L’arrêt de la Cour de cassation du 1er octobre 2014 mérite l’attention, moins pour son motif de cassation lié à l’inobservation d’une règle de preuve qu’au refus obstiné de sa première chambre civile de qualifier de résultat l’obligation de sécurité contractée par l’organisateur sportif. Il en résulte un sérieux aléa sur la réparation des dommages comme celui supporté par un plongeur accidenté lors du transport en bateau sur un site de plongée, qui a vainement tenté d’échapper à l’obstacle  de la preuve en soutenant que l’exploitant était assujetti à une responsabilité de plein droit.


1-Au  retour en bateau d’une sortie de plongée sous-marine, un des participants, déséquilibré par le  franchissement de deux fortes vagues, fait une chute et se blesse au genou. Il demande réparation à l’exploitant, mais est débouté par les premiers juges dont  la décision est confirmée en appel. En revanche, il obtient gain de cause sur une question de preuve.  La cour d’appel  refuse de  prendre en considération la vitesse excessive de l’embarcation que la victime prétendait établir à partir des annotations de son carnet de plongée. Elle considère, en effet, que celle-ci était contraire à l’adage selon lequel « on ne peut se constituer de preuve à soi même » que la Cour de cassation a mainte fois appliquée et qui relève du bon sens.  Se contenter des affirmations du demandeur mettrait à mal la quête de vérité et l’exigence d’impartialité véritables piliers des règles probatoires. Toutefois il ne faut pas se méprendre sur la portée de cet adage. Il interdit simplement au juge d’accueillir la preuve d’un acte juridique à la seule vue d’un document dressé par l’un des plaideurs à son avantage[1] ce qui serait le cas de la personne qui s’autoproclamerait, « par un acte dont elle serait le seul auteur, propriétaire, acquéreur, créancier, usufruitier, légataire, preneur à bail »  comme l’évoque une étude de la Cour de cassation sur la preuve dans son rapport de 2012[2].  En revanche, l’adage n’est pas applicable à la preuve d’un fait juridique ainsi que la Haute juridiction a eu l’occasion de l’affirmer à plusieurs reprises et encore récemment[3]. Ce tempérament au principe de l’interdiction de la preuve auto constituée s’explique par la liberté de  preuve des faits juridiques[4] qui peut se faire par tous moyens,  à l’inverse du système de la preuve légale des actes juridiques.  En appliquant l’adage « on ne peut se constituer de preuve à soi même » pour refuser d’apprécier les annotations du carnet de plongée de la victime, alors qu’il s’agissait d’établir la preuve d’un fait juridique les juges s’exposaient à une inexorable censure.

2-On observera que le procès s’est tenu  sur le terrain de la responsabilité contractuelle alors que la victime aurait pu être tentée de rechercher la responsabilité délictuelle de l’exploitant sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 du code civil dans le dessein de faire  l’économie de  la charge de la preuve d’une faute de celui-ci.  Mais fallait-il encore établir que   l’embarcation  avait été l’instrument du dommage et que c’est sa vitesse excessive qui avait provoqué sa perte d’équilibre et sa chute. Par ailleurs, le plongeur prenait le risque d’un rejet de sa demande pour violation de la règle du  non cumul d’autant que  la Cour de cassation ne s’est pas privée de rappeler à l’ordre à plusieurs reprises les contrevenants[5].

3-La voie de la responsabilité contractuelle, si elle est respectueuse de la règle du non-cumul est, en revanche, beaucoup plus aléatoire. En effet, les tribunaux considèrent que l’obligation de sécurité de l’organisateur d’activités sportives n’est qu’une obligation de moyens et non de résultat. Il faut rappeler ici que la qualification de l’obligation de sécurité dépend du  comportement de la victime : obligation de résultat si elle ne participe pas à l’exécution de la prestation et obligation de moyens dans le cas contraire. L’enjeu de la distinction est celui de la charge de la preuve. Si l’obligation est de moyens, la victime a la charge d’établir la preuve d’une faute de l’organisateur. En revanche, si l’obligation est de résultat, l’organisateur est de plein droit responsable du seul fait de la survenance du dommage et c’est à lui que revient la charge d’établir l’existence d’une cause étrangère exonératoire de responsabilité. En l’occurrence le plongeur prétendait que l’organisateur était assujetti à une obligation de résultat pour les accidents survenus en cours de transport elle même fondée sur le rôle passif du plongeur pendant le temps de transport (I) et à défaut sur la dangerosité de ce sport (2)

I- Obligation de sécurité et rôle passif du sportif
 
4-L’obligation de sécurité de l’organisateur d’activités sportives est habituellement rangée dans la catégorie des obligations de moyens en raison du rôle naturellement actif de tout pratiquant sportif. Toutefois, certains contrats, dits à exécution successive, alternent des phases où le pratiquant a successivement un rôle actif puis passif. Dans ce cas, l’obligation de moyens s’applique aux phases actives et l’obligation de résultat à celles passives. Ainsi dans le contrat de télésiège, l’obligation de l’exploitant est de moyens pendant les phases d’embarquement et de débarquement et de résultat pendant la phase de transport[6]. S’inspirant de cette jurisprudence, la victime s’efforçait de faire le parallèle entre ce type de contrat et celui d’organisation de plongées subaquatiques. Selon son analyse, « même si le contrat d’organisation d’une sortie de plongée sous-marine ne peut être qualifié en totalité de contrat de transport, la partie de la prestation qui consiste dans le déplacement depuis la côte jusqu’au site de plongée, comme le trajet retour, s’analyse en une prestation de transport, en sorte que, comme le transporteur, l’organisateur est tenu durant cette phase d’une obligation de sécurité de résultat dont il ne peut s’exonérer qu’en démontrant l’existence d’une cause étrangère ».

5- Cette analyse est recevable à condition que les juges admettent que la phase de transport soit détachable du contrat. Or, selon la Cour de cassation, « le transport sur les lieux de la plongée présentait des spécificités ne permettant pas de le considérer comme un contrat de transport détachable du contrat principal ». De quelles spécificités s’agissait-il ? Il faut, pour répondre à cette question, partir de la définition du contrat de transport. La cour d’appel de Montpellier rappelle que le transporteur s’engage moyennant une rémunération à déplacer une marchandise, un engin ou une personne d’un point à un autre et possède la maîtrise de l’opération contrairement au  passager qui n’intervient à aucun moment dans l’exécution du contrat. Or l’examen des circonstances du déplacement sur le site de la plongée révèle que les plongeurs avaient reçu la consigne avant le départ ne pas décoller des boudins pneumatiques semi-rigides sur lesquels ils avaient pris place, de rester attentifs aux vagues et souples sur leurs jambes afin d’amortir les irrégularités de la mer et éviter tout rebond préjudiciable. En somme, ils n’étaient pas complètement passifs comme le passager d’un véhicule automobile, mais devaient respecter certaines règles de comportement. Cependant, cette participation « active » au déplacement ne suffit pas à expliquer sa spécificité et à justifier que la phase de transport ne soit pas détachable du contrat de plongée.  Il y a également une autre raison qui porte sur la finalité de ce contrat. Prenons l’exemple du baptême de l’air en parapente biplace. Il cumule à la fois le loisir d’une découverte d’un sport aérien mais aussi un déplacement dans les airs qui est  l’objet principal du contrat. En conséquence, la 1re chambre civile de la  Cour de cassation l’assimile à un contrat de transport aérien[7]. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une initiation au parapente, la finalité du contrat n’est pas de se déplacer mais de recevoir une leçon. Dès lors, c’est l’obligation de moyens qui s’applique[8].

6- Le contrat d’organisation d’une plongée sous marine a pour finalité la pratique d’un sport et non le déplacement de personnes. Le transport ne fait pas partie intégrante de la plongée. Il n’a aucune raison d’exister en son absence car il n’a pas d’autre objet que d’acheminer les plongeurs sur le site de plongée. La plongée est l’objet essentiel du contrat et le déplacement l’accessoire. Aussi, si on raisonne comme l’a fait la Cour de cassation pour le  baptême de l’air en parapente biplace, il faut considérer que la phase de déplacement, doit être soumise au même régime juridique que l’opération de plongée, et donc à l’obligation de sécurité de moyens.

7-On peut encore objecter, comme le fait le pourvoi, que l’obligation de résultat de l’exploitant était fondée sur  la dangerosité de l’activité.

II- Obligation de sécurité et dangerosité de l’activité

8-Le pourvoi prétendait « que ce type de contrat fait peser sur son responsable une obligation de résultat dès lors que le sport pratiqué est dangereux et que les participants ont un rôle purement passif et remettent leur sécurité entre les mains de l’organisateur ce qui a été le cas en l’espèce ». Sans doute, l’exploitant s’est-il inspiré d’un  arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du  1er juillet 1997, ayant mis  une obligation de résultat à la charge d’un club de vacances dont un client avait été mordu par une murène, lors d’une plongée subaquatique[9]. En l’occurrence, le terme  d’obligation de résultat n’avait pas été explicitement prononcé, mais c’était tout comme, puisqu’il était reproché aux juges du fond d’avoir débouté la  victime « sans relever le caractère imprévisible et irrésistible de la présence d’une murène sur les lieux de la plongée ». On ne voit pas très bien pourquoi, comme l’indique l’annotateur de l’arrêt, « les juges du fond auraient été tenus de relever les caractères de la force majeure pour décharger le défendeur de sa responsabilité » s’il n’avait été question que d’une obligation de moyen[10]. Toutefois, cet arrêt est demeuré isolé et n’a pas été confirmé.

9-De son coté, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation s’obstine à considérer que l’organisateur sportif est assujetti à une obligation de moyens. Elle a cependant tempérée sa position en admettant que cette obligation doit être « appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux »[11] ce qui implique un alourdissement des mesures de sécurité à la charge de l’organisateur. Ainsi, elle a reproché à un exploitant de parapente de ne pas s’être inquiété auprès de son élève qui effectuait son premier saut, de son état physique et psychologique au moment de sauter[12]. De même, elle a retenu la responsabilité d’un moniteur de ski pour avoir omis d’alerter ses stagiaires sur l’existence d’une barre rocheuse non signalée[13]. Si elle impose à l’organisateur une plus grande vigilance pour la sécurité de l’usager en renforçant l’obligation de moyens, la Cour de cassation refuse avec obstination de mettre à sa charge une obligation de résultat comme le confirme le présent arrêt. Il ne reste plus à souhaiter à la victime que la cour de renvoi examine avec bienveillance son offre de preuve imputant la cause de l’accident à la  vitesse excessive du canot.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 
En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012

Jean-Pierre Vial





Notes:

[2] Titre 1 – Valeur probante de l’élément produit. Chapitre 1 – Principe de la force probante
[3]Cass. 3e civ., 3 mars 2010, n° 08-21.056, 08-21.057.Bull. civ. 2010, III, n° 52. Cass.civ. 2, 6 mars 2014, n°13-14295. Bull. civ II, n° 65.
[6] Civ 2, 10 mars 1998, 96-12141 Bull. civ. I, n° 110, p73. D. 1998 jurispr.  p. 506, note J. Mouly. LPA n° 118, p. 23, note F. Gauvin.
[7] Civ 1, 3 juillet 2001, no 00-10.435  Bull. civ. 2001, n° 205 p. 130. En revanche, la chambre criminelle  a approuvé une cour d’appel ayant écarté les dispositions spécifiques du Code de l’aviation civile et de la Convention de Varsovie aux motifs que « le vol avait pour finalité essentielle la découverte par la victime de sensations et émotions diverses tant à l’occasion de la course d’envol et de la réception à l’atterrissage qui supposent une participation active du passager, que du vol lui-même… ». Cass. crim. 20 mars 2001 n° 00-83286 Bull.crim. 2001 n° 76 p. 250.
[8] Civ. 1, 4 juill. 1967, Bull. civ.1,° 248. JCP G 1967,15234, note P. Chauveau.
[9] Crim. 1er juill. 1997, D. 1997, IR 212. Bull. crim. 1997, n° 259, p. 881. D. 1998, somm. p. 199, note P. Jourdain.
[10] RTD civ. 1998, p. 116. P. Jourdain.
[11] Civ. 1, 16 oct. 2001, n° 99-18221 . Bull. civ. I, 2001, n° 260, p.164. D. 2002, somm. 2711 obs. A. Lacabarats, JCP 2002, 2, 10194, note C. Lièvremont. RTD civ. 2002, p. 107 obs. P. Jourdain. Gaz. Pal. 2002, 1374, note P. Polère.
[12] Civ. 1, 5 nov. 1996,n° 94-14975. Bull. civ. I, 380 p. 266. D. 1998, somm. 37 obs. A. Lacabarats
[13] Civ 1, 9 février 1994, n°91-17202.Bull. civ. I, n° 61 p. 48. Gaz. Pal. p.1994, panor. p. 158. JCP G, 1994, 22313, p. 335, note  D. Veaux.

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