurs de l’économie sociale et solidaire (…) C’est un immense retour en arrière ».
Comment expliquer que nous voyions un budget amputé de 5 millions sur 19 millions, soit 25% de baisse. Comment concevoir qu’un gouvernement qui nomme une ministre de plein exercice ne lui donne pas les moyens de sa politique ? Quelle signification cela a-t-il et quelles conséquences pour les acteurs de l’ESS ?
Sur ce point, Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, considère que « c’est un carnage (…) Alors que l’on demandait des moyens supplémentaires puisque nous avons de plus en plus d’espaces d’engagement sur le territoire, découvrir que le budget est raboté de 25 % est hallucinant, voire insultant », s’insurge-t-elle.
Des secteurs économiques entiers seront touchées, en particulier ceux qui travaillent à l’intérêt général et mettent en œuvre les politiques sanitaires et sociales, en complémentarité voire en substitution des politiques publiques défaillantes.
Nous savons que nombre des financements proviennent de conventions entre l’État et des structures de l’ESS (associatives, en particulier), mais aussi avec les collectivités territoriales dans leurs domaines de compétences.
La baisse des financements d’État et la situation financière de certaines collectivités vont entrainer des coupes drastiques qui conduiront à des licenciements, mais aussi à des absences d’intervention dans certains domaines (protection de l’enfance, justice, santé, …).
A cela s’ajoute la baisse de la prise en charge des soins par la sécurité sociale, orientant ces dépenses vers les mutuelles qui vont aussi être dans une situation intenable.
On aurait voulu tuer cette forme d’économie que l’on ne s’y serait pas pris autrement.
Le communiqué de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes), par la voix de son président Hugues Vidor ne dit pas autre chose : « Pour rappel, une grande partie des structures et entreprises de l’ESS, qui épaulent les services publics dans leur mission d’intérêt général, reçoivent des dotations de l’État et des collectivités. Si les coupes budgétaires s’abattent sur elles, c’est tout un écosystème de 220 000 structures employant 2,4 millions de salariés qui sera fragilisé ».
Et cela est sans doute à rapprocher de notre inquiétude face à la déclaration du Premier Ministre qui disait vouloir s’appuyer sur les bénévoles : on supprime des crédits aux structures de l’ESS et on fait intervenir des bénévoles en lieu et place de ces entreprises qui travaillent pour l’intérêt général.
ESS France alerte sur ce type de projet, dans le communiqué qu’il vient de faire paraître, indiquant le risque couru sur un appel au bénévolat alors même qu’il connait une crise et la perte de financement des moyens des entreprises de l’ESS : « Alors que nous traversons une crise institutionnelle et un désenchantement de l’engagement bénévole sur la corde duquel on a trop tiré, ce budget est inconscient. L’ESS ne peut plus se contenter d’être payée en symboles et succès d’estime pour ce qu’elle apporte à la société. ESS France appelle les parlementaires du camp républicain à renverser cette logique d’assèchement des solidarités et démocraties de proximité », Benoit Hamon, président d’ESS France précisant « On ne pouvait pas faire budget plus déconnecté du réel, des besoins du terrain et du quotidien des Français. Les millions de bénévoles et employés de l’ESS subissent là une humiliation d’autant plus injuste qu’ils assurent partout en France, le 1er kilomètre de l’intérêt général. Nous mobiliserons toutes les voix de l’ESS dans les territoires pour combattre cette injustice. »
Cette situation va mettre en grand danger toute l’ESS. A nous tous d’agir. Et que notre ministre agisse aussi si elle veut vraiment faire vivre notre forme d’économie.
Jean-Louis CABRESPINES, ancien membre du CESE Délégué général du CIRIEC-France
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