Que doivent en penser les acteurs associatifs et de l’ESS  ? Tout dépend du rôle qu’ils souhaitent définitivement s’assigner dans l’aide apportée à notre société et l’élaboration des politiques publiques. Si l’on en reste sur une approche strictement philanthropique des associations, certains y verront une « tentative de marchandisation » supplémentaire du secteur non-lucratif[1]Si l’auteur s’interroge sur le sens donnée à cette terminologie d’une manière générale, il pressent que celle-ci est entendue comme une forme de déviance par rapport à l’approche … Continue reading ; d’autres militent, en revanche, pour un véritable rôle de transformation sociale, économique, démocratique et environnementale. Selon cette dernière perspective, l’ouverture des tribunaux de commerce à l’ensemble des activités économiques doit être vue comme une véritable opportunité.

 

Pour les associations à caractère économique, celles que nous aimons qualifier d’entreprise socialement intéressée[2]Contribution Institut ISBL Congrès de ESS France mai 2024, cette expérimentation doit être vécue comme l’opportunité de voire reconnaître son mode d’entreprendre spécifique à l’identique qu’un entrepreneur capitaliste classique. Pour cela, ces « nouvelles » entreprises de l’ESS doivent a minima bénéficier du même régime juridique que celui actuellement qualifié de « monopole du commerçant »[3]C. Amblard et J. Saddier, Activités économiques. Pourquoi les associations ne sont pas (souvent) des concurrentes déloyales, juris associations Dalloz du 1er mai 2024, n°698, pp. 42 à 45, avant de bénéficier (ou non) d’avantages fiscaux supplémentaires en fonction de leur degré d’apport en matière d’utilité sociale et de leur niveau d’investissement en matière de responsabilité sociétale.

Les acteurs de l’ESS doivent pouvoir bénéficier des mêmes outils de développement que les commerçants dont l’avantage compétitif repose pour une bonne partie sur un « monopole »[4]Ibid, pp. 42 à 44 orchestré par un Code de commerce datant de 1807, qu’il conviendrait également de rebaptiser en Code des activités économiques, concept plus large et plus neutre[5]Ibid.. Donc mieux à même d’appréhender l’approche ESS dans cette sphère du monde des affaires.

Ce monopole du commerçant doit désormais être battu en brèche sur tous ses aspects : de ce point de vue,l’idée de créer un registre des activités économiques des entreprises (au lieu du registre du commerce et des sociétés commerciales) participe à démocratiser l’économie en favorisant d’autres formes de développement économique et d’entreprises. En effet, on ne voit pas très bien pourquoi les créanciers des entreprises d’ESS ne pourraient pas disposer d’une information sur leur situation financière, aussi précise que celle qui est organisée par le registre du commerce et des sociétés [6]C. Amblard, Activités économiques et commerciales des associations : contribution à la théorie du tiers-secteur, thèse de droit, université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, juin 1998?

C’est donc dans cet état d’esprit que le secteur associatif, en tout cas sa composante transformatrice, doit aborder cette expérimentation des tribunaux des affaires économiques dont la responsabilité et les compétences en matière contentieuse est élargie à d’autres modes opératoires sur le plan entrepreneurial, et notamment aux associations comme justiciables potentielles.

C’est donc en ce sens que le secteur associatif et les acteurs de l’ESS doivent accueillir cette expérimentation prévue par l’article 26 de la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027[7]L. 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et son décret d’application du 03 juillet 2024[8]D. 2024-674 du 03 juillet 2024 relatif à l’expérimentation du tribunal des affaires économiques.

Selon le législateur, cette expérimentation est applicable « à au moins neuf et aux plus douze tribunaux de commerce désignés par arrêté du ministre de la justice, pendant une durée de quatre ans à compter de la date fixée par cet arrêté, qui ne peut être postérieure de plus de douze mois à la publication du décret pris pour l’application du présent article, pour le jugement des procédures ouvertes à compter de la date fixée par l’arrêté mentionné au présent alinéa. Six mois au moins avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation. L’ensemble des acteurs judiciaires et économiques est associé à cette évaluation. Cette dernière associe également, à parité entre les femmes et les hommes, deux députés et deux sénateurs, dont au moins un député et un sénateur appartenant à un groupe d’opposition, désignés respectivement par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat. L’évaluation porte notamment sur la durée des procédures de liquidation judiciaire, le taux de réformation des décisions, la qualité du service rendu au justiciable et l’appréciation des auxiliaires de justice, au vu des statistiques fournies par le ministère de la justice, d’une part, et de questionnaires de satisfaction, d’autre part. »

Le décret d’application a, quant à lui, été promulgué par décret en Conseil d’Etat le 03 juillet 2024. Il précise « les modalités d’application de l’expérimentation, notamment les modalités de conduite et d’évaluation de l’expérimentation ainsi que les règles d’information des usagers. »

C’est donc bien à ce stade que nous appelons à une meilleure représentativité de l’ESS et du secteur associatif, notamment parce qu’il est question pour le comité de pilotage de cette expérimentation, de « veiller au bon déroulement de l’expérimentation et au fonctionnement efficaces des tribunaux des activités économique. Il recommande[ra] [également] des bonnes pratiques et [pourra] proposer des évolutions réglementaires ou organisationnelles. » Les instances représentatives du secteur de l’ESS, en particulier ESS France, peut-être par l’intermédiaire de ses chambres régionales de l’ESS (CRESS), gagnerait donc à être représentées dans ce comité de pilotage afin de s’assurer que les spécificités des modes d’entreprendre qu’il représente, soient approchées au plus près par cette nouvelle juridiction en cours d’expérimentation.

Il en va de même s’agissant de la partie évaluation de l’expérimentation, qui nécessiterait une présence plus aboutie des instances représentatives de ces entreprises spécifiques « à but non lucratif » (association, fondation, fonds de dotation, mutuelle du Livre III) et « à lucrativité limitée » (coopérative, SCIC, entreprises ESUS) au sein du comité d’évaluation. Notamment parce que l’évaluation en question – organisée sous forme de l’envoi de questionnaires aux intéressés – aura pour objet de « mesurer l’impact de l’expérimentation sur l’organisation » et d’apprécier les conditions de déroulement de l’expérimentation au regard notamment de la représentativité de l’échantillon, (…), de la pertinence des données collectées permettant d’assurer un bilan qualitatif et quantitatif de l’expérimentation ainsi que de l’information des parties prenantes. »

Dès lors, qui de mieux placés que des représentants de ces différentes composantes de l’ESS (ESS France, Le Mouvement Associatif, etc.) éventuellement accompagnées d’experts, pour s’assurer que les tribunaux des affaires économiques seront rompus aux spécificités des associations et autres entreprises de l’ESS dans la sphère des affaires ?

Plusieurs résultats obtenus par cette expérimentation seront cruciaux pour le devenir de ces nouveaux modes d’entreprendre, lesquels on le sait reposent sur le bénévolat de ses dirigeants. Cette spécificité doit pouvoir être entendue par les nouveaux tribunaux des affaires économiques. Sur ce point, une question fondamentale pour le secteur associatif devra rapidement être tranchée car elle s’avère être déterminante pour l’avenir du bénévolat : en effet, quid de la responsabilité des dirigeants bénévoles en charge de la gestion de ces entreprises associatives ? Sur ce point clé, ces nouvelles juridictions expérimentales reprendront-elles à leur compte la jurisprudence constante des juridictions civiles, à savoir que si le bénévolat n’est pas en soi une cause exonératoire de responsabilité[9]V. sur ce point : C. civ. Art. 1992 al. 2 ; C. com. art. L 651-2 al. 1 ; pour des illustrations : CA Caen 6 juill. 2021 n°18/01573 ; CA Bordeaux 30 mai 2013 n°12/01578, il appartient aux juges de tenir compte de cet état de fait au moment de se déterminer sur le quantum des peines à appliquer à ces personnes désintéressées[10]Cass. 1ère civ. 4 janv. 1980 n°78-41.291 : Bull. civ. I n°11.

 

Ainsi on le voit, petite réforme, grands changements (potentiels)…

L’Institut ISBL souhaite informer celles et ceux – dont le militantisme consiste pour une bonne partie à faire valoir le potentiel transformateur de l’ESS – de l’importance de cette expérimentation pour les évolutions futures de ce mode « nouveau » d’entreprendre.

 

 

 

 

En savoir plus :

Décret n°2024-674 du 03 juillet relatif à l’expérimentation du tribunal des activités économiques -> Décret n° 2024-674 du 3 juillet 2024 relatif à l’expérimentation du tribunal des activités économiques – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

L’Entreprise Socialement Intéressée : comment allier performance économique et utilité sociale 

L’association : l’entreprise a-capitaliste qui se fait attendre !, Colas Amblard, Institut ISBL juin 2023

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References

References
1 Si l’auteur s’interroge sur le sens donnée à cette terminologie d’une manière générale, il pressent que celle-ci est entendue comme une forme de déviance par rapport à l’approche originelle de la loi du 1er juillet 1901
2 Contribution Institut ISBL Congrès de ESS France mai 2024
3 C. Amblard et J. Saddier, Activités économiques. Pourquoi les associations ne sont pas (souvent) des concurrentes déloyales, juris associations Dalloz du 1er mai 2024, n°698, pp. 42 à 45
4 Ibid, pp. 42 à 44
5 Ibid.
6 C. Amblard, Activités économiques et commerciales des associations : contribution à la théorie du tiers-secteur, thèse de droit, université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, juin 1998
7 L. 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027
8 D. 2024-674 du 03 juillet 2024 relatif à l’expérimentation du tribunal des affaires économiques
9 V. sur ce point : C. civ. Art. 1992 al. 2 ; C. com. art. L 651-2 al. 1 ; pour des illustrations : CA Caen 6 juill. 2021 n°18/01573 ; CA Bordeaux 30 mai 2013 n°12/01578
10 Cass. 1ère civ. 4 janv. 1980 n°78-41.291 : Bull. civ. I n°11





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