Les navigateurs connaissent bien les dangers de la mer et notamment ceux propres aux manœuvres de voile. Les débutants, en revanche, qui manquent de pratique, sont moins vigilants et donc plus exposés aux accidents, comme l’atteste ceux survenus à deux élèves en stage d’apprentissage de la voile. Le premier s’est fracturé l’avant bras lors du renversement du voilier, sous l’effet d’une bourrasque de vent ; le second s’est blessé grièvement lors d’une manœuvre d’empannage. Les décisions rendues dans ces deux espèces (CA Toulouse, 3 juin 2014 et Cass. civ. 1, 4 juin 2014) révèlent les difficultés rencontrées par les victimes confrontées à l’obstacle de la preuve.  


1-Dans la première espèce, la demande de réparation a été rejetée par les premiers juges mais a abouti en appel, sur le fondement de l’article 1384 al. 1 du code civil. L’arrêt est cassé sur pourvoi de l’organisateur pour s’être affranchi du principe du non-cumul des responsabilités en ayant donné satisfaction à la victime sur le terrain de la responsabilité délictuelle alors que s’appliquaient les règles de la responsabilité contractuelle (lire notre commentaire de l’arrêt du 18 octobre 2012). La cour de renvoi rejette à nouveau les prétentions de la victime, après un examen attentif des circonstances de l’espèce ne révélant, selon elle, aucune faute de l’organisateur. Dans la seconde espèce (Cass. civ. 1, 4 juin 2014), la Cour de cassation rend un arrêt de rejet au motif que l’organisateur n’a pas manqué à son obligation contractuelle de sécurité. Au final, les deux litiges se concluent par une défaite des victimes qui ne sont pas parvenues à surmonter l’obstacle de la charge de la preuve d’une faute.

2-Il est intéressant de relever qu’elles ont entrepris, l’une et l’autre mais sans succès, de placer les débats sur le terrain de la responsabilité sans faute ou tout au moins de faire supporter une obligation de sécurité renforcée à l’organisateur.

3-Dans la première espèce (CA Toulouse), la victime avait actionné l’organisateur, en qualité de gardien du catamaran, en application de l’article 1384 alinéa 1 du code civil. La voie de la responsabilité de plein droit, fait partie des stratégies classiques des victimes pour faire l’économie de la charge de la preuve puisque le gardien de la chose est responsable du seul fait de la survenance du dommage. Mais c’est prendre le risque d’enfreindre le principe du non-cumul des responsabilités qui exclut l’application de la responsabilité délictuelle lorsque les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies. En l’occurrence, c’était le cas puisque le litige portait sur l’exécution de l’obligation de sécurité de l’organisateur avec lequel la victime avait conclu un contrat ayant pour objet l’apprentissage de la voile. Pour avoir négligé cette règle et ne pas l’avoir opposée aux victimes, la cour d’appel de Pau a été  sèchement rappelée à l’ordre et celle de renvoi conviée à examiner la responsabilité de l’organisateur en référence à l’article 1147 du code civil.


4-
Si la voie de la responsabilité délictuelle est fermée chaque fois que le litige porte sur l’exécution d’une obligation d’un contrat, les victimes ne sont cependant pas privées de tout moyen pour se prévaloir d’une responsabilité de plein droit y compris sur le terrain de la responsabilité contractuelle.

5-Ainsi, ont-elles fait allusion à la responsabilité contractuelle du fait des choses. Celle-ci a fait couler de l’encre il y a une vingtaine d’années à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation ayant  décidé qu’un établissement scolaire, dans lequel une jeune fille avait été blessée par la dislocation de son cerceau au cours d’un exercice de psychomotricité, était responsable non seulement des dommages causé à ses élèves par sa faute « mais encore par le fait des choses qu’il met en œuvre pour l’exécution de son obligation contractuelle ».  Cette jurisprudence, qui transposait à la responsabilité contractuelle les règles applicables à la responsabilité délictuelle du fait des choses, avait l’avantage de neutraliser les conséquences de la règle du non-cumul en épargnant au créancier de l’obligation de sécurité  la charge de la preuve d’une faute. Mais elle est demeurée isolée puisque les arrêts qui ont suivi n’ont plus jamais fait allusion au fait de la chose mais seulement à l’existence ou non d’une faute du débiteur de l’obligation de sécurité. En l’occurrence, la Cour de cassation écarte le moyen au motif que n’ayant pas été invoqué en appel il «est, mélangé de fait et de droit, et partant irrecevable». C’est une façon habile pour  la Haute juridiction de ne pas avoir à se prononcer sur le fond.  On est curieux de savoir quelle aurait été sa position si ce moyen avait été discuté en appel.  La cour de Toulouse n’élude pas le sujet. Elle considère qu’en l’absence de défectuosité alléguée du catamaran, la victime ne pouvait invoquer à la charge de l’organisateur « une responsabilité contractuelle de plein droit du fait du bateau mis à sa disposition pendant le stage ». Le motif est discutable. En effet, si on admet que la  responsabilité du fait des choses est une responsabilité sans faute, la question n’est pas de savoir si la chose est ou non défectueuse mais si elle a eu ou non un rôle actif dans la survenance du dommage, ce qui est le cas en l’espèce puisque l’accident est survenu lors du renversement du voilier sous l’effet du vent. Subordonner la responsabilité de l’organisateur du stage à la défectuosité du voilier, c’est mettre à la charge de la victime la preuve qu’elle a manqué à son obligation de sécurité en ne faisant pas  le nécessaire pour maintenir l’embarcation en état. En somme, cela revient à appliquer la responsabilité contractuelle pour faute.

6-A défaut de responsabilité contractuelle du fait des choses, l’autre victime faisait valoir que l’organisateur était assujetti à une obligation de sécurité de résultat. Sa tentative était audacieuse car il est acquis depuis des lustres que l’obligation de sécurité de l’organisateur sportif n’est que de moyens. Cette qualification est fondée sur le rôle actif du créancier de l’obligation de sécurité. A la différence du transporteur, l’organisateur sportif n’a pas la maîtrise complète de la prestation. Celle-ci  présente un aléa lié au comportement du pratiquant dont la victime prétendait qu’il était réduit lorsque l’activité sportive est dangereuse et que le participant est novice. Mais s’en tenir à ce seul argument risquait de réduire à néant sa demande car la Cour de cassation n’a jamais admis l’existence d’une obligation de résultat à la charge de l’organisateur sauf dans des cas exceptionnels où le pratiquant n’a pas participé à l’exécution de la prestation comme les accidents survenus lors de la descente de toboggans aquatiques, en cours de déplacement d’un télésiège, ou pendant un vol en parapente.

7-Si l’obligation de sécurité de l’organisateur ne pouvait être qualifiée de résultat, du moins pouvait-on admettre qu’elle soit renforcée comme s’y est résolue la Cour de cassation pour les sports à risque en affirmant que l’obligation de moyens du moniteur de sports « est appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux » ce qui implique un renforcement des mesures de sécurité. Ainsi, sa 1ère chambre civile a reproché à un exploitant de parapente de ne pas s’être inquiété auprès de son élève qui effectuait son premier saut,  de son état  physique  et psychologique au moment de  sauter. De même a été retenu la responsabilité d’un moniteur de ski pour avoir omis d’alerter ses stagiaires sur l’existence d’une barre rocheuse non signalée et d’un moniteur d’équitation pour n’avoir donné aucune consigne à son élève débutant sur la conduite à adopter en cas de chute. Enfin, il y a eu le précédent du moniteur de voile condamné pour  ne pas avoir averti ses élèves des précautions à prendre pour une manœuvre d’empennage d’un voilier.

8-Il est intéressant de relever que dans ces deux espèces, les victimes ont fait référence à une obligation de sécurité alourdie. Dans la première, il est reproché à l’organisateur de ne pas avoir informé ses élèves du degré de dangerosité d’une régate, de les avoir fait naviguer un jour où le vent soufflait en rafales et de ne pas avoir prévu un personnel d’encadrement suffisant pour donner des conseils adéquats à des stagiaires débutants. Mais la preuve de ces affirmations n’est pas rapportée aux yeux de la cour de Toulouse pour qui l’organisateur a rempli son obligation d’information puisque la fiche d’inscription remplie et signée par la victime mentionne les consignes de sécurité. Par ailleurs, elle constate que  l’insuffisance de formation alléguée n’est pas établie dès lors que le stage avait pour objectif de naviguer en autonomie et qu’il n’est pas prouvé que l’accident se soit produit au cours d’une régate. De même, elle note que la victime n’a pas démontré que les conditions météorologiques étaient inadaptées ou particulièrement dangereuses pour les participants. Enfin, elle relève qu’il n’y a eu ni insuffisance d’encadrement ni défaut de surveillance des stagiaires puisque deux moniteurs diplômés et un stagiaire étaient présents pour 7 bateaux et que l’arrêté ministériel du 9 février 1988 prévoit la présence d’un enseignant pour 15 embarcations. En somme, pour les juges, l’accident est imputable au dessalage, événement normal lors d’un stage de voile légère dont les stagiaires acceptent le risque. Si le dessalage fait, en effet, partie de la pratique de la voile, faut-il encore avoir été formé à cet exercice, ce que prévoyait le programme du stage. Cette formation a-t-elle été effectuée ? Voilà une question qui demeure en suspens en l’absence d’investigation des juges sur le sujet.

9-Dans l’autre espèce, la victime reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le moniteur avait interdit à son équipage de débutants de bouger pendant la manœuvre d’empannage et les avait avertis du risque de blessure grave ou mortelle lié à une telle manœuvre. Là encore, la victime ne parvient pas à convaincre de la réalité de ses allégations. La Cour de cassation observe que cette manœuvre  avait été pratiquée plusieurs fois par l’équipage la veille comme le jour même de l’accident, et était adaptée au niveau de la victime.

10-Celle-ci critiquait encore l’arrêt pour avoir relevé qu’elle s’était soudainement placée sur la zone de passage du palan en voulant saisir une manivelle. Elle en avait tiré deux motifs de cassation. D’une part, que son imprudence ne pouvait être retenue comme motif d’exonération de l’organisateur dès lors qu’elle était novice dans un sport qu’elle ne maîtrisait pas. D’autre part,  que la cour d’appel ayant laissé entendre que la faute du stagiaire était la cause exclusive du dommage, elle aurait dû caractériser l’imprévisibilité et l’irrésistibilité de cette prétendue imprudence, ce qu’elle n’a pas fait.

11-Ces deux moyens sont écartés sans ménagement par la Haute juridiction qui se contente de relever que l’arrêt ne rejette pas les demandes d’indemnisation en raison de la faute de la victime, mais parce que les conditions d’engagement de la responsabilité de l’organisateur ne sont pas réunies. En effet, dans le régime de l’obligation de sécurité de moyens, il faut commencer par établir la preuve que l’organisateur a manqué à son obligation de sécurité avant de s’interroger sur une éventuelle faute de la victime.

12-L’obstination de la Cour de cassation à ne pas vouloir reconnaître l’existence d’une obligation de résultat hypothèque singulièrement les possibilités d’indemnisation des victimes d’accidents sportifs, comme l’attestent ces deux décisions. Il faut répéter ici que les régimes de responsabilité pour faute ne devraient s’appliquer qu’aux sportifs avertis et expérimentés. Ceux-ci acceptent le risque d’accident,  car ils pratiquent l’activité  en connaissance de cause. Ce n’est pas vrai pour les débutants. Sans doute ceux-ci ont-ils une idée de la dangerosité de l’activité. Mais, ils font une confiance absolue au moniteur.  Comment pourraient-ils accepter, dans ces conditions, les risques d’une activité alors qu’ils croient pour la plupart en être épargnés dès lors qu’ils s’adressent à un professionnel ? Aussi, on a suggéré que l’obligation de sécurité de l’organisateur soit de résultat pour les débutants et de moyens pour les sportifs expérimentés. Mais il faudrait pour cela remettre en cause les critères de distinction entre obligations de moyens et obligations de résultat et remplacer ceux de l’aléa de la prestation et du comportement du créancier de l’obligation de sécurité par celui de l’acceptation  des risques . On devine que dans ces temps de mise au rebut de la fameuse théorie, une telle proposition n’a guère de chance d’être suivie !

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 
En savoir plus :

Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport« , coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012

Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA Toulouse 3 juin 2014 
Cass. civ. 1, 4 juin 2014 



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