Les dernières manifestations des agriculteurs ont remis sur le devant de la scène le poids des normes ainsi que leurs conséquences sur le quotidien de celles et ceux qui nous nourrissent : impact sur la charge de travail, incompréhension, injonctions contradictoires, perte de sens.
L’étymologie de la norme c’est pourtant deux choses : l’équerre et la règle. Ce sont avant tout des outils, et une juste mesure. Or aujourd’hui, la norme ne se vit pas comme un outil. Il ne s’agit pas de solutionner, d’appuyer ou encore réparer. Pour que la norme soit un outil, il faudrait que chacune d’elle interroge davantage ce qu’elle cherche à résoudre, celles et ceux qu’elle aide, et mesurer son utilité en la remettant en cause si elle n’en a pas réellement. Sans cela, nous restons dans la fuite en avant des normes qui s’entretiennent entre elles, quelque fois même de manière contradictoire. Les lois sont souvent les cibles privilégiées des accusations d’inflation normative, mais de nombreuses “petites normes” (règlements administratifs d’application, doctrines, procédures, déclarations, certificats etc.) viennent se créer et s’empilent. Et qu’il vous prenne l’idée d’être une structure de l’économie sociale et solidaire (ESS) pour que le logiciel opérationnel déraille.
Si les lois ont à se justifier a minima dans un exposé des motifs, et sont discutées dans le cadre d’un échange qui se veut normalement démocratique, ces “petites normes”, quant à elles, s’imposent généralement sans débat.
Quelques exemples. Nombre d’associations renoncent à certains financements jugés beaucoup trop lourds en termes de suivi administratif, alors que leurs projets sont réellement impactant. Les coopératives se cassent les dents sur le guichet unique pour créer ou modifier leur structure en cours de vie sociale. Sans parler de règles spécifiques ajoutées à certaines de ces structures, par diverses autorités de tutelle, du fait de leurs statuts ou agréments, et qui se durcissent toujours plus. Cette multiplication sans cesse des “petites normes” témoigne autant d’un manque de confiance vis-à-vis de ces organismes de l’ESS, que d’une absence de prise de hauteur lorsqu’elles sont mises en place. Le législateur n’est pas seul en cause, le réflexe du justificatif partout et tout le temps est à interroger. Un chantier de simplification au niveau législatif ne suffira donc pas à soulager ces structures, il faut que les “petites normes” soient systématiquement interrogées, et qu’on se laisse la possibilité, avec les administrations et autorités de tutelle, de les discuter pour éventuellement les remettre en cause régulièrement. Si le résultat est d’encombrer les serveurs informatiques de justificatifs que personne ne consultera jamais dans un raisonnement du “au cas où”, alors #onmarchesurlatete.
En agriculture, comme dans l’ESS, la “petite norme” doit rester dans cette juste mesure pour ne pas asphyxier, dissuader, ou décourager les porteurs de projets d’utilité sociale et/ou d’intérêt général dont l’énergie devrait être entièrement dirigée vers la réussite de ce qu’ils entreprennent.
Lucie SUCHET, Cheffe de pôle engagement & influence à la Fédération Nationale des CUMA
En savoir plus :
Chronique des Bords de Sèvre – Niort, les 30 & 31 janvier 2024, Jean-Philippe Brun, Institut ISBL février 2024
Moins de politique, plus d’action ?, Pierre Liret, Institut ISBL, février 2024
- ESS : remettre les (petites) normes dans le bon sens - 26 février 2024
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