Voici une nouvelle illustration de la mise en œuvre de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil, au mépris du principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle que la Cour de cassation rappelle inlassablement aux juridictions du fond. L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 janvier 2016 condamne, en effet, un club en qualité de gardien d’un gymnase dont une paroi vitrée a blessé un joueur de handball. La victime a pu avoir l’illusion de faire l’économie de la preuve d’une faute, alors qu’il n’en est rien lorsque le dommage est causé par une chose inerte. A l’examen des circonstances de l’espèce, la mise en jeu de la responsabilité du club sur le fondement de l’article 1147 du Code civil aurait vraisemblablement donné le même résultat, sans qu’il soit besoin d’enfreindre la règle du non-cumul.
1- Un joueur de handball se blesse au bras en heurtant une cloison vitrée de la salle d’entraînement d’un gymnase alors qu’il courait en direction du ballon. Il demande réparation à son club et à la Fédération Française de Handball sur le fondement de la responsabilité du fait des choses et obtient gain de cause en 1ère instance et en appel.
2- Cette décision est une nouvelle illustration des libertés prises par les parties avec le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle. Faut-il rappeler que cette règle n’a pas seulement pour objet d’interdire aux victimes de demander réparation de leur dommage à la fois sur le fondement des articles 1147 et 1384 et suivants du Code civil mais signifie aussi que la responsabilité contractuelle prévaut sur la responsabilité délictuelle et qu’elle l’évince à chaque fois que ces conditions sont réunies. En l’occurrence, ce sont les dispositions de l’article 1147 qui auraient dû s’appliquer. En effet, le joueur et son club étaient liés par un contrat et l’accident, en se produisant à l’entrainement, était survenu en cours d’exécution du contrat. Le club étant seulement tenu par une obligation de sécurité de moyens, comme tout organisateur sportif, la victime aurait alors eu à sa charge la preuve d’une faute de l’association, ce qui revenait à établir d’une part la dangerosité de la paroi de verre et d’autre part, l’absence de mesure prise pour protéger les joueurs.
3- Le choix opéré par la victime est de bonne guerre. Le régime de la responsabilité délictuelle du fait des choses lui permet de faire l’économie de la preuve d’une faute grâce à la présomption de responsabilité de l’article 1384 alinéa 1 dont le club ne pouvait se défaire qu’en établissant une cause étrangère de responsabilité et notamment la faute de la victime ayant les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure. Curieusement les appelants n’ont pas opposé au joueur l’exception du non-cumul. Quant aux juges d’appel, ils auraient pu redonner leur exacte qualification aux faits, comme leur permet le Code de procédure civile, sauf si les parties, en vertu d’un accord exprès, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. (art.12 C. pr. civ.).
4- Les appelants soutenaient que le dommage ayant été causé par une chose immobilière, la victime aurait dû agir sur le fondement de l’article 1386 du code civil. Rappelons que ce texte s’applique aux dommages causés par la ruine d’un bâtiment et que son application est subordonnée à la preuve, à la charge de la victime, d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction.
5- Mais la Cour de cassation s’est employée à contourner les conditions d’application de ce texte au fil de ses décisions. Pour y parvenir, elle s’est employée à relever que le dommage n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 1386 en l’absence de ruine du bâtiment.
6- Cette conception restrictive du concept de ruine est illustrée par un arrêt du 22 octobre 2009[1] dans lequel sa 2ème chambre civile a considéré que le dommage causé par la chute d’une pierre provenant de la voûte d’un bâtiment ne constituait pas une des circonstances visées par l’article 1386 du code civil, laissant ainsi le champ libre à l’article 1384 alinéa 1. Le concept de ruine a été ainsi ramené à la portion congrue. La cour d’appel de Paris tient le même raisonnement. Pour écarter l’application de l’article 1386 et épargner à la victime la preuve d’un vice de construction de la paroi vitrée du gymnase. Elle affirme que « l’accident n’est pas dû à la ruine totale ou partielle du bâtiment ».
7- Restait à établir que les conditions d’application de l’article 1384 alinéa 1 étaient réunies. Elles supposent d’une part que le club avait la garde du gymnase et d’autre part que la paroi vitrée avait bien été l’instrument du dommage.
8- Il est acquis que si le propriétaire est présumé gardien, cette présomption tombe dès lors qu’il démontre avoir transféré la garde de la chose. En l’occurrence, s’il est vraisemblable que la commune était propriétaire des locaux, la convention de mise à disposition desdites installations au club constituait le titre de transfert de la garde de l’équipement. En revanche, la Fédération Française de Handball n’était pas gardienne du gymnase dont elle n’avait ni l’usage ni l’entretien. C’est donc à juste titre que la cour d’appel a rejeté la demande formée contre elle par la victime.
9- Si la question de la garde ne soulevait pas de difficulté, en revanche, l’impact de la paroi vitrée dans la survenance du dommage apparaissait moins évident. En effet, si une présomption de causalité ou de fait actif de la chose existe pour celles mobiles, en revanche, s’agissant des choses inertes, comme une paroi vitrée, la victime doit démontrer son rôle actif. En pratique, il faut rapporter la preuve de son anormalité, soit qu’elle ne se trouvait pas là où elle aurait dû être, soit qu’elle était affectée d’un vice de conception, de fabrication ou d’installation. En ce qui concerne les dommages résultant du heurt d’une paroi vitrée, la jurisprudence de la Cour de cassation a connu des évolutions en dent de scie. Auparavant la victime ayant heurté une vitre ne pouvait obtenir réparation, lorsque la position ou la fragilité anormale de la vitre n’était pas établie[2]. Puis, dans les années 1980, certains arrêts ont pris de la distance avec l’exigence d’anormalité en retenant la responsabilité du gardien, nonobstant l’absence de toute anomalie de la chose inerte et à partir de la seule constatation par les juges du fond de l’intervention de la vitre dans la survenance du dommage[3]. Cette tendance s’est confirmée par la suite, quelques décisions allant jusqu’à admettre le rôle causal de la paroi vitrée alors même que son état n’apparaissait ni anormal ni dangereux[4]. A partir de 2005, et notamment dans deux arrêts rendus le 24 février[5], la Cour de cassation a réaffirmé l’exigence d’anormalité comme condition de mise en oeuvre de la responsabilité du gardien de la chose inerte et n’a pas varié depuis.
10- Si la victime d’un dommage causé par une chose inerte n’a pas à établir la faute de son gardien, en revanche elle doit démontrer l’anormalité de la chose. Aussi, sa situation ne diffère guère de celle de la responsabilité contractuelle où il faut rapporter la preuve de l’inexécution d’une obligation de sécurité. Dans les deux cas, la victime doit supporter la charge de la preuve.
11- En l’occurrence, il n’apparaît pas que le vitrage -en verre armé- du gymnase était en soi d’une fragilité anormale. Cependant, la cour d’appel observe que dans cette salle étaient pratiqués des sports comme le handball « au cours duquel les mouvements des joueurs se font avec beaucoup de force ». Dans ces conditions, les juges considèrent que l’absence d’obstacle pour empêcher les joueurs de percuter le vitrage « ne permet pas le déroulement du jeu dans des conditions de sécurité suffisantes et présente un danger évident ». On a ici une illustration intéressante de l’anormalité qui ne s’applique pas à la paroi vitrée, dont la composition n’était pas en cause, mais au défaut de dispositif permettant d’éviter qu’elle soit en contact avec les joueurs. En théorie ce raisonnement se conçoit mais on ne voit guère, en pratique, comment mettre les joueurs à l’abri si ce n’est en installant des matelas ou un grillage le long de la paroi, ce qui paraît peu réaliste. En réalité c’est le choix même du constructeur qui est en question. L’anormalité n’est pas dans l’absence de dispositif de protection de la paroi vitrée mais dans le fait d’avoir clos un des côtés d’un gymnase avec un tel matériau.
12- Il y a de bonnes raisons de penser que la cour d’appel aurait abouti au même verdict si cette affaire avait été jugée sur le terrain de la responsabilité contractuelle. En effet, il aurait été facile d’établir que cette paroi était dangereuse du fait qu’elle pouvait être violemment heurtée par des joueurs et, qu’en n’ayant pris aucune mesure pour garantir leur sécurité, l’association avait manqué à son devoir de sécurité.
La victime soutenait encore « qu’elle n’a jamais signé de contrat d’assurance » et que les « possibilités d’extension à une garantie plus importante n’ont jamais été portées à sa connaissance ». A l’évidence, elle a été mal conseillée ! En effet les associations sportives sont assujetties, en application de l’article 321-1 du code du sport à une obligation légale de souscrire des garanties d’assurance couvrant leur responsabilité civile. En l’occurrence cette garantie devait bénéficier à la victime dès lors qu’elle-même et son club avaient entre eux la qualité de tiers puisque le contrat mentionnait explicitement qu’il fallait « entendre par tiers : toute personne autre que l’assuré responsable du sinistre » ce qu’étaient à l’évidence les membres du club. L’assureur en responsabilité ayant été condamné solidairement avec l’association à réparer l’entier dommage subi par la victime, la question d’une information insuffisante sur l’assurance individuelle accident devenait sans objet.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
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Documents joints:
CA PARIS 19 JANVIER 2016Notes:
[1] Civ. 2e,. 22 oct. 2009, n° 08-16766. RTD Civ. 2010 p. 115, note P. Jourdain.
[2] Cass. 2e civ., 28 mai 1986, n° 85-11875. Bull. civ. 1986, II, n° 85. Cass. 2e civ., 20 janv. 1993, n° 91-17558. Bull. civ. 1993, II, n° 21. Cass., 2e civ. 7 mars 1979, n° 77-14141. Bull. civ. 1979, II, n° 75. Cass. 2e civ., 16 nov. 1978, n° 77-11686.
[3] Cass. 2e civ., 4 juill. 1990, n° 89-15713. Bull. civ. 1990, II, n° 165 ; Resp. civ. et assur. 1990, comm. 22.
[4] Cass. 2e civ., 29 avr. 1998, n° 95-20811. Bull. civ. 1998, II, n° 142. RTD civ. 1998, p. 913, obs. P. Jourdain. Cass. 2 e civ., 15 juin 2000, n° 98-20510. Bull. civ. 2000, II, n° 103 ; RTD civ. 2000, p. 849, obs. P. Jourdain ; D. 2001, p. 886, note G. Blanc.
[5] Cass. 2 e civ., 24 févr. 2005, n° 03-13536 1ère esp. Bull. civ. 2005, II, n° 51. Dans cette espèce où la victime avait heurté une baie vitrée coulissante, la Cour de cassation reproche aux juges du fond d’avoir rejeté cette demande, motif pris qu'il résultait de leurs propres constatations « que la porte vitrée, qui s'était brisée, était fragile, ce dont il résultait que la chose, en raison de son anormalité, avait été l'instrument du dommage ». 2e esp. : n° 03-18135 . Bull. civ. 2005, II, n° 52. RTD civ. 2005, p. 407, obs. P. Jourdain