L’arrêt de la Cour d’Appel de Limoges du 13 mars 2014 révèle la difficulté, pour les randonneurs blessés par des chutes de pierre, d’obtenir la réparation de leur dommage. La voie de la responsabilité du fait des choses conduisant à une impasse, il ne leur reste guère pour fondement que les articles 1382 et 1383 du code civil, avec une chance d’aboutir très aléatoire en raison de la charge de la preuve qui pèse sur le demandeur, comme c’est le cas de tous les régimes de responsabilité pour faute.
1- Un randonneur qui parcourait le GR 20 en Corse avec son épouse et un couple d’amis est blessé par la chute d’une pierre déclenchée par un autre randonneur qui effectuait le même parcours en sens inverse en empruntant une autre voie. La victime reproche à ce randonneur d’avoir commis une faute d’imprudence en s’engageant sur une voie parallèle non équipée ni purgée des pierres instables, sans avoir écouté les avertissements qui lui avaient été donnés après qu’il eut provoqué une première chute de pierres. Elle est déboutée par les premiers juges pour absence de faute caractérisée. Au terme de son analyse la cour d’appel de Limoges arrive à la même conclusion et confirme le jugement.
2- Cette espèce est révélatrice des difficultés pour les pratiquants de sport de montagne d’obtenir réparation lorsqu’ils sont victimes de chutes de pierre. La voie de la responsabilité du fait des choses est des plus incertaines. Sans doute, la causalité est-elle présumée du fait de la mobilité de la pierre. La victime n’aura pas à rapporter la preuve qu’elle a été l’instrument du dommage. Mais elle va se heurter à l’obstacle redoutable de la garde. Le randonneur qui pose le pied sur une pierre n’en acquiert aucun des attributs. Il « ne peut raisonnablement pas diriger et contrôler cette dernière sur laquelle il marche aussi »[1]. Non seulement, il ne détient pas la chose, mais il n’a aucun pouvoir de direction sur celle-ci puisqu’il ne fait que poser le pied dessus. Sans doute, si l’éboulement a été provoqué par une cordée évoluant au-dessus de lui a-t-il la possibilité de démontrer que c’est un maniement de corde dont l’alpiniste a la garde qui a provoqué le dommage[2]. Mais c’est une hypothèse rarissime dont, de surcroît, la preuve est difficile à rapporter, sauf à présumer le lien de causalité entre le jeu de cordes et la chute des pierres. Quoiqu’il en soit, ce moyen ne pouvait être soulevé en l’espèce puisque le randonneur qui avait provoqué l’éboulement évoluait sans cordes.
3- La recherche de responsabilité de l’auteur du dommage sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 conduisant à une impasse, la victime n’avait alors d’autre solution que de l’assigner sur le fondement des articles l’article 1384 alinéa 1 où il n’y a pas à rapporter la preuve d’une faute du gardien, la responsabilité pour faute met le demandeur dans l’obligation d’établir le manquement de l’auteur du dommage au devoir de prudence. A cet égard, la présente espèce illustre bien les difficultés de la tâche. Toutes les tentatives de la victime échouent. D’abord, il n’est pas établi que l’accès à l’autre chemin était interdit. Ensuite, il n’est pas démontré que la voie empruntée par l’auteur de l’éboulement était plus susceptible d’entraîner des chutes de pierre que l’autre voie. Enfin, en l’absence d’indications précises sur la position de la victime, les juges n’ont pas retenu les déclarations de ses compagnons attestant que l’intimé avait continué son ascension malgré une première chute de pierre et en dépit de l’ordre qui lui avait été donné par l’un d’eux de s’arrêter.
4- La confirmation du jugement n’a pas pour seul fondement l’échec de la victime dans sa quête de preuve d’une faute de l’autre randonneur. Elle tient également à sa propre faute, qu’évoque plus ou moins explicitement la décision.
5- L’arrêt relève que les randonneurs empruntant le GR 20 en Corse « ne peuvent ignorer sa dangerosité du fait notamment de la fréquence de chutes de pierres signalées par les ouvrages spécialisés ». C’est une manière implicite de reprocher un manque d’attention à la victime. Les juges le font, plus loin, explicitement quand ils reprennent à leur compte les déclarations d’un des participants signalant que la victime était en train de prendre des photographies. Aussi, n’excluent-t-ils pas « que l’accident trouve sa cause dans un défaut d’attention de la victime à l’occasion d’une ascension connue pour sa dangerosité ».
6- Faut-il être aussi affirmatif que les juges pour qui la victime « ne pouvait ignorer la dangerosité des lieux ». Rien ne prouve que celle-ci ait pris connaissance des ouvrages spécialisés que signale l’arrêt. Si ce type d’information ne doit pas échapper à un professionnel ou à un sportif confirmé, il est plus douteux qu’un randonneur inexpérimenté comme pouvait l’être la victime ait pris ce genre de précaution. Faut-il alors lui reprocher son imprudence ? C’est précisément ce que font les juges comme s’ils considéraient que tous les randonneurs ont le même niveau et la même conscience du danger alors que chaque année, certains d’entre eux mal préparés ou insuffisamment équipés sont victimes de changements brutaux de conditions climatiques dont ils méconnaissaient la survenue sur cet itinéraire. Il est donc regrettable que les juges ne se soient pas interrogés sur l’expérience de la victime en matière de randonnée d’autant que le GR 20 dont la réputation n’est plus à faire rencontre un gros succès et accueille des publics de niveaux très différents.
7- Il n’est pas fait état dans le corps de la décision d’une signalisation du danger par l’autorité administrative. Or, les maires ont le devoir de signaler tous ceux excédant ceux dont les usagers doivent normalement se prémunir. Une commune peut donc être jugée responsable du dommage causé à un promeneur pour carence du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police. Mais le risque de chutes de pierre est courant en montagne et particulièrement élevé lorsque la fréquentation est importante comme c’est le cas du GR 20. Aussi, il n’est pas acquis que la victime aurait obtenu gain de cause si elle avait demandé réparation à la commune du lieu de l’accident. Il n’est pas improbable qu’elle eut été déboutée par le juge administratif au motif que le danger de chutes de pierre ne présentait pas à la date de l’accident, un caractère exceptionnel excédant celui auquel tout randonneur est normalement exposé[3].
Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012