L’animateur d’un séjour de vacances pour jeunes adolescents qui encadre une descente à ski doit-il se placer en serre-file ou en position d’éclaireur ?Question épineuse dont la solution est loin d’être évidente au point que certains tribunaux considèrent, à raison, que l’emplacement du moniteur en tête ou en queue doit être laissé à l’appréciation de l’encadrant. Pourtant la responsabilité de l’organisateur en dépend. Voilà une espèce tout à fait instructive des difficultés d’évaluation de la faute et une aubaine pour ceux qui militent en faveur d’une responsabilité de plein droit des organisateurs sportifs.
1-Voici les faits : lors d’une sortie de ski organisée par une fédération d’éducation populaire et encadrée par le directeur d’un centre de vacances qu’elle exploite, un des participants chute et se blesse gravement à la tête. Les premiers juges déclarent la fédération entièrement responsable du dommage subi par la victime. En appel celle-ci soutient que l’accompagnateur a donné les instructions nécessaires en fixant aux élèves un lieu de rendez-vous visible et n’a pas commis de faute en se plaçant en serre-file.
La cour d’appel de Douai réforme la décision. Son arrêt du 12 novembre 2015 approuve en tous points les moyens développés par l’appelant.
2-Cet arrêt porte, une fois n’est pas coutume, sur le contenu de l’obligation de sécurité à la charge des organisateurs d’activités sportives dont le périmètre englobe la préparation de l’activité et son déroulement. En l’occurrence, le litige concernait la seconde phase au cours de laquelle des consignes de sécurité doivent être données et où s’exerce le devoir de surveillance.
3-L’obligation de conseil du moniteur de ski a été, à plusieurs reprises, affirmée par les tribunaux. Ainsi, il doit s’assurer que ses élèves observent une distance minimale entre eux « afin de pallier les conséquences d’erreurs prévisibles »[1]. De même, il doit les alerter sur tout obstacle non signalé comme l’existence d’un fossé non balisé[2] ou d’une barre rocheuse[3].
En l’occurrence, la cour d’appel relève que l’accompagnateur a donné des consignes de déplacement sur les pistes à emprunter et sur le lieu de rendez-vous. On observera, toutefois, qu’elle ne fait aucune référence à des consignes de prudence et de modération sur la vitesse ni à la distance de sécurité à respecter entre chaque skieur. Pourtant elles s’imposaient ici en présence d’un public constitué d’adolescents naturellement fougueux et téméraires dont l’esprit de compétition propre à cet âge ne pouvait que les inciter à descendre à grande vitesse.
4-L’obligation de renseignement ayant été normalement exécutée aux yeux des juges, il fallait ensuite rechercher si l’accompagnateur avait correctement rempli son devoir de surveillance. Ces modalités d’exercice nourrissent la jurisprudence. Elle est appréciée d’autant plus rigoureusement que le créancier de l’obligation de sécurité est jeune et débutant. Qu’on en juge ! Un exploitant de karting, a été condamné pour n’avoir pas exercé une surveillance permanente de jeunes pilotes qui effectuaient des tours de circuit[4] ; une association mettant à disposition de ses membres un mur d’escalade l’a été, à son tour, pour n’avoir pas surveillé deux grimpeurs qui pratiquaient de l’escalade libre[5] (notre commentaire); un club de football, a subi le même sort pour avoir laissé des enfants sans surveillance dans un vestiaire[6] (notre commentaire).
5-En l’espèce, c’est une autre facette de l’obligation de surveillance qui est en question. Il est reproché à l’accompagnateur non pas d’avoir laissé les jeunes sans surveillance, mais d’avoir choisi la position de serre-file plutôt que celle d’éclaireur. Question épineuse que celle de l’emplacement du moniteur ! Elle n’est pas propre au ski. On la retrouve dans d’autres disciplines comme la randonnée équestre. Ainsi, la Cour de cassation a estimé qu’en se trouvant en tête de la colonne au lieu d’en fermer la marche, le moniteur d’équitation ne pouvait pas se rendre compte du comportement anormal des chevaux et n’avait donc pas le temps de barrer la route à un animal qui s’emballerait[7]. Au contraire, le tribunal correctionnel de Quimper considère que la position du moniteur en tête lui permet « de mieux contrôler son groupe et la vitesse des chevaux et donc de réduire le risque ». D’autres tribunaux refusent de prendre position. Ainsi, la cour d’appel de Chambéry estime que le moniteur de ski est le seul juge de l’endroit qu’il estime le mieux placé pour surveiller l’évolution de son groupe [8]. De même, le TGI d’Albertville considère que le moniteur ne commet pas de faute à faire skier un de ses élèves devant lui ou de le précéder en lui indiquant le trajet à emprunter[9]. La cour de Douai aborde le sujet sous un autre angle. Elle donne la solution à partir des fonctions de l’encadrant. S’il avait donné un enseignement, il aurait dû se trouver en tête. En revanche dans sa fonction d’accompagnateur, sa position en serre-file est la bonne car elle lui permet de garder en vue l’ensemble des jeunes et, si besoin est, de venir en aide à celui qui se trouverait en difficulté sans avoir à se retourner.
6-On pourra toujours trouver de bonnes raisons à la position en tête ou en queue de l’accompagnateur qui dans un cas régule la vitesse du groupe et dans l’autre en a une vision complète. La meilleure solution, chacun l’aura compris, serait de le faire encadrer par deux accompagnateurs. Elle pourrait s’imposer pour des enfants débutants qui sont plus exposés au risque de chute car inconscients du danger et sans maitrise de la discipline. En revanche, elle ne se justifie pas pour des adolescents dont le jugement rapporte qu’ils étaient bons skieurs. Toutefois, leur sécurité ne peut être assurée par un seul accompagnateur qu’à la condition d’avoir reçu des consignes de sécurité. En l’occurrence, c’est là que le bât blesse ! S’ils ont eu des directives sur le lieu de rendez-vous et la piste à emprunter, rien n’est dit dans l’arrêt sur les mesures de précautions qui leur auraient été prescrites sur la manière de skier. Si l’accompagnateur a omis de les donner et que la chute est à mettre au compte d’une vitesse excessive de la jeune victime, on peut considérer qu’il y a faute de part et d’autre et que les juges auraient dû alors conclure à un partage de responsabilité plutôt qu’à une exonération de responsabilité en faveur de l’organisateur. Qu’il nous soit donc permis de regretter qu’ils n’aient pas effectué une telle recherche avant de rendre leur verdict.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
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