La compétition cycliste n’est pas dénuée de tout danger comme l’atteste une abondante jurisprudence dont nous avons commenté précédemment quelques décisions (Cour de cassation, 9 juin 2016 ; CA Nîmes, 8 mars 2018 ; CA Lyon, 28 mars 2019). L’enjeu de la victoire atteint son paroxysme lors du sprint final incitant les coureurs à prendre des risques parfois excessifs. Les chutes collectives survenues à ce moment de la course (CA Lyon, 14 novembre 2013 ; TGI Mont de Marsan, 31 mai 2017) et imputables,  parfois, à l’imprudence de tel ou tel coureur ne sont pas rares, comme le révèlent certaines images spectaculaires prises  à l’arrivée d’étapes du Tour de France. C’est précisément ce scénario qui s’est produit dans la présente espèce où un cycliste quittant sa ligne, a serré dangereusement un autre coureur provoquant sa chute immédiatement après la ligne d’arrivée. Assigné par la victime devant le tribunal de Grande Instance de Toulon il a été condamné, ainsi que son club, à réparer les blessures causées à la victime.

Le présent arrêt, qui confirme la position des premiers juges sur la responsabilité de l’auteur du dommage et de son club, met une nouvelle fois en lumière le succès de la responsabilité sans faute qui a pris le pas sur la responsabilité pour faute, tout spécialement depuis que la Cour de cassation, levant l’interdit d’un principe général de responsabilité formulé par l’ancien article 1384 du code civil (devenu l’article 1242 C. civil), a admis, après la retentissante jurisprudence Blieck, que les groupements sportifs répondent de plein droit des dommages causés par leurs membres au cours des compétions auxquelles ils participent[1]Cass. Civ. 2, 22 mai 1995, n° 92-21.871, Bull. civ. II 1995, n° 155, p. 188.  Resp. civ. et assur. 1995, comm. n° 289 et chron. n° 36, obs. H. Groutel. JCP G 1995, II, 22550 note J. Mouly. RTD … Continue reading. Ordinairement ce sont pour la plupart des clubs de football et de rugby dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement. Aussi l’intérêt de cette décision est de faire application de ce régime de responsabilité à un club cycliste amateur.

Si la victime a cru également utile de rechercher concurremment la responsabilité de l’auteur du dommage, c’est pour se donner toutes les chances d’aboutir. En effet, si un club est responsable du seul fait du dommage causé par son membre, c’est à la condition d’établir l’existence d’une faute de ce dernier. En revanche, la responsabilité du fait des choses appliquée au rôle actif de la bicyclette dans la survenance du dommage permet à la victime d’engager la responsabilité de l’auteur du préjudice sans avoir à administrer la preuve de son comportement fautif.

 

I-Responsabilité du coureur  

La responsabilité pour faute (ancien article 1382 devenu l’article 1240 du code civil)  présente l’inconvénient de faire supporter à la victime la charge de la preuve d’une faute de l’auteur du dommage. Sans doute, les tribunaux admettent-ils, parfois, une présomption de faute qui, en opérant un renversement de la charge de la preuve contraint l’auteur du dommage à la combattre en démontrant l’absence de faute de sa part. Mais cette jurisprudence est restée limitée à quelques cas[2]Cass. civ. 1, 15 juill. 1999, n° 97-15.984. Bull. civ. 1999 I, n° 251, p. 162. JCP 2000, 1,197, n° 9 , obs. G. Viney. C. Cass. Civ.1, 12 mai 2004, n°  01-16940.. Aussi la responsabilité du fait des choses a-t-elle la préférence des victimes car elle leur offre l’inestimable avantage de faire l’économie de la preuve d’une faute chaque fois que le dommage a été provoqué par une chose, ici un vélo, dont l’auteur du dommage a la garde. « Le principe de la responsabilité du fait des choses inanimées trouve son fondement dans la notion de garde, indépendamment (…) de toute faute personnelle du gardien » comme le rappelle à juste titre la cour d’Aix-en-Provence.

Auparavant les victimes d’accidents survenus en compétition ne bénéficiaient pas de cette alternative. La théorie de l’acceptation des risques faisait barrage à l’application de la responsabilité du fait des choses. La Cour de cassation en avait, toutefois, limité le recours aux risques normalement prévisibles[3]Si les équipiers d’un voilier de course acceptent «  les risques normaux et prévisibles d’une compétition en mer de haut niveau », ils n’ont pas pour autant accepté le risque de … Continue reading et aux rapports entre concurrents au cours de la compétition. « Cette mise en congé »[4]E. Agostini, note sous Civ. 2e, 5 juin 1985, JCP G 1987. II. 20744. s’expliquait assez bien par l’idée que la compétition « supposant un dépassement de soi et la recherche de la performance »[5] J. Mouly, note sous Civ. 2e 4 nov. 2010, D. 2011 p. 690., les compétiteurs sont censés en avoir accepté les dangers et spécialement celui de chute dans le cas des courses cyclistes. Par un fameux revirement de sa jurisprudence la Cour de cassation a mis l’acceptation des risques au rebut dans son arrêt du 4 novembre 2010[6]Cass. Civ. 2, n° 09-65947, Bull. civ. 2010 II, n° 176. JCP G 2011, note 12, D. Bakouche. RTD civ. 2011, p. 137, obs. P. Jourdain. D.2011 p. 690, note J. Mouly. et ouvert la voie d’une responsabilité sans faute pour les compétiteurs. Cette jurisprudence a, toutefois, été partiellement remise en cause par le nouvel article L. 321-3-1[7]Loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 du code du sport en vertu duquel « les pratiquants ne peuvent être tenus pour responsables des dommages matériels causés à un autre pratiquant par le fait d’une chose qu’ils ont sous leur garde ». Mais la réparation des dommages corporels, dont il est question ici, n’est pas concernée par ce texte.

Si la responsabilité du fait des choses allège la charge de la preuve, puisqu’elle dispense la victime d’établir l’existence d’une faute de l’auteur du dommage, elle n’est cependant pas libérée de toute contrainte de preuve. D’abord, elle doit établir que l’auteur du dommage avait la qualité de gardien de la chose lors de la survenance du dommage. Ensuite, que la chose a été l’instrument du dommage.

La première condition renvoie à la définition de la garde. A la qualité de gardien, celui qui, au moment de la survenance du dommage exerçait, comme le rappelle le présent arrêt, « un pouvoir de surveillance et de contrôle » sur la chose. En pratique, cette condition est facilement établie puisque, depuis l’arrêt Franck, le propriétaire est présumé gardien de la chose, sauf à établir qu’il en a transféré la garde à un tiers. Dans le cyclisme amateur, comme c’était le cas en l’occurrence, les coureurs utilisent leur propre matériel. En revanche dans le cyclisme professionnel, l’employeur est propriétaire du matériel mis à disposition de ses coureurs. Mais il ne peut leur en transférer la garde car il est admis, par principe, que le préposé n’est jamais gardien, les deux qualités ayant été jugées incompatibles par la Cour de cassation[8] Cass. Civ. 2, 11 oct. 1989 n° 88-16.219, Bull. civ. 1989 II, n°175 p 89. Cass. Civ. 2, 15 mars 2001, n° 99-17.263..

La seconde condition, est l’élément clef de ce régime de responsabilité. Puisqu’il n’est pas fondé sur l’existence d’une faute, l’exigence d’un fait actif de la chose est la condition essentielle de la responsabilité du gardien. Il ne lui est pas demandé de prouver « son fait anormal » mais son intervention matérielle dans la survenance du dommage. En effet, « du moment où il est établi qu’elle a contribué à la réalisation du dommage elle est présumée en être la cause génératrice »[9] Cass. Civ. 2,9 juin 1939 DH 1939, p 449.. C’est la présomption du fait actif de la chose : les tribunaux admettent qu’elle a eu un rôle causal lorsqu’elle était en mouvement et est entrée en contact avec la victime. Par exemple, un coureur fait un brusque écart et heurte avec son engin un concurrent qui chute. C’est précisément ce qui s’est passé en l’occurrence puisque, selon le témoignage de la victime et de deux témoins oculaires, le cycliste, en la doublant par son arrière gauche, a touché son guidon et l’a déséquilibrée, provoquant sa chute au sol. Toutefois il peut y avoir un doute sur le fait que les deux cyclistes se soient touchés, puisqu’une des deux photos de l’arrivée montre le cycliste de droite chutant après que son concurrent l’ait doublé par la gauche en la frôlant. Mais l’absence de contact entre une chose et le siège du dommage n’implique pas nécessairement l’absence de fait actif de la chose, comme l’a admis à plusieurs reprises, la Cour de cassation. Ainsi, dans le cas d’une chute entre deux cyclotouristes où le contact avait eu lieu uniquement entre les corps des deux intéressés, la deuxième chambre civile a trouvé la parade en acceptant l’idée que le corps du sportif et l’engin avec lequel il se déplace forment un tout en jugeant que chacun d’eux « formait un ensemble avec la bicyclette sur laquelle il se tenait et que la collision survenue entre lui-même et l’autre cycliste impliquait que sa propre machine avait été l’instrument du dommage »[10]Cass. Ch. Crim. 21 juin 1990, n° 89-82.632, Bull. crim. 1990, n° 257, p. 662.. Pareillement, comme cela a été jugé au cas d’accident subi en l’absence de tout contact entre le gardien de la chose et la victime (elle s’est détournée de son trajet normal pour éviter un véhicule ou un skieur), la cour d’Aix-en-Provence admet que le fait d’avoir « frôlé » la victime « a joué un rôle causal dans cette chute ». Elle aurait également statué dans le même sens si la victime avait heurté un vélo à terre à la suite d’une chute collective. En effet, dans le cas de chose inerte, la Cour de cassation admet que celle-ci a pu jouer un rôle actif s’il est établi qu’elle occupait une position anormale ou était défectueuse ce que serait manifestement un vélo au sol au cours d’une épreuve cycliste.

 

  • Responsabilité de l’association sportive

Au temps de la jurisprudence Blieck le cercle des répondants ne comprenait que les personnes ayant accepté de prendre en charge, à titre permanent, le mode de vie d’une personne, handicapé mental[11]Cass. Ass. plén. 29 mars 1991, n° 89-15.231. JCP G 1991, II, 21673, note J. Ghestin. D. 1991, jurispr. p. 324, note C. Larroumet.  RTD civ. 1991, p. 541 obs. P. Jourdain. ou mineur[12]Cass. crim., 8 janv. 2008, n° 07-81.725. Cass. Civ. 2, 9 déc. 1999, n° 97-22.268. Bull. civ. II, n° 189, LPA mars 2000, p. 20, note M-C. Meyzeaud-Garaud. Crim. 10 oct. 1996, Bull. crim. n° 357. … Continue reading. Les arrêts de 1995 vont l’élargir aux groupements sportifs. La doctrine s’est d’emblée interrogée sur la nature de cette responsabilité des groupements sportifs amateurs[13]La responsabilité des groupements sportifs professionnels relève de l’alinéa 5 de l’article 1242 ayant trait à la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés. Cass. Civ, 2, 8 … Continue reading. Ecartant l’hypothèse d’une responsabilité pour faute prouvée « cela ne servirait à rien »[14]F. Chabas, Gaz. Pal. 1992, p. 513., les auteurs se sont demandé s’il pouvait s’agir d’une simple présomption de faute, comme celle applicable auparavant aux parents. Une responsabilité pour faute aurait eu le mérite de responsabiliser les clubs dans la lutte contre les violences sportives et de reconnaître l’action de ceux qui mettent en œuvre des actions de prévention et d’éducation, en les mettant à l’abri d’une condamnation[15]En ce sens L. Gavari, Responsabilité civ. et assurance des groupements sportifs, PUS d’Aix – Marseille 2001.. Cependant, il fallait s’attendre à ce que la Cour de cassation leur applique un régime de responsabilité de plein droit. En effet, l’arrêt du 19 février 1997 ayant substitué une présomption de responsabilité à la présomption de faute des père et mère, il apparaissait difficile, à moins d’une incohérence, qu’il pu en être autrement pour les groupements sportifs, ce qu’est venu confirmer l’arrêt « des majorettes »[16]Jugé que l’association organisatrice d’un défilé de majorettes était « tenue de plein droit de réparer, avec son assureur, le préjudice résultant du fait dommageable commis par … Continue reading. C’est précisément cette décision qui a, un temps, semé le trouble sur la question de la responsabilité de l’auteur du dommage comme condition préalable à celle du groupement. Elle était, en effet, susceptible d’être interprétée comme la volonté de la 2èmechambre civile d’opter pour une responsabilité purement causale des associations sportives. L’accident ayant été provoqué par la manipulation d’un bâton, on ne voit guère ce qui pouvait être reproché à son auteur si ce n’est sa maladresse. Toutefois, ce n’est pas la solution qui a été retenue. En effet, depuis son arrêt du 20 novembre 2003[17]Cass. Civ. 2, 20 nov. 2003, n°02-13.653. Bull. civ. II, n° 356 p. 292., la deuxième chambre civile a, de façon constante[18]Cass. Civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.2022. Bull. civ. II, 2004, n° 232 p. 197 – Cass. Civ. 2, 21 oct.  2004, n°03-17.910 03-18.942.  Bull. civ. II  2004, n° 477, p. 404 ; Cass. Civ. 2, 22 … Continue reading, imposé aux juges du fond de rechercher l’existence d’une faute de l’auteur du dommage, sans qu’il y ait d’ailleurs de véritable résistance de leur part[19]Selon une étude effectuée par le Centre de droit et d’économie de Limoges et citée par l’avocat général dans son avis à l’Assemblée plénière, trois Cours d’appel sur 16 (Bordeaux, … Continue reading. Cette jurisprudence, qui a été consacrée « sans ambiguïté » par l’Assemblée plénière dans son arrêt du 29 juin 2007[20]Cass. Ass. Plénière, 29 juin 2007, n° 06-18.141. Bull. AP 2007, n° 7., doit être approuvée car une responsabilité automatique du seul fait de la survenance de l’accident aurait créé une charge insupportable pour les clubs et aurait constitué une menace sérieuse pour l’organisation des compétitions. Mais de quelle faute est-il question ? Quel doit être son degré d’intensité ?  Faute simple ou faute caractérisée ; faute intentionnelle ou non ? Dans son arrêt du 20 novembre 2003[21]Cass. Civ. 2, 20 nov. 2003, n° 02-13.653, Bull. civ. II 2003, n° 356, p. 292. JCP G, II, 10017, p. 237-242, note J. Mouly. RTD civ. janv./mars 2004,  n° 1, p. 106-108, note P. Jourdain., la 2ème chambre civile emploie pour la première fois l’expression de « faute caractérisée par une violation des règles du jeu ». Dans ceux du 22 septembre 2005[22]Cass. Civ. 2, 22 sept. 2005, n° 04-14.092. Juris-Data n° 029771. Bull. civ. II, 2005, n° 234, p. 208. JCP G 2006, II, 1000, note D. Bakouche. Cah. dr. sport n° 3, 2006, p. 159, note M.  Boudot. et du 5 octobre 2006[23]Cass. Civ. 2, 5 oct. 206, n° 05-18.494, Bull. civ. II 2006, n° 257, p. 238. elle fait, allusion à une faute délibérée[24]Il confirme, cette fois-ci, la position de la Cour d’appel de Montpellier, qui avait décidé qu’en relevant délibérément la mêlée, les joueurs avaient commis une faute caractérisée par … Continue reading. En tout état de cause la sanction arbitrale « avec la seule appréciation large et ambiguë de comportement anti-sportif » ne suffit pas à établir l’existence d’un comportement brutal fautif. De même, « la violence, la brutalité ou la déloyauté de son geste, sa force disproportionnée ou superflue, ne peuvent être déduites de la seule gravité des blessures »[25] Cass. Civ. 2, 20 nov. 2014, 13-23.759.. La majorité des auteurs s’accorde donc pour entendre la faute délibérée au sens de « faute contre le jeu », c’est-à-dire de brutalité, de déloyauté ou encore de prise anormale de risque. Ne sont pas concernées les fautes de jeu comme les maladresses, les fautes techniques et les erreurs d’appréciation qui bénéficient de l’immunité[26]En ce sens, Cass. civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.222,  Bull. civ. II 2004, n° 232, p. 197 – Cass. Civ. 2, 22 sept. 2005, n° 04-14.092. Bull. civ. II 2005, n° 234, p. 208.. La question n’est pas de savoir si l’auteur du dommage a ou non recherché le résultat, mais de s’assurer que les faits incriminés caractérisent bien des brutalités comme l’agression d’un arbitre (y compris dans les vestiaires)[27] Cass. Civ. 2, 5 juill. 2018, n° 17-19.957), Bull. II 2018, n° 154., d’un joueur qui frappe son adversaire avec ses chaussures[28]Cass. Civ. 2, 8 juill. 2010, 09-68.212. ou un engagement excessif et déloyal comme le tacle opéré avec retard[29]Cass. Civ. 2, 29 août 2019, 18-19.700.. Comme l’écrit J-M. Marmayou « la faute délibérée a ceci de plus sur la faute volontaire que la détermination du fautif s’est faite en connaissance de règles de prudence et de sécurité particulières et en conscience de leur violation et ceci de moins sur la faute intentionnelle que le fautif n’a pas forcément recherché le résultat dommageable »[30]JCP G, n° 37, 12 sept. 2007, II 10150.. En définitive, il importe peu de savoir si le coureur qui a déséquilibré son adversaire a voulu ou non sa chute, mais de rechercher s’il a délibérément quitté sa ligne pour se donner une chance supplémentaire de gagner une place au mépris de la sécurité des autres concurrents, comme peut le faire le coureur qui, lors du tour de France 2017, s’est soudainement déporté vers les barrières barrant la route à un autre candidat à la victoire d’étape qu’il a fait chuter en lui donnant un coup de coude, ce qui constitue de toute évidence un « manquement caractérisé à la loyauté de la pratique sportive et à l’esprit du jeu excédant les risques normaux inhérents à la pratique du sport concerné ». Mais peut-on appliquer cette appréciation des juges Aixois à notre cas d’espèce ? En l’occurrence, ils se sont attachés à relever, à partir de deux témoignages et des photos prises à l’arrivée, que l’auteur du dommage a frôlé la victime en le doublant en contravention des règlements de l’UFOLEP qui sanctionnent le « sprint dangereux » au titre des fautes techniques. Cependant, le fait pour un coureur, lors du sprint, de quitter sa ligne en serrant un concurrent de trop près pour le dépasser à grande vitesse, s’il figure bien dans la liste des fautes techniques peut-il être, pour autant, considéré comme l’auteur d’une faute délibérée ? Un brusque écart fait partie des péripéties de la course, particulièrement lorsque les concurrents se placent en vue de disputer un sprint. Au coude à coude, entourés par leurs voisins, les coureurs doivent se faufiler pour se retrouver en première ligne. Dans ces conditions un changement soudain de direction n’est, tout au plus, qu’une faute courante, comme peut l’être l’inobservation des règles de positionnement d’une mêlée de rugby qui ne suffisent pas à elles seules pour constituer une faute qualifiée, s’il n’est pas établi que l’acte est délibéré[31]Cass. civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.222. N° 89-15231. Bull. civ. II, 2004, n° 232, p. 197. Cah. dr. sport 2005, n° 2, p. 157, obs. C-A. Maetz. Cass. Civ. 2, 22 sept. 2005, n° 04-14092. Bull. … Continue reading. C’est en ce sens que c’était prononcée la cour d’appel de Pau ayant mis hors de cause un coureur qui s’était brutalement déporté sur sa droite au moment de disputer un sprint pour l’octroi d’une prime faisant chuter un autre concurrent ayant heurté sa roue arrière (CA Pau, 19 mars 2019). Y aurait-il donc deux poids et deux mesures ?

L’absence de sanction par l’autorité fédérale du coureur impliqué dans la chute aurait pu être invoquée en sa faveur. Mais les juges se plaisent à rappeler une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle il n’y a pas d’autorité de la chose arbitrée et affirment que « la violation des règles du jeu laissée à l’appréciation de l’arbitre n’a pas pour effet de priver le juge civil, saisi d’une action en responsabilité fondée sur la faute de l’un des pratiquants, de sa liberté d’apprécier si le comportement de ce dernier a constitué une infraction aux règles du jeu de nature à engager sa responsabilité[32] Cass. Civ. 2,10 juin 2004, 02-18.649. Bull. civ. II 2004, n° 296 p. 250. ».

 

  • La garantie de l’assureur en responsabilité

A quoi sert de rechercher la responsabilité de l’auteur d’un dommage s’il est insolvable ! C’est là qu’intervient l’assureur en responsabilité. Pour garantir la réparation des victimes d’accidents sportifs, le législateur a mis à la charge des groupements sportifs l’obligation de souscrire, pour l’exercice de leur activité, des garanties d’assurance couvrant leur responsabilité civile, celle de leurs préposés salariés ou bénévoles et celle des pratiquants du sport en application de l’article L. 321-1 du code du sport. Voilà pourquoi la MACIF, assureur du club, est condamnée solidairement avec le coureur et son club à un double titre. D’une part en vertu de sa propre responsabilité civile engagée sur le fondement de l’article 1142 alinéa 1 et d’autre part comme garant de la responsabilité de son membre à raison de la faute commise par ce dernier.

 

 

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire de la jeunesse et des sports – Docteur en droit – Membre associé au laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport de l’Université Claude Bernard Lyon 1 (LVIS) – Spécialisé dans le contentieux des accidents sportifs

 

 

 

 

En savoir plus :

CA Aix, 24 juin 2021, nA°- 20_05502 COURSE CYCLISTE

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Jean-Pierre Vial

References

References
1 Cass. Civ. 2, 22 mai 1995, n° 92-21.871, Bull. civ. II 1995, n° 155, p. 188.  Resp. civ. et assur. 1995, comm. n° 289 et chron. n° 36, obs. H. Groutel. JCP G 1995, II, 22550 note J. Mouly. RTD civ. 1995, p. 899, obs. P. Jourdain.  D. 1995, somm. p. 29, note F. Alaphilippe. LPA févr. 1996, n° 15, p 16, note S. Hocquet-Berg. Gaz Pal 1996, 1, 16 obs. F. Chabas. JCP 1995, I, 3852, obs. G. Viney. Défrénois 1996, n° 36272, p. 357, obs. D. Mazeaud.
2 Cass. civ. 1, 15 juill. 1999, n° 97-15.984. Bull. civ. 1999 I, n° 251, p. 162. JCP 2000, 1,197, n° 9 , obs. G. Viney. C. Cass. Civ.1, 12 mai 2004, n°  01-16940.
3 Si les équipiers d’un voilier de course acceptent «  les risques normaux et prévisibles d’une compétition en mer de haut niveau », ils n’ont pas pour autant accepté le risque de mort qui, dans les circonstances de la cause, constituait un risque anormal ». Cass. civ. 2e, 8 mars 1995, n° 91-14.895. Bull. Civ. 1995 II, n° 83 p. 47.
4 E. Agostini, note sous Civ. 2e, 5 juin 1985, JCP G 1987. II. 20744.
5 J. Mouly, note sous Civ. 2e 4 nov. 2010, D. 2011 p. 690.
6 Cass. Civ. 2, n° 09-65947, Bull. civ. 2010 II, n° 176. JCP G 2011, note 12, D. Bakouche. RTD civ. 2011, p. 137, obs. P. Jourdain. D.2011 p. 690, note J. Mouly.
7 Loi n° 2012-348 du 12 mars 2012
8 Cass. Civ. 2, 11 oct. 1989 n° 88-16.219, Bull. civ. 1989 II, n°175 p 89. Cass. Civ. 2, 15 mars 2001, n° 99-17.263.
9 Cass. Civ. 2,9 juin 1939 DH 1939, p 449.
10 Cass. Ch. Crim. 21 juin 1990, n° 89-82.632, Bull. crim. 1990, n° 257, p. 662.
11 Cass. Ass. plén. 29 mars 1991, n° 89-15.231. JCP G 1991, II, 21673, note J. Ghestin. D. 1991, jurispr. p. 324, note C. Larroumet.  RTD civ. 1991, p. 541 obs. P. Jourdain.
12 Cass. crim., 8 janv. 2008, n° 07-81.725. Cass. Civ. 2, 9 déc. 1999, n° 97-22.268. Bull. civ. II, n° 189, LPA mars 2000, p. 20, note M-C. Meyzeaud-Garaud. Crim. 10 oct. 1996, Bull. crim. n° 357. JCP G 1997, II, 22833, note F. Chabas
13 La responsabilité des groupements sportifs professionnels relève de l’alinéa 5 de l’article 1242 ayant trait à la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés. Cass. Civ, 2, 8 avr. 2004, n° 03-11.653.
14 F. Chabas, Gaz. Pal. 1992, p. 513.
15 En ce sens L. Gavari, Responsabilité civ. et assurance des groupements sportifs, PUS d’Aix – Marseille 2001.
16 Jugé que l’association organisatrice d’un défilé de majorettes était « tenue de plein droit de réparer, avec son assureur, le préjudice résultant du fait dommageable commis par l’un de ses membres à l’occasion de la manifestation qu’elle avait organisée ». Cass. Civ, 2,12 déc. 2002, n° 00-13.553. Bull. civ. II, n° 289 p. 230.
17 Cass. Civ. 2, 20 nov. 2003, n°02-13.653. Bull. civ. II, n° 356 p. 292.
18 Cass. Civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.2022. Bull. civ. II, 2004, n° 232 p. 197 – Cass. Civ. 2, 21 oct.  2004, n°03-17.910 03-18.942.  Bull. civ. II  2004, n° 477, p. 404 ; Cass. Civ. 2, 22 sept. 2005, n° 04-14.092. Bull. civ. II, 2005, n° 234, p. 208;  Cass. Civ. 2,  13 janv. 2005, pourvoi n° 03-18.617,  Bull. civ. II, 2005, n° 10 p. 10 ; Cass. Civ. 2, 5 oct. 2006, n° 05-18.494, Bull. civ. II 2006, n° 257, p. 238.
19 Selon une étude effectuée par le Centre de droit et d’économie de Limoges et citée par l’avocat général dans son avis à l’Assemblée plénière, trois Cours d’appel sur 16 (Bordeaux, 20 mars 2001, Juris-Data n° 140816 et  22 mai 2001, Juris-Data n° 150084 – Agen, 5 déc. 2000, Juris-Data n° 140828 – Lyon, 9 févr. 2000, Juris-Data   n° 122242) auraient adopté une responsabilité de plein droit pour la période de 2000 à 2006.
20 Cass. Ass. Plénière, 29 juin 2007, n° 06-18.141. Bull. AP 2007, n° 7.
21 Cass. Civ. 2, 20 nov. 2003, n° 02-13.653, Bull. civ. II 2003, n° 356, p. 292. JCP G, II, 10017, p. 237-242, note J. Mouly. RTD civ. janv./mars 2004,  n° 1, p. 106-108, note P. Jourdain.
22 Cass. Civ. 2, 22 sept. 2005, n° 04-14.092. Juris-Data n° 029771. Bull. civ. II, 2005, n° 234, p. 208. JCP G 2006, II, 1000, note D. Bakouche. Cah. dr. sport n° 3, 2006, p. 159, note M.  Boudot.
23 Cass. Civ. 2, 5 oct. 206, n° 05-18.494, Bull. civ. II 2006, n° 257, p. 238.
24 Il confirme, cette fois-ci, la position de la Cour d’appel de Montpellier, qui avait décidé qu’en relevant délibérément la mêlée, les joueurs avaient commis une faute caractérisée par une violation des règles du jeu.
25 Cass. Civ. 2, 20 nov. 2014, 13-23.759.
26 En ce sens, Cass. civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.222,  Bull. civ. II 2004, n° 232, p. 197 – Cass. Civ. 2, 22 sept. 2005, n° 04-14.092. Bull. civ. II 2005, n° 234, p. 208.
27 Cass. Civ. 2, 5 juill. 2018, n° 17-19.957), Bull. II 2018, n° 154.
28 Cass. Civ. 2, 8 juill. 2010, 09-68.212.
29 Cass. Civ. 2, 29 août 2019, 18-19.700.
30 JCP G, n° 37, 12 sept. 2007, II 10150.
31 Cass. civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.222. N° 89-15231. Bull. civ. II, 2004, n° 232, p. 197. Cah. dr. sport 2005, n° 2, p. 157, obs. C-A. Maetz. Cass. Civ. 2, 22 sept. 2005, n° 04-14092. Bull. civ. II, 2005, n° 234, p. 208. JCP G 2006, II, 1000, note D. Bakouche.
32 Cass. Civ. 2,10 juin 2004, 02-18.649. Bull. civ. II 2004, n° 296 p. 250.





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