Les associations jouent un rôle crucial dans notre société, autant pour répondre aux besoins fondamentaux de la population que pour innover en matière sociale. Mais leur situation financière inquiète. Elles doivent réinventer leur modèle, trouver de nouveaux financements – privés -, sans pour autant « vendre leur âme ». Conscient de cela, l’État a choisi l’engagement associatif comme thème de grande cause nationale en 2014.
Il est parfois difficile de se représenter le monde associatif. Entre les petites associations composées de quelques bénévoles et celles qui emploient des centaines, voire des milliers de salariés entrant en concurrence avec les entreprises du secteur commercial, il n’est pas simple de dégager une représentation cohérente de ces structures. Pourtant, des petites associations de quartier à celles reconnues d’utilité publique comme la Croix-Rouge, le Secours catholique, SOS Racisme ou Les Restos de coeur, en passant par celles qui s’intègrent davantage dans la mouvance des entrepreneurs sociaux comme le groupe SOS ou Vitamine T, toutes poursuivent une finalité sociale dans leur activité.
Au total, la France compte 1,3 million d’associations, parmi lesquelles 180 000 sont « employeuses » de 1,5 million de salariés en « équivalent temps plein ».
Le monde associatif est donc de loin le plus important pourvoyeur d’emplois du secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) : il en représente 75 %. Les associations pèsent même 3,2 % du PIB français, une part non négligeable, dont la moitié provient du secteur médico-social. Pour le reste, les associations prospèrent dans des secteurs aussi différents que le sport, l’environnement, le socioculturel et dans toute autre action militante.
Pourtant, le monde associatif vit une période difficile. Il est peut-être même à l’aube d’un changement profond de paradigme économique.
C’est d’ailleurs en grande partie pour lui redonner de l’attractivité que l’engagement associatif a été choisi cette année comme thème de grande cause nationale par les pouvoirs publics. Après avoir dans un premier temps mieux résisté à la crise que le secteur privé lucratif, le monde associatif a en effet subi un coup d’arrêt en termes d’emplois.
10 000 emplois perdus en 2011 et risque d’atonie
Alors qu’entre 2005 et 2011 le nombre d’associations augmentait chaque année de 2,8 % en moyenne, « la croissance constante et régulière observée en la matière s’est interrompue en 2010 et, en 2011, quelque 10000 emplois ont même été perdus », expliquait récemment Cécile Bazin, la directrice de l’association Recherches & Solidarités, lors d’une commission d’enquête parlementaire portant sur les difficultés du monde associatif. « En 2012-2013, l’activité a repris, mais notre suivi conjoncturel montre une légère baisse, à nouveau, au cours du premier trimestre de 2014 alors que l’emploi privé se maintenait », ajoute-t-elle.
Le risque que l’atonie de l’emploi associatif se pérennise est fort. La faute en premier lieu à une baisse des financements publics nationaux et locaux, qui ne représentent plus que la moitié des ressources des associations.
« Aujourd’hui, pour la première fois, la contraction des finances publiques concerne aussi les collectivités locales, qui doivent réduire les financements alloués aux associations après les avoir développés », constate Viviane Tchernonog, une économiste de référence dans le monde de l’ESS. Et ce n’est pas la baisse de 11 milliards d’euros des dotations de l’État aux collectivités locales d’ici à 2017 qui arrangera les choses, bien au contraire.
Clairement, le désengagement des collectivités locales a durement affaibli les associations. Il s’est concrètement matérialisé par la généralisation des appels d’offres pour l’attribution de marchés, ce qui implique la mise en concurrence des associations avec des entreprises du secteur lucratif, au détriment des subventions.
Une pratique qui pose plusieurs problèmes de fond. « Outre que la réponse à des appels d’offres implique des procédures lourdes, le problème est que ce mode de financement est un frein à l’innovation pour les associations : la subvention soutient un projet tandis que l’appel d’offres demande de répondre à un besoin spécifique de la collectivité ; or l’association est construite autour d’un projet et de sa capacité à prendre l’initiative », explique Frédérique Pfrunder, la déléguée générale du Mouvement associatif, également auditionnée par le Parlement. « Les associations ont perdu en capacité d’innovation et en inventivité sociale », confirme Vivane Tchernonog. « C’est la contrepartie du rôle de prestataire des politiques publiques qu’elles assument de plus en plus – avec une grande compétence, d’ailleurs – du fait de l’évolution du financement public », ajoute-t-elle. Une perte regrettable pour les secteurs publics et privés qui ont par le passé souvent surfé sur les innovations sociales du secteur associatif pour s’implanter sur de nouveaux marchés.
Innover dans les sources de financement
Pis encore, le développement de la commande publique au détriment de la subvention pourrait remettre en question la survie de certaines associations. Ce phénomène « exclut les petites et moyennes structures, à l’exception de celles qui s’appuient sur le bénévolat et n’ont pas ou presque pas besoin de financement »,alerte Vivane Tchernonog, « Cela résulte d’un effet de seuil : ces associations sont trop petites pour accéder à la commande publique et manquent des ressources humaines nécessaires pour répondre aux appels d’offres », explique-t-elle. « Or leur disparition risque de déboucher sur une dualisation du secteur entre de toutes petites associations de quartier et des mastodontes qui mettront en oeuvre les politiques publiques sans structures intermédiaires », regrette l’économiste. La disparition des associations moyennes serait d’autant plus dommageable qu’elles ont pour spécificité de fédérer les initiatives citoyennes et locales. Ce qui risque de déséquilibrer un secteur tout entier.
À cette raréfaction des financements publics viennent se substituer des financements privés. Désormais, près de la moitié du budget total du secteur vient de la participation des usagers aux services rendus par l’association, sous forme de cotisations ou d’achat, alors que 5 % proviennent du don et du mécénat. Ce phénomène de privatisation des financements peut certes donner de l’air à certaines associations, mais « dire que le secteur se privatise, c’est dire que les usagers participent de plus en plus à son financement. Or les usagers sont touchés par le chômage, et les solliciter ainsi revient à sélectionner, certes involontairement, « les clientèles » », explique Vivane Tchernonog. Autrement dit, le risque à terme que le monde associatif se détourne de sa finalité sociale existe. Ce débat fait toujours rage au sein du secteur (voir page 8, l’interview d’André Dupon, de Vitamine T).
Les ressources privées s’avèrent toutefois salvatrices dans les bilans financiers des associations françaises, car celles-ci « risquent de manquer de fonds propres qu’elles ne pourront plus constituer à partir de leurs excédents », s’inquiète Hugues Sibille, conseiller du président du Crédit coopératif. « On peut d’ailleurs penser qu’un certain nombre d’associations qui le peuvent vont essayer de lever de l’argent auprès d’investisseurs institutionnels, d’entreprises privées ou du grand public dans des secteurs comme la santé ou le vieillissement de la population. » La modernisation du « titre associatif » (voir ci-contre) dans la loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014 pourrait dans ce cadre ouvrir de nouveaux horizons. Il devrait être mieux rémunéré et plus liquide, ce qui créé aussi quelques inquiétudes dans un monde très attaché à ne pas déroger à sa finalité sociale.
L’enjeu du financement participatif
Le financement participatif (crowdfunding) est une autre technique innovante qui pourrait venir soutenir financièrement les associations. Cet outil permet, via Internet, de collecter l’argent des particuliers sous la forme d’un don, d’un apport en capital ou d’un prêt. Les montants potentiels ne sont pas négligeables : une plate-forme dédiée au monde associatif, nommée Helloasso, dit par exemple avoir collecté 8 millions d’euros pour près de 4000 associations. « Le financement participatif commence à susciter l’adhésion collective. Le monde associatif a été l’un des premiers à l’utiliser », expliquait Nicolas Lesur, président de Financement participatif France, également auditionné à l’Assemblée nationale. Pour l’instant, « il a recours essentiellement aux plates-formes de dons (…), mais il s’agit d’une tendance émergente qui a vocation à se développer fortement », ajoute-t-il.
Une mutation vers ces modes de financement « désintermédiés » est-elle envisageable dans le monde associatif français ? Oui, selon Jean-Pierre Vercamer, associé chez Deloitte : « Les pays latins ne sont pas encore très mûrs dans ce domaine, mais il n’y a aucune raison que nous ne réussissions pas comme les Anglo-Saxons l’ont fait avant nous », juge-t-il.
Si ce n’est pas au détriment de l’action sociale, ces nouvelles techniques seront en tout cas les bienvenues dans un secteur de plus en plus sollicité. Tout le monde s’accorde en effet à dire que les associations ont à prendre en charge des besoins sociaux particulièrement prégnants et croissants. Et qu’elles rentrent de fait dans une phase de professionnalisation qui implique davantage de besoins en termes de sophistication des équipements, de montée en gamme des compétences des salariés, mais aussi des bénévoles. Il semble bien que jamais le monde associatif n’ait eu à relever autant de défis à la fois complexes et contradictoires.
source : http://www.latribune.fr par Mathias Thépot
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