Les litiges relatifs aux accidents de ski (cf nos commentaires du 27 novembre 2015 ;28 janvier 2014 30 novembre 2011) soulèvent l’épineuse question de la compétence juridictionnelle lorsqu’est en cause l’exploitant du domaine skiable. Le Conseil d’Etat a admis, après le tribunal des conflits, que les accidents   causés par un défaut d’entretien des pistes de skis étaient de la compétence du juge judiciaire. Cette nouvelle distribution des rôles n’affecte cependant pas  les attributions du juge administratif lorsque l’exercice du pouvoir de police des maires est en cause. Toutefois, celui-ci est contenu dans un cercle étroit puisque le défaut de signalisation, le plus souvent invoqué par les victimes, n’est pris en compte que si le danger a revêtu un caractère exceptionnel. Les parents d’un jeune skieur mortellement blessé l’ont appris à leurs dépens !

1-Une rupture de pente sur une piste rouge a été fatale à un jeune skieur. Ses parents ont assigné la commune devant le juge administratif,  imputant l’accident mortel à la fois à l’insuffisance des mesures d’entretien prises par la société d’économie mixte exploitant les remontées mécaniques et les pistes de la station et à la carence fautive du maire dans l’exercice des pouvoirs de police qu’il tient des articles L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. Peine perdue ! Leur demande est rejetée par les premiers juges. La cour administrative d’appel de Lyon confirme le jugement dans un arrêt du 9 janvier 2014 qui pourrait passer inaperçu car la solution donnée au litige apparaît au fond assez banale. Elle ne fait qu’appliquer une jurisprudence aujourd’hui constante, qu’il s’agisse de la répartition des compétences d’attribution entre juge judiciaire et juge administratif ou des moyens soulevés. Pourtant, le motif retenu sur le fond pour écarter les prétentions des parents de la victime fait débat.

Compétence du juge judiciaire

2-La compétence juridictionnelle en matière d’accident de ski a connu un important revirement. Elle relevait encore récemment du contentieux administratif. Le changement de cap en faveur du juge judiciaire, inspiré par le tribunal des conflits pour les remontées mécaniques[1] est devenu particulièrement visible lorsque cette nouvelle règle d’attribution a été appliquée par le Conseil d’Etat à l’entretien et à la sécurité du domaine skiable exploité en régie directe par une commune[2].

3-La compétence du juge administratif n’a cependant pas totalement disparu. Elle demeure entière si l’accident s’est produit en dehors du domaine skiable[3]. En revanche, elle est devenue résiduelle, puisque limitée au cas particulier de défaillance du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police, lorsque l’accident se produit à l’intérieur des limites du domaine skiable.

4-Le Tribunal des Conflits puis le Conseil d’Etat se sont rendus à l’évidence : l’exploitant d’un domaine skiable fonctionne dans les mêmes conditions qu’une entreprise privée avec un mode de financement provenant majoritairement des redevances versées par les usagers. Aussi, l’application à la pratique du ski de la jurisprudence du bac d’Eloka doit être approuvée[4].

Les victimes d’accidents survenus sur le domaine skiable se trouvent donc confrontées à une alternative : ou bien elles saisissent le juge administratif pour défaillance du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police et dans ce cas, elles doivent s’adresser au juge administratif ; ou bien elles mettent en cause l’entretien des pistes et dans ce cas c’est le juge civil qui doit être saisi. A cet égard, les parents de la victime ont fait fausse route. Se méprenant sur les attributions du tribunal administratif, ils lui ont demandé de se prononcer sur un défaut d’entretien de la piste.  Sa déclaration d’incompétence était alors inévitable.

Compétence du juge administratif

5-En revanche, le juge administratif avait parfaitement vocation à examiner une requête fondée sur une faute de la commune dans l’exercice de ses pouvoirs de police. Mais le champ couvert par ce type de recours est devenu résiduel en la matière car doublement limité. D’une part, n’y figurent pas, comme il vient d’être dit, les mesures ayant trait à l’entretien de la piste. D’autre part, selon une jurisprudence solidement établie par le Conseil d’Etat, le succès d’un tel recours est subordonné à l’existence d’un  « danger exceptionnel ».  Il faut entendre par là tout obstacle non signalé dont un skieur normalement vigilant a pu ignorer l’existence comme cela a été jugé pour une dénivellation profonde et abrupte[5], une importante dépression naturelle[6] ; un amas de grillage enfoui sous la neige[7] ; un fil métallique l’affleurant[8] ; un torrent dont les berges escarpées recouvertes de neige sont difficilement discernables[9] ; une tranchée barrant la piste[10] ou encore un thalweg rocheux situé en contrebas de celle-ci[11]. En revanche, il n’y a pas de « danger exceptionnel » en cas d’obstacle n’excédant pas ceux à quoi peuvent normalement s’attendre les skieurs comme un virage sur une piste de déviation présentant une faible déclivité[12], une rupture de pente de faible ampleur[13], un faible enneigement laissant apparaître en bordure du chemin des plaques d’herbe et des rochers parfaitement visibles[14] ou encore une chute de pierre déclenchée par un skieur à l’aplomb d’une zone rocheuse[15].

6-L’existence ou non d’un danger exceptionnel s’apprécie nécessairement en fonction du classement des pistes. Les obligations de signalisation incombant à la commune sont d’autant plus réduites que la piste est difficile et que son accès est normalement réservé à des skieurs expérimentés qui doivent normalement se prémunir par une attention particulière contre les dangers qu’ils doivent s’attendre à rencontrer. Tel est le cas d’une piste noire réservée à de très bons skieur[16]. En l’espèce, la cour administrative d’appel a estimé que la rupture de pente de la piste rouge empruntée par la victime ne représentait pas un tel danger. On peut, en effet, considérer qu’il ne s’agissait pas d’un obstacle inhabituel sur une piste rouge et qu’il n’était pas assez dangereux à l’aune des circonstances de l’espèce pour devoir être signalé.

Pourtant, l’analyse que font les juges a de quoi surprendre. Il est possible que  la rupture de pente de la piste rouge ne constituait pas un danger suffisant pour devoir être signalé  au titre des pouvoirs de police du maire. Mais, en  écartant ce moyen, les juges admettent implicitement que l’élu aurait manqué à ses devoirs si la rupture de pente avait été assez sérieuse pour justifier une signalisation. Or, ils ont affirmé, précédemment, que « l’exploitation des pistes de ski, incluant notamment leur entretien et leur sécurité » – et notamment l’obligation de signalisation des dangers – ne relevait pas de sa compétence mais de celle du juge judiciaire. Le juge ne peut pas, sans se contredire, postuler son  incompétence pour les litiges relatifs à l’entretien et à la sécurité des pistes skiables  pour ensuite  revenir sur ce sujet par le biais des pouvoirs de police du maire. La ligne de démarcation doit donc être mieux précisée d’autant que l’enjeu porte sur une question aussi importante que la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. En postulant que la signalisation des dangers exceptionnels relève des pouvoirs de police du maire, la cour administrative d’appel de Lyon, admet implicitement que la signalisation des autres dangers est l’affaire de l’exploitant et relève de la compétence du juge judiciaire. Faire dépendre la compétence juridictionnelle du caractère exceptionnel ou non des dangers d’une piste de ski dont l’appréciation peut varier d’un juge à l’autre est source d’insécurité pour l’usager.  On ne peut se satisfaire de cette distinction qui fait la confusion entre l’exercice des pouvoirs de police et leur exécution matérielle.

7-Il est acquis que les maires ont en charge la sécurité de leurs concitoyens et, à ce titre, autorité pour réglementer l’utilisation du domaine skiable. Mais une chose est de réglementer, c’est-à-dire édicter des prescriptions, autre chose est de les exécuter. Ainsi, la mise en place d’une signalisation aux endroits dangereux, l’installation de filets de protection, l’ouverture et la fermeture des pistes, sont autant de mesures d’ordre matériel à la charge de l’exploitant qui permettent d’assurer la sécurité des skieurs. Tout manquement de sa part dans ce domaine ne peut être sanctionné que par le juge judiciaire, de sorte que le moyen tiré des pouvoirs de police du maire devrait être d’emblée écarté sans que le juge administratif ait à examiner s’il a été ou non défaillant.

8-En revanche, si le maire, n’a pas pris d’arrêté là où il s’imposait – par exemple n’a pas prescrit la fermeture des pistes en cas de risque d’avalanche – il est alors question de ses pouvoirs de police que le juge administratif est seul habilité à apprécier.

9-Lorsque le domaine skiable est exploité en régie directe par la commune, comme le Conseil d’Etat a eu à en juger dans son  arrêt  n° 293020 du 19 fév. 2009, il faut distinguer selon que le maire a agi en qualité de chef d’exploitation de son domaine skiable ou en qualité d’autorité de police. Dans le premier cas, tout manquement de sa part à l’origine d’un dommage, par exemple l’absence de filet de protection dans un virage dangereux surplombant un torrent, doit être porté devant le juge judiciaire. Dans le second cas, celui où il lui est reproché de ne pas avoir pris les dispositions réglementaires qu’imposait la sécurité du domaine skiable, la victime doit s’adresser au juge administratif.

10-Il faut bien convenir que ses distinctions subtiles ne facilitent pas la tâche des victimes. Mais c’est le prix à payer de la dualité de juridiction qui caractérise l’organisation de notre système judiciaire et rien ne laisse à penser qu’il puisse un jour être remis en cause !

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

En savoir plus : 

 

Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012
Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CAA LYON 9 JANV 2014 



Notes:

[1] TC 7 déc. 1998, n° 03126. TC, 15 déc. 2003, n° C3380.
[2] CE 19 fév. 2009. n° 293020 Note G. Mollion, Dr Adm.  n° 5, mai 2009, comm. 76.
[4]Tribunal des conflits – 22 janv. 1921- Société commerciale de l’Ouest africain – Rec. Lebon p. 91.
[5]CE 22 déc. 1971, n° 80060 Cne de Mont-de-Lans. Rec. CE, p. 789. RD publ. 1972, p.1252, note M. Waline. JCP 1973 ,II, 17289, note W. Rabinovitch.
CAA Lyon, 31 mai 1995, Cne Grave-la-Meige n° 93LY00755.
[6] CE, 31 oct. 1990, n° 78646, Cne de Val d’Isère. Gaz Pal 1991, Pan. dr. Administratif p.53. 
[7] CE, 12 mai 1978, n° 02392   Consorts Lesigne. Rec. CE 1978, p. 725. D 1979, jur.p 608, note D. Broussolle.
[8] CE, 9 nov. 1983, n° 35444, Cne de St Sorlin d’Arves Rec. CE,1983, p.646. D 1985 IR, p.92.
[9] CE 27 sept. 1991, n° 78698 Cne de Pralognan-La Vanoise. Req. n° 78698. Gaz Pal 1991, Pan. dr. Administratif p. 62.
[10] CE, 25 févr. 1976, n° 92780.Cne Contamines-MontjoieRec. CE 1976, p. 793.Dr adm. 1976, comm. 131.
[11] CAA Bordeaux, 20 juin 2006 n° 03BX01373. 
[12] CAA Lyon, 7 nov. 1990, n° 89LY01574. 
[13] CE, 7 nov. 2001 n° 222982. Cne de Champagny La Vanoise . Dans le même sens, CAA Marseille 7 nov. 2005 n° 03MA00691. Cne de La Salle les Alpes.
[14] CAA Lyon, 12            mai 2011 n° 10LY00710.
[15] CAA Lyon, 14 juin 1994 n° 93LY00125. Cne de St Etienne en Dévoluy. Juris-Data n° 047925.
[16] CAA. Lyon 16 février 1989 Mme BUI VAN TAN, Req. n° 89LY00108.

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