La 2ème chambre civile de la Cour de cassation a partiellement annulé, par décision du 14 avril 2016, un arrêt de la cour d’appel de Poitiers à qui elle reproche d’avoir retenu la faute d’une skieuse victime d’une collision à ski tout en relevant que celle-ci n’aurait pas enfreint les règles de bonne conduite éditées par la Fédération Internationale de Ski. Cet arrêt de cassation, conforme au contrôle qu’exerce la Haute Juridiction sur les décisions des juges du fond, aurait pu être évité par une motivation plus circonstanciée.
1-Voici les faits. Un adolescent qui descendait à ski une piste rouge, percute une skieuse qui s’était arrêtée sur la piste pour ramasser le bâton de ski qu’un autre skieur, qui la précédait, avait perdu en chutant. Chacun des deux skieurs blessés par la collision réclame à l’autre réparation de son dommage. Les premiers juges déboutent l’auteur de la collision et ses parents de leurs prétentions et les condamnent à réparer l’entier préjudice causé à la skieuse sur le fondement de l’ancien article 1384 alinéa 1 (aujourd’hui art. 1242 du code civil). La cour d’appel infirme le jugement. Elle confirme la condamnation des parents de l’auteur de la collision mais considère que la responsabilité de la skieuse est également engagée. La Cour de cassation lui reproche d’avoir retenu une faute d’imprudence de la skieuse tout en reconnaissant qu’elle n’avait pas méconnu les règles de la pratique du ski alpin. La cour d’appel se serait donc contredite et la Cour de cassation serait dans son rôle en la censurant.
2-Comme souvent, les collisions occasionnent des blessures aux deux skieurs. Il faut donc examiner successivement les actions que chacune des deux victimes a formées contre l’autre.
I-Responsabilité de l’auteur de la collision et de ses parents
3- Les litiges entre skieurs se règlent alors habituellement sur le fondement des articles 1240 (ancien article 1382) et 1242 (ancien article 1384 alinéa 1) du code civil. L’article 1240 met à la charge de la victime la preuve d’une faute de l’auteur du dommage. En l’espèce, elle pouvait soutenir que celui-ci n’avait pas respecté le code de bonne conduite du skieur établi par la Fédération Internationale de Ski et enfreint deux de ses règles. D’une part, la règle n° 3 qui fait peser sur le skieur amont l’obligation de prévoir une direction qui assure la sécurité du skieur aval ; d’autre part, la règle n° 4 qui prescrit que les dépassements doivent toujours s’effectuer de manière assez large pour prévenir les évolutions du skieur dépassé. En effet, la piste étant large et la visibilité bonne au lieu de la collision, son auteur, qui avait selon toute vraisemblance la skieuse en point de mire aurait pu l’éviter en prenant les précautions nécessaires au moment du dépassement.
4-L’autre alternative pour la victime consistait à mettre en cause le skieur en qualité de gardien de ses skis et de bénéficier ainsi de la présomption de responsabilité qui pèse sur le gardien d’une chose. Toutefois, si elle n’avait pas à établir une faute de sa part, il restait à sa charge la preuve que les skis avaient été l’instrument du dommage. Cette preuve est facile à administrer lorsqu’il y a eu un contact entre les skis et le corps de la victime. Les tribunaux considèrent, en effet, que le rôle causal de la chose est présumé dès lors qu’elle était en mouvement au moment de la survenance du dommage et qu’il y a eu un contact entre cette chose et le siège du dommage. Les choses se compliquent lorsque le contact s’est effectué uniquement entre les corps des deux skieurs et qu’il n’y a pas eu de contact entre les skis et le corps de la victime. Celle-ci doit alors établir le rôle actif de la chose. Les tribunaux lui facilitent la tâche par un raisonnement astucieux. Ils considèrent que c’est le glissement des skis sur la neige qui entraine le mouvement du corps de leur utilisateur contribuant ainsi à constituer un ensemble entre le skieur et ses skis, de sorte que, même si le corps du skieur n’a pas été atteint par les skis de l’auteur de la collision, ceux-ci doivent être considérés comme l’instrument du dommage[1].
On observera, au passage, qu’une fois établie la responsabilité de la victime mineure, celle de ses parents se trouvait de facto engagée. En effet, le régime de responsabilité qui leur est applicable est particulièrement sévère puisque non seulement la victime n’a pas à rapporter la preuve d’une faute de surveillance ou d’éducation de leur part, mais la jurisprudence admet également que le fait non fautif du mineur suffit pour engager leur responsabilité.
II-Responsabilité de la skieuse
5-Le règlement de la Fédération Internationale de Ski (FIS) dispose que tout skieur et snowboarder doit éviter de stationner sans nécessité sur les pistes dans les passages étroits ou sans visibilité. La cour d’appel constate que la victime n’a pas contrevenu à cette règle dès lors que la piste était large, balisée, sécurisée, que la visibilité était bonne et que son arrêt a été rapide. Toutefois, elle objecte que cette règle « doit s’interpréter au regard également de la difficulté de la piste dans son ensemble ». Or, il s’agissait d’une piste classée rouge empruntée par des skieurs expérimentés progressant à grande vitesse. Aussi, elle considère que la skieuse a eu un comportement imprudent en s’arrêtant sur cette piste pour ramasser un bâton puis en la traversant de gauche à droite.
6-Il est clair que la skieuse pouvait stationner sur la piste dès lors qu’elle n’était pas étroite et sans visibilité à cet endroit. Sa faute n’est pas de s’être arrêtée sur la piste mais de l’avoir traversée sans s’assurer qu’elle pouvait le faire sans danger. S’y déplacer pour remettre son bâton au jeune qui l’avait perdu alors qu’il s’agissait d’une piste rouge ouverte aux skieurs expérimentés, peut être considéré comme une imprudence. La cour d’appel a commis l’erreur de ne pas avoir nettement dissocié le stationnement et la traversée de la piste et donc de s’être contredite. A la cour de renvoi de lever la confusion et de décider si, en traversant la piste, la skieuse a commis une imprudence au regard de son classement et de sa fréquentation.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sport
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CASS CIV 14 AVRIL 2016