Après le Portugal et la France, l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) du 09 avril 2024[1]CEDH, Gr. ch., 09 avril 2024, Verein Llimaseniorinnen Schweiz et autres c./ Suisse, req. N°53600/20 condamne l’Etat Suisse pour inaction climatique à la demande d’un collectif de quatre femmes ainsi que d’une association qu’elles avaient préalablement constituée. Rendue par la Grande Chambre, cette jurisprudence est non seulement exceptionnelle par son autorité mais aussi par les perspectives qu’elle ouvre en confirmant le rôle décisif que le secteur associatif aura à jouer dans les années à venir en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
L’arrêt « Verein Llimaseniorinnen Schweiz et autres c./ Suisse » du 09 avril 2024 est une nouvelle étape dans la construction progressive de la jurisprudence de la CEDH en matière de défense de l’environnement. Il s’intègre entre deux autres décisions ce qui lui donne une résonnance toute particulière : « Duarte Agostinho et autres c./ Portugal et 32 autres » rendue le 13 novembre 2020, ainsi que « Carême c./ France » le même jour, deux arrêts prononcés par la CEDH en Grande Chambre. Les trois affaires avaient toutes pour objectif d’obliger les Etat de l’Union européenne à prendre les mesures qui s’imposent en matière de protection environnementale. Cette nouvelle étape jurisprudentielle aboutit également, et pour la première fois, à la reconnaissance d’une association Loi 1901 en qualité de victime du réchauffement climatique[2]CEHD, art. 34 : « La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une … Continue reading. Une avancée majeure lorsque l’on sait qu’il existera bientôt l’association européenne transfrontalière qui pourrait être le support naturel de la poursuite du combat au niveau européen. De là à imaginer la condamnation d’instances supranationales, comme la Commission européenne ?
Arrêt CEDH du 09 avril 2024 : contexte et avancées
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Contexte
Dans l’affaire « Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres », les requérants attribuaient une responsabilité aux Etats défendeurs à propos des graves effets actuels et futurs du changement climatique. Selon eux, ces effets avaient un impact sur leur vie, leur bien-être, leur santé mentale et la jouissance paisible de leur domicile. Cependant, la Cour a estimé, compte tenu de la manière demandée par les requérants, que la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ne justifiait pas l’extension de la compétence extraterritoriale des États défendeurs autres que le Portugal. En effet, les requérants n’avaient exercé aucune voie de recours au Portugal pour faire valoir leurs griefs, la plainte des requérants contre le Portugal était également irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Dès lors, les requêtes déposées devant la CEDH contre le Portugal et les autres États sur la question du changement climatique ont été jugées irrecevables. L’affaire « Carême c. France« , quant à elle, concernait une plainte d’un ancien habitant de la commune de Grande-Synthe, qui soutenait que la France n’avait pas pris de mesures suffisantes pour prévenir le réchauffement climatique. Pour ce dernier, également ancien maire, ce manquement entraînait une violation du droit à la vie et du droit au respect de la vie privée et familiale. Cependant, la requête a été déclarée irrecevable par la CEDH au motif que le requérant n’avait pas la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention[3]Ibid..
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Avancées
L’affaire «Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse » débute avec la plainte de quatre femmes et d’une association suisse, «Verein KlimaSeniorinnen Schweiz », tous inquiets des conséquences du réchauffement climatique sur leurs conditions de vie et leur santé. Pour eux, les autorités suisses ne prennent pas suffisamment de mesures pour atténuer les effets du changement climatique.
La CEDH a estimé que les quatre requérantes ne remplissaient pas les critères de statut de victime énoncés à l’article 34 de la Convention et a déclaré leurs requêtes irrecevables. En revanche, l’association requérante s’est vue, quant à elle, reconnaître le droit de porter plainte.
Sur le fond, la Cour a estimé que :
- Il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme et qu’il y avait eu violation du droit d’accès à la Cour,
- La Confédération Suisse avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de la Convention sur les changements climatiques.
- La Convention englobe le droit à une protection effective par les autorités de l’État contre les graves effets néfastes du changement climatique sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie.
En l’espèce, la CEDH a souligné que :
« Même si, à plus long terme, le changement climatique représente un risque pour l’existence même de l’humanité, il n’en reste pas moins qu’à court terme, la nécessité de lutter contre ce phénomène implique divers conflits, dont la résolution relève, comme indiqué précédemment, des processus décisionnels démocratiques, complétés par un contrôle des juridictions nationales et de la Cour. »
La Confédération Suisse a été condamnée à verser à l’association requérante, dans les trois mois, 80 000 euros au titre de la réparation de son préjudice, outre intérêts légaux majorés de 3 points en cas de dépassement du délai fixé pour le dédommagement.
Rôle des associations dans la lutte contre le rechauffement climatique
Cette affaire est en tout point exemplaire dans la mesure où l’arrêt de la CEDH du 09 avril 2024 constitue un véritable vadémécum pour toute association qui souhaiterait s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique ou tout autre combat en faveur de la protection de l’environnement.
A ce stade, il convient d’ailleurs d’attirer l’attention du lecteur sur l’importance que revêt la rédaction de l’objet statutaire des associations, notamment afin de garantir l’intérêt et la qualité à agir du groupement.
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Sur la qualite de victime
- Rappel
Selon la jurisprudence constante de la Cour, une association ne peut pas en principe se fonder sur des considérations de santé pour arguer d’une violation de l’article 8 de la CEDH. Elle ne peut se plaindre de nuisances ou troubles que seules des personnes physiques peuvent ressentir[4]CEDH, 7 févr. 2006, Besseau et autre c. France (déc.), n° 58432/00.
Récemment, dans un contexte environnemental, la Cour a livré le raisonnement suivant à propos de la qualité de victime des associations [5]CEDH, 7 mai 2014, Yusufeli İlçesini Güzelleştirme Yaşatma Kültür Varlıklarını Koruma Derneği c/ Turkey, n° 37857/14, § 41: « La première raison tient à l’interdiction visant l’actio popularis dans le système de la Convention ; autrement dit, un requérant ne peut pas introduire une action d’intérêt public ou général si la mesure ou l’acte litigieux ne le touche pas directement. Il s’ensuit que pour pouvoir se prétendre victime, le requérant doit produire des preuves plausibles et convaincantes de la probabilité de survenance d’une violation dont il subirait personnellement les effets, de simples soupçons ou conjectures ne suffisant pas à cet égard (…) La seconde raison a trait à la nature du droit conventionnel qui est en jeu et à la manière dont il a été invoqué par l’association requérante en question. Certains droits garantis par la Convention, tels que ceux protégés par les articles 2, 3 et 5, ne peuvent par nature être exercés par une association, mais seulement par ses membres (…) Dans la décision Asselbourg et autres (précitée), lorsqu’elle a refusé d’accorder la qualité de victime à l’association requérante, la Cour a noté que celle-ci ne pouvait agir que comme représentante de ses membres ou salariés, au même titre par exemple qu’un avocat représentant son client, mais ne pouvait se prétendre elle‑même victime d’une violation de l’article 8. »
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- Position de la CEDH dans son arrêt du 09 avril 2024
En reconnaissant pour la première fois la qualité de victime à une association, l’arrêt du 09 avril 2024 ouvre des perspectives très importantes en matière de lutte contre les effets du réchauffement climatique, en l’espèce en obtenant la condamnation d’un Etat pour inertie dans cette lutte.
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- Raisonnement suivi
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Sur ce point précis, son raisonnement a été le suivant : si d’ordinaire la Cour n’accorde pas la qualité de victime à une association en l’absence de mesure touchant celle-ci directement, quand bien même les intérêts de ses membres pourraient être en jeu, il arrive toutefois que des « considérations spéciales » justifient qu’une association représente des individus même en l’absence de pareille mesure. Ainsi, dans l’arrêt « Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu »[6]CEDH, Gr. court, 17 juill. 2014, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC] – 47848/08, la Cour a jugé qu’il pouvait y avoir des « considérations spéciales » permettant d’admettre que des requêtes puissent être introduites par d’autres au nom des victimes en l’absence de mandat spécifique. Elle a souligné que ses arrêts « servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes ». En même temps, elle a dit qu’elle n’oubliait pas de veiller à ce que les conditions de recevabilité à remplir pour pouvoir la saisir soient interprétées de manière cohérente.
Se fondant sur les principes jurisprudentiels qu’elle avait énoncés dans l’arrêt « Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu » (préc.), elle a, dans plusieurs affaires similaires, reconnu à des associations la qualité pour introduire et/ou maintenir des requêtes au nom de victimes directes, même lorsque la victime aurait pu porter plainte elle-même de son vivant[7]CEDH, 24 mars 2015, Association de défense des droits de l’homme en Roumanie – Comité Helsinki au nom de Ionel Garcea c. Roumanie, n° 2959/11.
En ce qui concerne les associations, dans l’arrêt Gorraiz Lizarraga et autres[8]CEDH, 27 avril 2004, Gorraiz lizarraga et autres c. Espagne n° 62543/00, la Cour a jugé l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) applicable à une procédure qui visait à défendre certains intérêts particuliers des membres de l’association, à savoir leur mode de vie et leurs propriétés. Elle a relevé que l’association requérante s’était plainte d’une menace précise et directe pesant sur les biens personnels et le mode de vie de ses membres, et elle a estimé que cet aspect revêtait indubitablement une dimension patrimoniale et civile. Elle a déclaré que, si la procédure interne en question « était ostensiblement placée sous le sceau du droit public », il n’en restait pas moins que l’issue finale de l’action était déterminante pour les griefs des requérants selon lesquels il y avait eu atteinte à leurs propriétés et mode de vie. La Cour a donc conclu que la procédure, dans son ensemble, pouvait être considérée comme portant sur les droits de caractère civil des membres de l’association[9]Pour des considérations similaires, voir aussi CEDH, 24 févr. 2009, L’Erablière A.S.B.L. c. Belgique n° 49230/07.
Il est également évident que les associations peuvent invoquer l’article 6 dans des litiges portant sur leurs propres droits « de caractère civil »[10]CEDH, 01 juill. 2001, Association burestop 55 et autres c. France, n°56176/18, 56189/18, 56232/18, 56236/18, 56241/18, 56247/18. Dans le contexte du contentieux environnemental, la Cour a fait observer que, selon une lecture stricte de l’article 6 de la CEDH, celui-ci ne serait pas applicable à une procédure ayant pour objet la protection de l’environnement en tant que valeur d’intérêt général, dès lors qu’il ne s’agirait pas là d’une contestation sur un droit de caractère civil dont l’association pourrait elle-même se prévaloir. Toutefois, se fondant sur la jurisprudence Gorraiz Lizarraga et autres[11]Préc. note 8, elle a estimé qu’une telle approche ne serait pas en phase avec la réalité de la société civile actuelle, dans laquelle les associations jouent un rôle important, notamment en défendant certaines causes devant les autorités ou les juridictions internes, en particulier dans le domaine de la protection de l’environnement[12]CEDH, 12 juin 2007, Collectif national d’information et d’opposition à l’usine Melox c. France, n°75218/01. À cet égard, la Cour s’est également appuyée sur les principes découlant de la Convention d’Aarhus[13]Préc. note 10. À cet égard, la Cour observe que si le Tribunal fédéral Suisse a débouté les requérantes personnes physiques, ce n’est pas pour absence d’un droit invocable par elles mais parce qu’il a considéré que les requérantes avaient engagé une actio popularis et que celles d’entre elles qui étaient des personnes physiques ne subissaient pas une atteinte suffisamment intense. En somme, on ne saurait affirmer que l’action des requérantes individuelles était futile, vexatoire ou pour d’autres raisons mal fondée au regard du droit interne pertinent. La Cour ne peut souscrire à la conclusion du Tribunal fédéral selon laquelle la demande des requérantes individuelles ne pouvait être tenue pour défendable aux fins de l’article 6 § 1 de la CEDH. Concernant par ailleurs l’association requérante, si le Tribunal fédéral n’a pas tranché la question de savoir si elle avait qualité pour agir devant lui, la Cour note que l’action engagée par l’association reposait sur la menace liée aux effets néfastes du changement climatique en tant qu’ils pesaient sur la santé et le bien-être de ses adhérentes.[14]Ibid. note 8
La Cour considère que les intérêts défendus par l’association requérante sont de telle nature que la « contestation » soulevée par elle avait un lien direct et suffisant avec les droits en question de ses adhérentes, compte tenu du rôle particulier que jouent les associations face au changement climatique.
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- Reconnaissance des associations en la qualité de victime des effets du réchauffement climatique
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In fine, dans l’affaire « Verein KlimaSeniorinnen Schweiz » du 09 avril dernier, la CDEH ne reconnaît pas l’actio popularis et l’objet de cette prohibition est d’éviter qu’elle ne soit saisie par des individus se plaignant de la simple existence d’une loi applicable à tout citoyen d’un pays ou d’une décision de justice auxquels ils ne sont pas parties[15]Préc. note 9. Ainsi, une association de défense de l’environnement qui se fonde sur l’article 6 doit démontrer que le litige ou le grief soulevé par elle a un lien suffisant avec un droit particulier de caractère civil dont elle peut elle-même se prévaloir[16]Préc. note 13. Dès lors, l’article 6 § 1 de la CEDH s’applique bien au grief de l’association requérante et celle-ci peut être considérée comme ayant la qualité de victime sur le terrain de cette disposition, relativement à son grief tiré d’un défaut d’accès à un tribunal. En conséquence, l’exception préliminaire que le Gouvernement a formulée sur ce point est rejetée.
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Sur la qualité a agir
La Cour note que les juridictions internes n’ont pas tranché la question de la qualité pour agir de l’association requérante, qui méritait un examen séparé, indépendamment de leur position sur les griefs des requérantes individuelles. Les juridictions internes ne se sont pas penchées avec soin, voire pas du tout, sur l’action intentée par l’association requérante.
À cet égard, la Cour renvoie à ses conclusions relatives à la qualité pour agir de l’association requérante en ce qui concerne le grief fondé sur l’article 8 de la CEDH[17]« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit … Continue reading.
Elle rappelle l’importance du rôle que jouent les associations dans la défense de causes spéciales en matière de protection de l’environnement, élément déjà relevé dans sa jurisprudence, ainsi que la pertinence particulière de l’action collective face au changement climatique, phénomène dont les conséquences ne se limitent pas spécifiquement à certains individus. Dans le même esprit, dans la mesure où une contestation reflète cette dimension collective, l’exigence selon laquelle son issue doit être « directement déterminante », est à comprendre dans le sens plus général de la recherche d’une forme de correction des actions et omissions des autorités qui portent atteinte aux droits de caractère civil des adhérents au regard du droit interne.
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Sur la causalité en matière de réchauffement climatique
Enfin, se fondant sur de nombreux documents scientifiques, notamment ceux du GIEC, la CEDH confirme que l’inaction des Etats face aux effets du réchauffement climatique peuvent créer un préjudice personnel et direct à des personnes morales, telle qu’en l’espèce l’association « Verein KlimaSeniorinnen Schweiz. »
En matière environnementale, la Cour a reconnu l’existence d’un droit de caractère civil là où la législation interne prévoit un droit individuel à la protection de l’environnement, lorsque les droits à la vie, à l’intégrité physique et au respect des biens sont en jeu[18]V., par ex., CEDH 25 nov. 1993, Zander c. Suède, n°14282/8825 ; CEDH, 26 août 1997, BALMER-SCHAFROTH ET AUTRES c. SUISSEn n°67/1996/686/876 ; CEDH, Gr. Cour, 6 avr. 2000, Athanassoglou et … Continue reading.
Sur ce point précis, son raisonnement a été le suivant : la Cour n’est pas convaincue par la conclusion des juridictions internes selon laquelle il resterait encore du temps pour empêcher le réchauffement climatique d’atteindre une limite critique. Cette conclusion ne repose pas sur un examen suffisant des données scientifiques sur le changement climatique, qui étaient déjà disponibles à l’époque pertinente, et elle ne tient pas non plus compte du large consensus sur l’existence d’une urgence eu égard aux effets que ce phénomène a d’ores et déjà et aura inéluctablement à l’avenir sur divers aspects des droits de l’Homme. En effet, les données disponibles et les conclusions scientifiques relatives à l’urgence de lutter contre les effets négatifs du changement climatique, et notamment au risque grave que ces effets ne soient inéluctables et irréversibles, permettent de penser qu’il existait un besoin impérieux d’assurer la protection juridique des droits de l’Homme face à une action supposément inadéquate des autorités pour contrer le changement climatique.
En ce qui concerne la contestation soulevée par l’association requérante, et pour autant qu’elle résulte d’un volet pertinent de l’action intentée au niveau interne – à savoir le grief tiré d’un défaut de mise en œuvre effective des mesures d’atténuation prévues par le droit en vigueur –, la Cour note que l’association requérante a démontré l’existence d’un « lien réel et suffisamment étroit avec la question litigieuse et avec les personnes qui cherchent à obtenir une protection contre les effets néfastes du changement climatique sur leur vie, leur santé et leur qualité de vie ». En d’autres termes, l’association requérante s’est efforcée de défendre les droits civils particuliers de ses adhérentes face aux effets négatifs du changement climatique. Elle a agi en tant que moyen permettant aux personnes touchées par le phénomène en question de voir défendre leurs droits et de chercher à obtenir des mesures correctives adéquates face au manquement de l’État à mettre en œuvre de manière effective les mesures d’atténuation prévues par le droit en vigueur. La Cour relève en outre que, avant de saisir les juridictions, l’association requérante et ses adhérentes ont soumis leurs griefs à divers organes et services administratifs spécialisés, mais qu’aucun d’entre eux ne s’est prononcé sur la substance de ces griefs. Opéré par les seules autorités administratives, un tel examen n’aurait pas pu répondre à l’impératif de l’accès à un tribunal qui découle de l’article 6 de la CEDH ; la Cour note cependant que, à en juger par la décision du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), le rejet de l’action des requérantes par les autorités administratives semble avoir reposé sur des considérations inappropriées et insuffisantes, semblables à celles invoquées par les juridictions internes. La Cour observe de surcroît que les requérantes individuelles/adhérentes de l’association n’ont pas eu accès à un tribunal et qu’il n’existait pas d’autre voie de recours en droit interne qui leur eût permis de soumettre leurs griefs à une juridiction. Dès lors, il n’y avait pas d’autres garanties pertinentes à prendre en compte dans l’appréciation de la proportionnalité de la limitation du droit d’accès de l’association requérante à un tribunal.
Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que, pour autant que les griefs de l’association requérante relevaient du champ d’application de l’article 6 § 1 de la CEDH, le droit d’accès de celle‑ci à un tribunal a été restreint d’une manière et à un point tels qu’il s’en est trouvé atteint dans sa substance même.
L’ensemble de ces arguments retenu par le CEDH explique pourquoi l’association « Verein KlimaSeniorinnen Schweiz » a été admise à intenter une action de plein contentieux contre la Confédération Suisse pour son inaction en matière de protection de l’environnement.
Incontestablement, cette jurisprudence de la CEDH du 09 avril 2024 fera date. En effet, en accordant pour la première fois la qualité de victime aux associations engagées dans la lutte contre le réchauffement climatique, la CEDH leur offre désormais la possibilité de mettre directement sous pression les Etats de l’UE insuffisamment concernés par la question. [19]CE, Proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil sur les associations transfrontalières européennes du 05 sept. 2023, Bruxelles, 5.9.2023 COM(2023) 516 final) ; v. égal. … Continue reading Cette capacité juridique à agir offerte à la société civile organisée est d’autant plus une excellente nouvelle qu’il sera bientôt possible de procéder à la création d’associations européennes transfrontalière dont l’objectif pourrait précisément être de lutter contre les effets climatiques sur tout le territoire de l’UE.[20]C. Amblard, Associations transfrontalières : une avancée majeure au niveau européen, Juris associations Dalloz, n°689, 1er déc. 2023, p. 33à 36 ; du même auteur, Association … Continue reading
Colas Amblard, docteur en droit, avocat
En savoir plus :
Avis du HCVA sur la proposition de directive relative aux associations transfrontalières européennes
Plaidoyer en faveur de l’entreprise associative, Colas Amblard éditorial ISBL magazine, juillet 2018
- Engagement associatif : petit lexique juridique - 27 novembre 2024
- Présider une association : la vigilance est de mise - 29 octobre 2024
- Association et dirigeant de fait : attention au retour de bâton ! - 29 octobre 2024
References
↑1 | CEDH, Gr. ch., 09 avril 2024, Verein Llimaseniorinnen Schweiz et autres c./ Suisse, req. N°53600/20 |
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↑2 | CEHD, art. 34 : « La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. » |
↑3 | Ibid. |
↑4 | CEDH, 7 févr. 2006, Besseau et autre c. France (déc.), n° 58432/00 |
↑5 | CEDH, 7 mai 2014, Yusufeli İlçesini Güzelleştirme Yaşatma Kültür Varlıklarını Koruma Derneği c/ Turkey, n° 37857/14, § 41 |
↑6 | CEDH, Gr. court, 17 juill. 2014, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC] – 47848/08 |
↑7 | CEDH, 24 mars 2015, Association de défense des droits de l’homme en Roumanie – Comité Helsinki au nom de Ionel Garcea c. Roumanie, n° 2959/11 |
↑8 | CEDH, 27 avril 2004, Gorraiz lizarraga et autres c. Espagne n° 62543/00 |
↑9 | Pour des considérations similaires, voir aussi CEDH, 24 févr. 2009, L’Erablière A.S.B.L. c. Belgique n° 49230/07 |
↑10 | CEDH, 01 juill. 2001, Association burestop 55 et autres c. France, n°56176/18, 56189/18, 56232/18, 56236/18, 56241/18, 56247/18 |
↑11 | Préc. note 8 |
↑12 | CEDH, 12 juin 2007, Collectif national d’information et d’opposition à l’usine Melox c. France, n°75218/01 |
↑13 | Préc. note 10 |
↑14 | Ibid. note 8 |
↑15 | Préc. note 9 |
↑16 | Préc. note 13 |
↑17 | « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » |
↑18 | V., par ex., CEDH 25 nov. 1993, Zander c. Suède, n°14282/8825 ; CEDH, 26 août 1997, BALMER-SCHAFROTH ET AUTRES c. SUISSEn n°67/1996/686/876 ; CEDH, Gr. Cour, 6 avr. 2000, Athanassoglou et autres c. Suisse [GC], n°27644/95 |
↑19 | CE, Proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil sur les associations transfrontalières européennes du 05 sept. 2023, Bruxelles, 5.9.2023 COM(2023) 516 final) ; v. égal. Proposition visant à faciliter les activités transfrontalières des associations à but non lucratif dans l’Union européenne (UE) |
↑20 | C. Amblard, Associations transfrontalières : une avancée majeure au niveau européen, Juris associations Dalloz, n°689, 1er déc. 2023, p. 33à 36 ; du même auteur, Association transfrontalière européenne : comment ça marche ? publié in www.institut-ISBL.fr, édito, oct. 2023 |