L’article L. 212-8 du code du sport réprimant l’usage de titres protégés pour l’enseignement sportif ne s’applique pas aux diplômes fédéraux. Tel est l’enseignement qu’il faut tirer des arrêts de la cour d’appel de Paris du 4 juillet 2014[1] qui rejettent les prétentions d’une confédération syndicale interprofessionnelle à l’indemnisation du préjudice que lui causait la mention, sur le site internet de quatre fédérations sportives, des titres de moniteur et d’animateur pour leurs cadres bénévoles
1-L’opération ayant consisté lors de la codification de la loi du 16 juillet 1984 sur le sport à répartir en plusieurs articles des dispositions qui figuraient dans un article unique est à la source du contentieux opposant plusieurs fédérations sportives à la Confédération nationale des éducateurs sportifs (CNES) à propos de l’utilisation sur leur site internet des titres de moniteur et éducateur pour leur encadrement bénévole.
2-L’objet du litige portait sur l’interprétation de l’article L. 212-8 du code du sport qui réprime l’enseignement sportif à titre rémunéré sans avoir les qualifications requises et l’usurpation du titre « de professeur, moniteur, éducateur, entraîneur ou animateur d’une activité physique ou sportive ou de tout autre titre similaire ». Pour le CNES, ce texte réserve aux seuls professionnels le port de ces titres. Mais si cette thèse est la bonne, les éducateurs sportifs bénévoles se trouveraient, de fait, privés de titre. En effet, en faisant porter l’interdiction non seulement sur les titres énumérés mais également sur « tout autre titre similaire » l’article L.212-8 verrouille toute autre alternative. Le port d’un titre quelconque choisi hors de cette liste serait forcément interdit car on voit mal comment un tel titre ne serait pas « similaire » à ceux énumérés à l’article L212-8. Aussi, affirmer que ce texte s’applique aux seuls professionnels ôterait toute possibilité aux éducateurs sportifs bénévoles de se faire reconnaître.
3-A l’origine, un seul texte – en l’occurrence l’article 43 de la loi de 1984 sur le sport – énonçait à la fois l’obligation de diplôme et les peines encourues par ceux qui l’enfreignaient. La répression de l’enseignement illégal ainsi que celle du port illégal de titre était contenue dans le même article.
4-L’ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l’éducation a codifié cet ancien texte sous deux nouveaux articles. Le premier, (art. L 363-1 du code de l’éducation) énonce le principe de l’obligation de diplôme et le second (art. L. 463-7 du même code) réprime l’enseignement sans diplôme et le port illégal de titres. L’ordonnance du 23 mai 2006 a transposé ces deux textes dans le code du sport dans un chapitre intitulé « enseignement du sport contre rémunération ». L’article L 212-1 reprend les dispositions de l’article L 363-1 et l’article L212-8 celles de l’article L. 463-7. Cette dissociation est à l’origine du conflit d’interprétation opposant le CNES et les fédérations sportives chacun faisant une lecture différente de l’article L212-8. Le TGI reprenant les motifs allégués par le CNES considère, pour sa part, que ce texte « envisage deux hypothèses distinctes et séparées » par la conjonction “ou”. En conséquence, la sanction de l’exercice illégal des fonctions d’enseignement ne concernerait que les professionnels alors que la sanction du simple usage des titres protégés, s’appliquant sans condition de rémunération, concernerait indifféremment les professionnels et les bénévoles. Au contraire, la cour d’appel estime que l’article L212-8 forme « un tout indivisible » en lien avec l’article 212-1 de sorte qu’il ne viserait que les professionnels à l’exclusion des bénévoles.
5-Pour les premiers juges, le fait que l’article L212-8 figure dans le chapitre II du titre I du livre II du code du sport, intitulé “enseignement du sport contre rémunération” ne signifie pas, contrairement aux prétentions des fédérations, qu’il concerne les seuls professionnels dès lors que le chapitre dans lequel il est inclut vise également des situations qui s’appliquent aux bénévoles, comme c’est le cas de l’article L 212-9 qui réprime l’inobservation de l’exigence d’honorabilité.
6-La cour de Paris fait une toute autre analyse. Elle observe que les quatre sections du chapitre 2 portent toutes sur l’exercice rémunéré de l’enseignement du sport à l’exception du seul article L 212-9. Or ce texte, prévoit explicitement son extension à l’exercice bénévole ce qui n’est pas le cas pour l’article L 212-8. Elle en déduit que ce texte qui conclut la section intitulée « Obligation de qualification » constitue le volet pénal des dispositions relatives à l’obligation de qualification qui n’intéressent que l’enseignement d’une activité physique ou sportive rémunérée. Elle se prévaut également d’un arrêt du Conseil d’État du 16 novembre 2007 [2] qui aurait fait la même lecture en rejetant la requête en annulation de l’arrêté du 15 décembre 2006 portant création de la mention rugby à XV’ du diplôme d’État de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport spécialité perfectionnement sportif. En l’occurrence, la haute juridiction avait estimé, au regard de la combinaison des articles L 212-1 et L 212-8 du code du sport, que les dispositions de cet arrêté prises au bénéfice, notamment, des titulaires des brevets fédéraux d’entraîneur et d’éducateur délivré par la Fédération française de rugby, n’avaient pas pour effet de permettre à leurs titulaires de faire un usage usurpé des titres mentionnés à l’article L 212-8 du code du sport.
7-La cour de Paris rejette également le moyen tiré de l’article L211-2 du code du sport, d’assurer la formation et le perfectionnement de leurs cadres et qu’elles délivrent des diplômes différents selon que l’activité d’enseignement est exercée à titre rémunérée ou bénévole. Dans ces conditions, il ne peut être considéré que l’usage de l’un des titres de professeur, moniteur, éducateur, entraîneur ou animateur par un cadre fédéral bénévole serait un usage illégal dès lors qu’ils se rapporte à des qualifications délivrées par les fédérations en application de l’article L211-2. Réprimer l’utilisation de ces titres ou de autre titre similaire, par les cadres fédéraux reviendrait à interdire aux fédérations sportives d’assurer leur mission de formation des bénévoles. C’est bien là le nœud du problème qui met en lumière les conséquences d’une rédaction imprécise de l’article L 212-8 puisqu’on ne sait pas « comment appeler ce qui est permis » selon le mot de D Rémy[3]. Les fédérations ont bien tenté de soulever l’inconstitutionnalité de cette disposition au nom du principe de légalité des délits et des peines qui fait obligation au législateur de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs. Le Conseil constitutionnel qui affirme constamment ce principe[4] l’a encore rappelé dans sa décision très médiatisée du 4 mai 2012[5] dans laquelle il déclare que l’article 222-33 du code pénal qui réprimait le délit de harcèlement sexuel est inconstitutionnel en raison d’une définition insuffisante des éléments constitutifs de cette infraction. Allant dans le même sens, la cour d’appel de Paris avait admis que le motif d’inconstitutionnalité de l’article L 212-8 n’était « pas dépourvu de caractère sérieux », dès lors que l’ajout des termes «ou tout autre titre similaire» avait un « caractère général et imprécis de nature à créer une insécurité juridique pour les fédérations sportives sur la dénomination à donner aux diplômes qu’elles dispensent ». Elle transmit donc la question prioritaire de constitutionnalité mais sans succès[6]. En effet, la Cour de cassation, qui fait office de filtre, refusa de la transmettre au Conseil constitutionnel[7]. Elle l’a déclara irrecevable au motif que l’ordonnance du 23 mai 2006, créant le code du sport, n’ayant fait l’objet d’aucune ratification législative, les dispositions contestées du code du sport avaient un caractère réglementaire et ne figuraient pas au nombre des dispositions législatives dont le conseil constitutionnel est habilité à contrôler la constitutionnalité.
8-Cette constatation conduisait inévitablement à se poser la question de la légalité de l’article L 212-8. En effet, les délits relèvent par nature de la compétence législative en vertu de l’article 34 de la constitution, de sorte que l’autorité réglementaire se trouve incompétente pour édicter une telle incrimination. C’était la thèse défendue par les fédérations sportives qui demandaient à la cour d’appel soit de saisir le Conseil d’État d’une question préjudicielle si elle s’estimait incompétente, soit, dans le cas contraire, de constater elle même cette illégalité en se fondant sur une jurisprudence du Tribunal des conflits[8].
9-En ce qui concerne la question préjudicielle, rappelons pour mémoire que le juge administratif est en principe seul compétent pour statuer sur toute contestation de la légalité de décisions administratives, soulevée à l’occasion d’un litige relevant à titre principal du juge judiciaire. En conséquence, celui-ci doit surseoir à statuer jusqu’à ce que la question de la légalité de cette décision soit tranchée par la juridiction administrative. En l’occurrence, la cour refuse de transmettre la question au juge administratif au motif que s’agissant d’une exception de procédure, elle aurait dû être formulée devant les premiers juges avant toute défense au fond.
10-Le tribunal des conflits a admis que la contestation puisse être accueillie par le juge saisi au principal lorsqu’il existe une jurisprudence bien établie. La cour d’appel aurait pu s’estimer incompétente pour apprécier elle-même la légalité de ce texte en faisant valoir que cette question ne faisait pas, à ce jour, l’objet « d’une jurisprudence bien établie ». Pourtant, elle va statuer sur l’exception par une autre voie qui l’amène à prendre ses distances avec la Cour de cassation. Contrairement à la haute juridiction qui considère que les dispositions du code du sport n’ont qu’une valeur réglementaire en l’absence de ratification de l’ loi n°2003-339 du 14 avril 2003 ratifiant l’loi du 14 avril 2003. Dès lors, les dispositions de l’article L.212-8 reprenant à la lettre celles de l’article L.463-7 du Code de l’éducation ont bien valeur légale en sorte que l’absence de ratification de l’ordonnance n°2006-596 du 23 mai 2006 créant le Code du sport est sans incidence sur sa valeur juridique.
11-L’arrêt de la cour de Paris ne clôt pas ce litige qui pourrait refaire surface de deux manières. Soit par un pourvoi en cassation des fédérations impliquées. Soit par des poursuites pénales contre un éducateur sportif bénévole qui utiliserait un des titres énumérés par l’article L 212-8. Dans ce cas, si la question de la légalité de ce texte lui était posée, le juge pénal aurait toute latitude pour l’examiner, comme le lui autorise l’article 111-5 du code pénal, puisque la solution du procès pénal dépendrait de cet examen.
12-L’autre manière d’éteindre ce différend serait de retoucher l’article L212-8 en précisant quels titres peuvent porter les uns et les autres. Réserver certains titres aux professionnels et d’autres aux bénévoles ne suffirait cependant pas pour que les usagers fassent la distinction entre les deux. Pour lever toute équivoque sur l’encadrement non rémunéré, il faudrait faire suivre tout titre porté par un non salarié de la mention « bénévole ». A charge pour le secrétariat d’Etat aux sports et pour le CNOSF de trouver les bonnes dénominations !
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
En savoir plus :
Cour d’Appel de Paris, 4 jullet 2014
Jean-Pierre VIAL, « Le risque penal dans le sport », coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012
Documents joints:
Notes:
[1] CA Paris, pôle 02 Ch. 02,14 avril 2011,n° 12/21919. CNES c/ Féd. Française de hockey sur gazon.; n° 12/21894. CNES c/ Féd. Française de gymnastique ; n° 12/21889. CNESc/ Féd. Française de voile. N° 12/21888. CNESc/ Féd. Française de la montagne et de l’escalade
[2] CE, 16 novembre 2007, n° 300711
[3] Dictionnaire permanent ; éditions législatives, bull n°196, déc.2012, p1
[4] Cons. const., 20 janv. 1981, n° 80-127 DC ; 25 févr. 2010, n° 2010-604 DC
[5] n° 2012-240 QPC, M. Gérard D
[6] CA Paris – 07/06/2013. RG n° (12/21888)
[7] Cass.crim,7 août 2013 n° 13-90016
[8] 17 octobre 2011, SCEA du Chéneau n° C3828