Dans une décision rendue le 6 novembre 2013, la Haute juridiction administrative a dit pour droit qu’une participation très minoritaire au capital d’une société publique locale d’aménagement ne suffit pas à établir l’existence d’un contrôle analogue ; la participation aux organes de direction est également requise. Le Conseil d’Etat avait à se prononcer sur les contours exacts de la notion de contrôle analogue. Plus précisément, la question était celle de savoir si une participation très minoritaire, pour ne pas dire symbolique, d’une collectivité territoriale au capital d’une société publique locale était de nature à établir l’existence d’un contrôle analogue. Dans son arrêt,il précise clairement que, »pour être regardée comme exerçant un tel contrôle sur cette société, conjointement avec la ou les autres personnes publiques également actionnaires, cette collectivité doit participer non seulement à son capital mais également aux organes de direction de cette société« .
La relation »in house« ne saurait être établie au seul motif que le contrat est conclu avec une société publique locale, laquelle ne doit pas être un moyen commode permettant de contourner les règles de publicité et de mise en concurrence.
Pour faire le point sur cette décision, et plus généralement, pour revenir sur la notion de contrat « in house« , Lexbase Hebdo—édition publique a rencontré Maître Anne-Cécile Vivien.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler ce que recouvre la notion de prestation intégrée, appelée relation « in house » ?
A-C Vivien : La notion de prestation intégrée, appelée également relation « in house » est un mode de relation contractuel qui permet à un pouvoir adjudicateur de confier régulièrement une mission à un organisme dédié[1], en étant soustrait à l’obligation de respecter les règles de publicité et de mise en concurrence imposées par la réglementation européenne.
Cette exception aux règles de mise en concurrence a été officiellement consacrée par la jurisprudence communautaire en 1999 dans l’arrêt Teckal[2] et fait, depuis, l’objet d’une application constante[3]. Pour reconnaître l’existence de cette relation, la jurisprudence a imposé le respect de deux conditions cumulatives, d’une part, le fait que le contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur sur son cocontractant doit être comparable à celui qu’il exerce sur ses propres services, c’est le critère du contrôle analogue, et, d’autre part, le fait que l’activité du cocontractant doit être essentiellement consacrée à ce pouvoir adjudicateur.
La réunion de ces conditions s’apprécie in concreto. Par suite, si des pouvoirs adjudicateurs souhaitent confier sans mise en concurrence la gestion d’un ou de plusieurs de leurs services publics, elles sont tenues de créer cette relation de prestation intégrée avec leur prestataire.
Cette première condition a fait l’objet pendant un certain temps d’une conception restrictive. Son existence était conditionnée au regard du fait qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul pouvoir adjudicateur susceptible de contracter avec un organisme prestataire. Cette conception qui limitait le développement de la coopération entre collectivité publiques a été abandonnée depuis l’arrêt Carbotermo[4].
La jurisprudence accepte ainsi de reconnaître l’existence d’un contrôle du pouvoir adjudicateur sur son cocontractant comparable à celui qu’il exerce sur ses propres services uniquement dans deux hypothèses, lorsque la structure « in house » est détenue à 100% par le pouvoir adjudicateur ou par des entités qui lui sont assimilables, ou lorsque la structure « in house » est composée de plusieurs pouvoirs adjudicateurs[5].
Les dernières jurisprudences de la CJUE du 12 novembre 2012[6], de la Cour administrative d’appel de LYON du 7 novembre 2012[7] et du Conseil d’Etat du 6 novembre 2013 confirment la régularité de ce pluri-contrôle, mais en étant plus strict sur son appréciation.
En revanche, la jurisprudence exclut toute relation de « in house » quand existe une participation, même minoritaire, d’une entreprise privée.
La détention du capital à 100 % par un ou des pouvoirs adjudicateurs ne laisse toutefois que présumer du contrôle analogue ; le contrôle doit également s’inscrire dans un lien institutionnel très fort excluant l’autonomie de l’organisme.
De même, la CJCE considère de manière constante que toute participation privée au capital de l’entité prestataire exclut toute dispense de mise en concurrence en vertu du « in house »[8] . Néanmoins, si l’exclusion de la théorie « in house » parait logique en présence de capitaux de nature privée répondant à un intérêt commercial, il en va à notre sens différemment dès lors que l’objet et le mode de fonctionnement de la personne privée membre ne répondent pas à des considérations d’ordre privé ou commercial.
La deuxième condition pour que l’Association soit qualifiable d’organisme « in house » est qu’elle réalise l’essentiel de ses activités pour ses membres.
En la matière, il a été jugé que lorsque l’entité est détenue par plusieurs pouvoirs adjudicateurs, ce critère est apprécié par rapport aux prestations délivrées à l’ensemble des membres[9]. Il n’existe pas de seuil légal chiffré ; il convient d’apprécier au cas par cas. A noter que les projets de directive marchés envisagent de chiffrer ce critère.
Lexbase : De quelle manière le juge français et le juge européen s’en sont-ils saisis ?
A-C Vivien : Les juges français ont été saisis de cette question lors d’un contentieux classique de la légalité d’un acte administratif. Le Conseil municipal de la Commune de Marsannay-la-Côte avait adopté une délibération par laquelle il décidait de conclure directement sans mise en concurrence une concession d’aménagement avec la Société publique locale d’aménagement de l’agglomération dijonnaise. L’association pour la défense du cadre de vie de la commune de Marsannay-la Côte et le Syndicat de défense des intérêts viticoles de Marsannay-la-Côte ont alors intenté un recours en annulation contre cette délibération devant le Tribunal administratif de Dijon.
Le juge communautaire, quant à lui, peut être saisi par questions préjudicielles des juridictions nationales portant sur l’appréciation du droit de l’Union et en l’espèce, plus spécifiquement, sur le droit de l’Union relatif aux conditions d’application de l’exception de l’attribution directe, dite « in house » d’un service d’intérêt public .
Lexbase : En l’espèce, le Conseil d’Etat adopte une interprétation assez restrictive dans la lignée de la CJUE, pouvez-vous nous en dire plus ?
A-C Vivien : Bien avant la décision de la CJUE du 29 novembre 2012, le contrôle analogue exercé par le ou les pouvoirs adjudicateurs devait s’inscrire dans un lien institutionnel très fort excluant l’autonomie de l’organisme.
Cela signifiait que :
– Les membres pouvoirs adjudicateurs doivent avoir une influence déterminante sur les décisions des organes statutaires du prestataire, tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de l’organisme. Pour cela, le juge vérifie les modalités de composition des organes[10].
– Le prestataire ne doit pas disposer d’une autonomie de fonctionnement et d’activité et ne doit disposer d’aucune marge d’action sur le marché (absence de vocation de marché) ; certes, une telle disposition pourrait conduire d’exclure de facto, toute entité bénéficiant de la personnalité morale, laquelle lui confère nécessairement un minimum d’autonomie, néanmoins la lecture de la jurisprudence récente de la CJUE montre que cette position a été assouplie[11]. L’absence de caractère commercialde la société en cause, le pouvoir de décision détenu par les autorités publiques sur les choix stratégiques et sur les tarifs au sein du Conseil d’administration ont notamment motivé la position de la Cour. Le même raisonnement a été mené dans un arrêt en date du 9 juin 2009, « Commission c/ Allemagne »[12].
Ces éléments sont appréciés désormais de manière plus stricte[13], notamment sur la notion de contrôle conjoint[14] exercé par plusieurs collectivités publiques qui est admis sous réserve que lesdites collectivités participent réellement au contrôle de l’entité.
Il résulte ainsi de ces jurisprudences que le fait de détenir entre plusieurs collectivités publiques, en coopération, une structure leur permettant d’accomplir des tâches d’intérêt public ne fait pas obstacle à l’existence d’une relation « in house » dès lors qu’elles exercent bien un contrôle sur cette structure analogue à celui qu’elles exercent sur leurs propres services. La structure ne doit pas cependant devenir totalement autonome dans ses décisions Il est donc essentiel en la matière qu’il existe des droits de véto.
En effet, l’arrêt du Conseil d’Etat impose clairement au pouvoir adjudicateur de « participer non seulement à son capital mais également aux organes de direction de cette société » le fait de détenir une participation très minoritaire au capital, de ne pas disposer d’un représentant propre au sein de son conseil d’administration qui est le principal organe de direction et de n’avoir une voix délibérative que de façon indirecte ne peut être regardée comme une participation effective au contrôle de l’organisme prestataire.
La participation des petits actionnaires à un montage « in house » doit donc être encadrée très sérieusement en leur donnant davantage de moyens d’actions et de contrôle, peut-être par le bais des assemblées spéciales. La difficulté sera de ne pas aller à l’encontre du droit des sociétés et des règles applicables aux sociétés privées que sont les SPL. Les associations sont a priori moins concernées par ce risque de contradiction de réglementation.
Lexbase : Le critère du double contrôle sur le capital et sur les organes dirigeants sera-t-il suffisant à terme, selon vous, ou devra-t-il éventuellement être complété ?
A-C Vivien : En l’état de nos informations ce critère n’est pas pour l’instant remis en cause simplement son appréciation sera plus stricte de manière à assurer davantage le respect de l’idée initiale de la notion de prestation intégrée qui était celle de mettre en œuvre un contrôle analogue à celui qu’exerce un pouvoir adjudicateur sur ses propres services.
- CIRIEC : Conférence internationale du 8 novembre 2024 - 10 octobre 2024
- Colloque ARJESS – La reconnaissance légale de l’ESS : où en est-on dix ans après ? - 7 octobre 2024
- Dossier Juris Associations – Mécénat : qui ne risque rien… - 30 septembre 2024