Une situation économique et sociale qui se dégrade

De mois en mois, nous alertons sur la situation économique des associations, faisant part de notre inquiétude sur l’arrêt des activités de nombre d’entre-elles. Le baromètre Hexopée (Organisation professionnelle représentative dans les Branches Eclat, Sport, TSF, HLA) est parlant sur cette question : « Les chiffres témoignent d’une fragilité croissante du secteur : 29% des structures disposent d’une trésorerie inférieure à trois mois, 20% ont dû réduire leur masse salariale en 2024, avec une projection à 22% pour 2025, 33% constatent une diminution des financements publics, 76% sont fortement impactées par l’inflation. »

Et ce mois-ci nous ne pouvons que constater, de nouveau, combien les risques sont grands pour les associations d’une cessation de leur activité. Claire Thoury, présidente du Mouvement Associatif, dans une interview au « pacte du pouvoir de vivre » (7 mars 2025), indique : « …, en 2024, 489 associations ont fait l’objet de liquidations, ce qui représentait déjà une hausse de 50% en deux ans. Et depuis le 1er janvier 2025, on déplore déjà 93 liquidations d’association. »

Cela rejoint les propos de David Cluzeau, président de l’UDES (l’Union des employeurs de l’ESS), qui considère que 186 000 emplois sont menacés par le budget de l’État adopté pour 2025. Il est probable que ce chiffre soit supérieur si les arbitrages en cours sur le budget de l’ESS étaient encore touchés par les décisions du président de la République dans un contexte national et international où les priorités pourraient être ailleurs.

Dans un post sur Linkedin, Claire Thoury considère que trois raisons notables président à cette situation :

  1. la première est structurelle, elle pose la question de la préservation de notre modèle non lucratif mais aussi celle de l’évolution de la structure des budgets des associations : baisse de la subvention depuis 20 ans et augmentation de la commande publique,
  2. la deuxième est politique puisque, si le droit d’association est protégé celui de son financement ne l’est pas : contraintes liées au contrat d’engagement républicain, réduction ou suppression des financements de la part des pouvoirs publics (exemple de la présidente des Pays de la Loire),
  3. la troisième est plus conjoncturelle : baisse du budget des collectivités entrainant une baisse des subventions locales aux associations.

Ces constats généraux sur la situation des structures associatives existent depuis quelques années, et les inquiétudes se font souvent entendre, mais depuis quelques mois, cela empire, à la fois pour des raisons économiques mais aussi pour des raisons politiques et l’importance de la place des associations est de plus en plus déniée.

Leur rôle dans de nombreux domaines de la vie quotidienne, dans le maintien de la paix sociale dans les territoires, dans la construction de réponses adaptées pour des publics en difficulté, dans les domaines de la vie courante (loisirs, sports, éducation, …) n’est plus pris en compte, conduisant à un accroissement des inégalités.

 

Des politiques publiques ayant des conséquences graves pour l’IAE

Et en ce début 2025, un secteur est particulièrement touché : celui de l’insertion par l’activité économique (IAE).

50 ans après la première loi prenant en compte l’IAE (loi du 19 novembre 1974 « étendant l’aide sociale à de nouvelles catégories de bénéficiaires et modifiant diverses dispositions du code de la famille et de l’aide sociale et du code du travail » qui créa les CHRS, les « Centres d’hébergement et de réinsertion sociale », permettant à des personnes « handicapées sociales » de se « réentraîner au travail »), nous nous retrouvons devant une remise en cause profonde par baisse ou suppression de financements de structures qui ont fait leur preuve pour permettre à des personnes éloignées de l’emploi de retrouver une place dans le monde du travail.

En mars 2025, la situation économique des structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) en France est marquée par plusieurs défis et évolutions :

  • Baisse des effectifs : Fin novembre 2024, 158 700 embauches (hors reconductions) en IAE sont comptabilisées depuis le début de l’année, soit une baisse de 2,3 % sur un an, dans un contexte économique de baisse de financement des postes d’insertion et de remise en cause du financement de la partie formation de ces postes, ce qui affecte la capacités des SIAE à accompagner des personnes éloignées de l’emploi
  • Réduction des financements : Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une baisse des crédits dédiés au Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC : le Plan d’Investissement dans les Compétences de l’Insertion par l’Activité Économique (PIC IAE) doit permettre le retour à l’emploi durable des salariés en insertion en accédant à la formation professionnelle), ce qui pourrait réduire les moyens de formation et de qualification des personnes accompagnées par les SIAE. Cette situation déstabilise l’équilibre budgétaire des structures.
  • Incertitudes sur les postes d’insertion : Les structures d’insertion manquent de visibilité concernant le nombre de postes d’insertion financés en 2025, ce qui complique la planification de leurs activités.

Ces éléments montrent une situation de plus en plus difficile avec des incertitudes budgétaires et une baisse des effectifs qui pourraient compliquer l’insertion des personnes éloignées de l’emploi.

Le courrier adressée à Mme Catherine Vautrin Ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles par la Fédération des Associations de Solidarité (FAS), le 17 janvier 2025, est explicite sur ce sujet : « Les 4 600 structures d’IAE qui accompagnent chaque année plus de 300 000 personnes éloignées de l’emploi sont à bien des égards des acteurs essentiels de l’emploi et de la lutte contre les exclusions.

À l’heure de la mise en œuvre effective de la réforme de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, les structures que nous représentons sur les territoires sont à ce jour privées de visibilité en ce qui concerne leur capacité d’accompagnement du fait des incertitudes qui pèsent sur le nombre de postes d’insertion financés en 2025. Le projet de loi de finance pour 2025 prévoit un volume de financement qui ne permet pas de maintenir l’existant compte tenu de la réévaluation du SMIC, et ne prévoit aucune solution de consolidation possible via le Fonds de développement de l’inclusion (FDI) alors même que nombreuses sont les structures en grande difficulté. Par ailleurs, nos structures sur le terrain constatent des ruptures d’engagement de la part des collectivités territoriales et en particulier des départements, lesquels les justifient par les conséquences des restrictions budgétaires de la part de l’État. Il y a là un risque très sérieux de déconstruction de la politique publique.

Plus encore, le gel du déploiement du PIC IAE dans l’attente d’un budget, est incompréhensible pour les personnes en parcours déjà engagés en ce début d’année. Il a en effet pour conséquence directe de priver actuellement les 145.000 personnes que nous accompagnons de perspectives de formation et de qualification, indispensables à leur insertion durable. Sans moyens, les structures de l’IAE voient leur équilibre budgétaire encore plus déstabilisé. »

Cette alerte montre bien la fragilité de l’équilibre de ces structures en raison même de leur objet : être à la fois dans des secteurs d’activités devant générer des financements et assurer la formation de personnes éloignées de l’emploi. Si les activités de ces structures permettent de répondre aux financements de postes de travail, la perte due à la suppression ou à la baisse de la contribution de l’État ne peut que conduire à ces difficultés non compensables par l’activité. Les postes d’insertion demandent un encadrement complémentaire qu’il faut rémunérer et les actions de formation sont autant de temps « non productifs » qu’il faut financer (sans parler du coût induit de la formation elle-même).

Dans son communiqué de presse du 21 janvier, la FAS démontre bien l’impossibilité de poursuivre les missions confiées à ces structures si le budget n’est pas revu et précise : « Pour la deuxième année consécutive, le Plan d’investissement dans les compétences dédié à l’IAE (“PIC-IAE”) verra ses crédits très significativement amputés malgré l’importance que revêt le levier de la formation dans l’insertion durable des personnes accompagnées. Sans formation, pas d’insertion.

Pour la troisième année consécutive, le Fonds de développement de l’inclusion (FDI) ne se voit doté d’aucun crédit alors même que les besoins de consolidation des structures en difficultés se font criants. La pérennité et la survie des SIAE en dépendent.

Nos réseaux le réaffirment, les expérimentations sur l’accompagnement des bénéficiaires du RSA l’ont par ailleurs montré : seul un accompagnement intensif de qualité et prenant en compte la diversité des situations des personnes assure une insertion sociale et professionnelle pérenne.

Le budget 2025 à ce stade aura pour impact immédiat de réduire le nombre de personnes qui seront accompagnées en 2025 au sein des structures de l’insertion par l’activité économique, à la fois du fait de crédits en baisse au niveau de l’État mais aussi en conséquence de la baisse des subventions des collectivités. »

Les choix budgétaires faits par le gouvernement en la matière sont dangereux, non seulement pour les structures, mais aussi pour les personnes bénéficiaires des postes d’insertion et par contrecoup pour l’équilibre trouvé dans les territoires en risquant de mettre au chômage des personnes qui, grâce à ces postes, peuvent travailler.

C’est d’ailleurs ce que rappelle Élisabeth Crépin-Leblond dans son article de Carenews : « « La décision de diminuer les fonds est dangereuse », juge quant à lui Frédéric Fonton, vice-président à la politique emploi et IAE du Mouvement des régies de quartier, présentes dans 300 quartiers prioritaires de la ville.  

« L’insertion par l’activité économique représente un employeur pour les personnes les plus en difficulté. Si nous perdons ces actions, nous perdons le dernier espoir. Il y a un risque d’explosion sociale sur les territoires », alerte-t-il.  

… Pour les membres du Collectif IAE, ces choix budgétaires reflètent, au-delà de la contrainte financière, des choix de société posés par les pouvoirs publics.  

« À quelques heures d’intervalles, Emmanuel Macron annonce 109 milliards d’investissement (NDLR : privés et étrangers) pour l’intelligence artificielle. La question est : quelle est notre modèle de société ? », interroge Laurent Pinet, président du réseau d’entreprises d’utilité sociale territoriale Coorace. En plus d’un seuil de pauvreté en hausse et du « trou béant » de la fracture démocratique, Laurent Pinet pointe l’urgence climatique, à laquelle tentent de répondre une partie des activités de l’insertion par l’activité économique. 

D’après le collectif, les coupes budgétaires mettent en danger la pérennité de nombreuses structures. La Fédération des entreprises d’insertion fait déjà état de 35 % de structures en difficultés financières, tandis que 40 % des structures adhérentes de Chantier école sont en déficit. »

 

Retrouver des liens pour mener une politique cohérente

Ainsi, au travers du secteur particulier de l’IAE, nous voyons combien les liens pouvant exister entre l’État et les associations intervenant dans les territoires pour la mise en place des missions de service public se sont distendus, mettant en grave danger les structures porteuses et particulièrement les associations.

Les politiques actuelles remettent en cause la stabilité même des territoires en changeant de mode de relation et de financement de structures à l’écoute de leurs concitoyens, voir même de citoyens eux-mêmes, engagés dans ces structures. C’est une rupture de plus en plus affirmée entre ce qui peut faire sens et lien social et des gouvernants souvent déconnectés de la réalité.

L’exemple des structures de l’IAE montre ce double lien existant entre l’État et les associations : je ne te reconnais pas pour ce que tu es, mais je t’ordonne de faire ce que je souhaite. La corde ne risque-t-elle pas de casser un jour et entraîner des conséquences incontrôlables ?

 

Jean-Louis CABRESPINES, ancien membre du CESE Délégué général du CIRIEC-France

 

 

 

En savoir plus : 

Cette article a fait l’objet d’une publication dans La Lettre mensuelle du CIRIEC-France (mars 2025)






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