L’assurance de personnes des licenciés sportifs revient régulièrement au devant de la scène judiciaire. En règle générale c’est l’obligation d’information à la charge des clubs et fédérations qui alimente le contentieux. Il arrive aussi que le litige oppose l’assuré et son assureur sur les conditions du contrat. C’est le cas lorsqu’il y a désaccord entre les deux parties sur les causes de l’accident. En effet, l’assurance de personnes ne joue qu’en cas de cause accidentelle de la mort et non lorsque celle-ci n’est que le prolongement de la maladie. La question se pose en cas de mort subite du sportif par arrêt cardiaque en cours de compétition. Son décès est-il la conséquence d’une affection préexistante ou provient-il de sa participation à l’épreuve et donc d’une cause extérieure? Sur ce point la Cour de cassation n’a pas une ligne bien définie.
1-Un joueur de football s’effondre brutalement au cours d’une action de jeu, victime d’un arrêt cardiaque. S’ensuit un litige avec l’assureur. Celui-ci refuse le versement d’une indemnité au titre de l’assurance contre les accidents corporels que l’intéressé a souscrite au motif que l’incident n’entre pas dans la définition du contrat. L’arrêt de la Cour de cassation du 26 mars 2015 donne raison aux juges du fond ayant estimé, au contraire, que les séquelles cérébrales dont le joueur souffrait étaient bien consécutives à un accident au sens de la définition qu’en donnait le contrat d’assurance.
2-L’assurance contre les accidents corporels couramment désignée dans le jargon professionnel, sous le vocable « d’Individuelle Accidents », a pour objet de garantir à l’assuré ou au bénéficiaire désigné, en cas de survenance d’un événement accidentel défini au contrat, le paiement de sommes d’argent prévues en cas de décès, d’invalidité ou d’incapacité permanente ou temporaire.
3-Ce type de garantie est circonscrite à la cause « accidentelle » de la mort, à la différence de l’assurance au cas de décès qui joue quelle que soit la cause de la mort. Quand l’une ne couvre que les conséquences d’un accident, l’autre est mise en œuvre dans tous les cas de décès, qu’il soit dû à la maladie, à un accident ou à l’âge.
4-Le souscripteur d’une assurance « individuelle accident » aurait donc grand tort de se croire couvert par la garantie quelles que soient les causes du dommage. C’est précisément là que se trouve la pierre d’achoppement entre compagnies d’assurance et assurés. Les conflits naissent habituellement de la difficulté à tracer une ligne de démarcation entre la maladie qui est un dérèglement interne à la personne et l’accident qui doit nécessairement provenir d’un événement extérieur.
5-Les contrats définissent habituellement l’accident comme « l’action soudaine et violente d’une cause extérieure et indépendante de la volonté de l’assuré » ou comme « une atteinte corporelle, non intentionnelle de la part de l’assuré, provenant de l’action soudaine d’une cause extérieure ».
6-La soudaineté met l’accent sur la distinction entre maladie et accident. L’altération de la santé d’une personne est un processus qui se prolonge dans le temps alors que l’accident est un évènement qui survient dans un trait de temps. Toutefois, la soudaineté est loin d’être déterminante. Une crise cardiaque survient brutalement mais n’est pas nécessairement accidentelle s’il est établi que la victime souffrait d’une affection du coeur préexistante. A l’inverse, le fait que le dommage apparaisse tardivement n’exclut pas que sa cause ait été soudaine, comme peut l’être une ampoule apparue au cours d’un match de football ayant entraîné une septicémie[1].
7-C’est donc l’existence d’un événement extérieur qui va permettre d’écarter l’accident imputable à une altération fonctionnelle ou organique de l’individu, « le but étant d’exclure les dommages dus à un état pathologique antérieur » comme l’observent les juges du fond.
8-La ligne de démarcation entre l’altération de l’intégrité physique due à une affection antérieure, d’une part, et un événement accidentel, d’autre part est difficile à déterminer dans le cas de l’accident cardio-vasculaire. Il résulte assurément d’un dérèglement interne s’il provient d’une affection cardiaque préexistante et diagnostiquée. En revanche, on ne peut être aussi catégorique s’il résulte de troubles du rythme ventriculaire provoqué par un effort physique intense comme l’évoque l’arrêt de la Cour de cassation.
9-Dans notre espèce, le joueur avait été victime d’un arrêt cardio-respiratoire d’une quarantaine de minutes, dont il avait gardé des séquelles cérébrales. Les premiers juges puis la cour d’appel de Rennes[2] lui avaient accordé le bénéfice de la garantie que contestait l’assureur. Celui-ci soutenait dans son pourvoi que la condition d’extranéité n’était pas remplie.
10- Le nœud du problème était donc de savoir si le décès procédait ou non d’une affection cardiaque préalable. Prenant acte que la cour d’appel avait constaté chez le joueur « une pathologie cardiaque préexistante » l’assureur estimait qu’elle ne pouvait pas en déduire que l’effort physique effectué par la victime était à la cause de son accident. Sans la pathologie cardiaque dont elle souffrait, elle n’aurait jamais eu son arrêt cardiaque ce qui prouvait bien que celle-ci était la cause prépondérante du sinistre. Par ailleurs il considérait « qu’un effort physique est nécessairement une cause interne à l’individu qui le réalise ».
11- La Cour de cassation relève, au contraire, que le joueur avait été déclaré médicalement apte à pratiquer cette activité sportive. Il n’avait donc aucun antécédent cardiaque diagnostiqué. Le médecin mandaté par l’assureur a, d’ailleurs, précisé qu’une « mort subite » pouvait survenir sans aucun signe clinique préalable et être ainsi la première manifestation de la maladie. La Haute juridiction relève encore que l’augmentation du tonus sympathique produite par une activité physique, est un facteur qui entraîne la survenance d’un trouble du rythme ventriculaire dans ce type de cardiopathie. Elle en avait conclu avec les juges du fond que l’arrêt cardiaque « trouvait son origine directe et certaine dans la cause extérieure que constitue sa participation au match de football ».
12-La Cour de cassation ne s’est pas toujours prononcée en ce sens. Elle s’était précédemment rangée à la position d’une cour d’appel qui avait estimé que le décès causé par une défaillance cardiaque consécutive à des lésions résultant d’efforts physiques n’était pas « accidentels » au sens de la police[3]. Ne fallait-il pas raisonner de la même manière dans le cas présent ? Il était, en effet, possible d’admettre que l’arrêt cardiaque « n’aurait pas manqué de survenir tôt ou tard » et que la participation du joueur au match n’avait fait « qu’accélérer le décès » comme dans le cas d’un infarctus survenu après une chute[4], en prenant un bain de mer[5] où en poursuivant des enfants[6] . Ce sont des constatations de cette sorte qui ont conduit les tribunaux à considérer que de telles circonstances n’ont pas été la cause déterminante du décès et ne répondaient pas, par conséquent, à la définition que la police d’assurance donne de l’accident. La Cour de cassation sous-entend ici que l’arrêt cardiaque ne serait jamais survenu sans la participation de l’intéressé au match. Pourtant, il est acquis que la victime était atteinte selon les constatations relevées par les juges du fond « d’une cardiomyopathie ventriculaire droite arythmogène, pathologie héréditaire, associée à des arythmies, à l’insuffisance cardiaque et à la mort cardiaque subite ». Dans ces conditions, tout effort physique intense produit par l’intéressé l’exposait à un accident cardiaque. Mais la cour d’appel approuvée par la Cour de cassation se refuse à le considérer comme les suites normales de son affection et à voir un lien inséparable entre les deux.
13- On peut adhérer à son raisonnement lorsque l’accident cardiaque a été provoqué par des circonstances exceptionnelles comme les efforts produits par l’assuré, pour dégager sa voiture sortie de la route [7] pour charger des sacs sur un camion[8] ou encore lorsqu’il est le résultat d’un surmenage intensif et exceptionnel dû à un surcroît de travail occasionné par une grève du personnel[9] ou pour éviter la paralysie d’une unité de production[10]. Dans une espèce voisine où un footballeur avait été également victime de mort subite, la cour d’appel de Nîmes a relevé que l’infarctus avait représenté pour l’intéressé un effort inhabituel[11]. En raisonnant par analogie, faut-il admettre que l’effort produit par la participation au match de la victime était inhabituel ? Rien dans les circonstances de l’espèce ne permet de le penser, si ce n’est que l’accident est survenu au cours d’une rencontre amicale. Mais cette seule constatation ne suffit pas pour établir que ce joueur n’était pas un habitué du football et que sa participation occasionnelle aurait été la cause déterminante de l’arrêt cardiaque.
14-Il est difficile dans cette espèce de faire la part entre la cause endogène liée à une pathologie latente puisque asymptomatique et la cause extérieure liée à la participation de la victime au match. En estimant que le trouble du rythme ventriculaire qui a entraîné l’arrêt cardiaque trouvait « son origine directe et certaine dans la cause extérieure que constitue sa participation au match » sans pour autant relever qu’il s’agissait d’un évènement inhabituel ou d’un effort exceptionnel, la cour d’appel s’est montrée plutôt bienveillante à l’égard de la victime et la Cour de cassation qui s’en est remise à son appréciation souveraine, comme elle le fait habituellement dans cette matière, ne l’a pas contredite. Les ayant droits des victimes de mort subite en compétition ne manqueront pas à l’avenir de se prévaloir de cette décision qui devra être confirmée. Elle pourrait, en réaction, inciter les assureurs à faire barrage à leurs prétentions par des clauses d’exclusion.
15-En appel une exclusion de garantie avait, justement, été évoquée. L’assureur opposait à l’assuré l’article 9-B du contrat d’assurance excluant du bénéficie de la garantie « les lésions ou affections nées à l’occasion d’un effort musculaire ». Sa prétention avait été écartée par la cour d’appel au motif que cette exclusion était « trop générale et ne répondait pas aux prescriptions de l’article L 113-1 du code des assurances qui exigent que les exclusions de garanties soient formelles et limitées ». En l’occurrence, le terme d’effort musculaire apparaissait, en effet, trop vague pour que l’assuré puisse connaître exactement l’étendue de sa garantie. Tout mouvement implique une action des muscles. Bien malin qui pourrait dire à partir de quelle intensité il y a production d’un « effort » musculaire ! De surcroît, cette clause souffrait d’être trop générale en s’appliquant à tout type d’activité physique, sportive ou non. Il eut fallu une clause d’exclusion à la pratique des sports de compétition pour avoir quelque chance d’écarter les prétentions du joueur.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
Jean-Pierre VIAL, Le contentieux des accidents sportifs – Responsabilité de l’organisateur, Collec. PUS, septembre 2010 : pour commander l’ouvrage
En savoir plus :
Cour de Cassation du 26 mars 2015
Notes:
[1] Cass. soc., 12 nov. 1943. RGAT 1944, p. 65 ; Gaz. Pal. 1944, 1, p. 25.
[2] 27 novembre 2013 R.G n° 11/07037
[3] Cass. 1re civ., 8 juill. 1994 n° 92-16204. Resp. civ. et assur. 1994, comm. 392).
[4] Cass. 1re civ., 14 févr. 1989.n° 87-11752.
[5] Cass. 1re civ., 19 janvier 1988. n° 86-13599.
[6] CA Lyon 29 juin 1989 : Resp. civ. et assur. 1989, comm. 393.
[7] Cass. 1re civ., 21 juin 1965 . n° 63-12840. Bull. civ. 1965, I, n° 406 ; JCP G 1967, II, 14957
[8] Cass. 1re civ., 30 nov. 1971. RGAT 1972, p. 411, note J. Bigot.
[9] Cass. 1re civ., 20 avr. 1982 n° 81-11158. Bull. civ. 1982, I, n° 136 ; JCP G 1982, IV, 227 ; RGAT 1983, p. 231, note J. Bigot[10] Cass. 1re civ., 22 avr. 1992. n° 90-11546 : RGAT 1992, p. 582 ; Resp. civ. et assur. 1992, comm. 291.
[11] 10 avril 2012 R.G n° 10/05698