Pour notre Président Emmanuel Macron, l’heure du bilan a sonné aux termes de son premier quinquennat. Loin de faire un constat exhaustif, l’Institut ISBL retient quelques éléments saillants à propos des politiques menées en direction des institutions sans but lucratif (ISBL) et de l’Économie sociale et solidaire (ESS). Ces réflexions doivent servir à identifier les grandes orientations qu’il conviendrait de prendre à l’aube de sa réélection et surtout à inciter à renouer le dialogue civil avec les corps intermédiaires.
De toute évidence, pour le Président de la République dont la conception verticale du pouvoir ne fait aucun doute, les corps intermédiaires ne sont pas une priorité. Certes, ce dernier a parfaitement conscience qu’ils contribuent au maintien de l’emploi et à renforcer notre cohésion nationale et notre Chef de l’État lui-même ne semble plus croire au « monde d’après »[1]https://www.huffingtonpost.fr/entry/meme-macron-ne-croit-plus-a-lillusion-du-monde-dapres_fr_618a3d83e4b0ad6f588838c0 : Durant le début de l’épidémie, on parlait beaucoup du monde d’après”, … Continue readingau sein duquel on a pu penser, au sortir de la crise sanitaire, que les ISBL (associations – fondations – fonds de dotation) et l’ESS auraient à y jouer un rôle important.
ESS, politique associative : une vision erratique
Le moins que l’on puisse dire est que la représentation du secteur associatif et de l’ESS au plus haut sommet de l’Etat a été difficile à lire. Nommé en 2017 Haut-Commissaire à l’Économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale rattaché au ministère de la Transition écologique sous le gouvernement Edouard Philippe II, Christophe Itier, qui n’a eu de cesse de promouvoir l’entrepreneuriat social[2]Pierre LIRET : « Danone ou l’impasse de l’entreprise à mission », Institut ISBL novembre 2020 à grand renfort d’anglicismes[3]Colas AMBLARD : « Economie sociale et solidaire : sortir de l’impuissance politique ! », éditorial ISBL MAGAZINE octobre 2020, n’a pas convaincu. Il ne survivra pas au lancement d’un pacte de croissance pour l’ESS en novembre 2018, jugé très largement insuffisant tant sur le fond que sur la forme[4] Michel ABHERVÉ : « ESS, Emploi, Formation, Insertion et bien d’autres choses Altérnatives Économiques, 3 decembre 2018 par les instances représentatives de l’ESS qui lui reprochent un manque de concertation avec les acteurs de terrain. S’ensuivirent plusieurs mois où son remplacement a été réclamé à cor et à cri par les mêmes acteurs [5]Carole ORCHAMPT : « Vers la nomination d’un Secrétaire d’Etat en charge de la vie associative et de l’économie sociale et solidaire ? », Institut ISBL juillet 2020jusqu’à l’arrivée d’Olivia Grégoire, nommée le 26 juillet 2020, secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la relance dans le gouvernent Jean Castex. Si rien dans son parcours ne la prédestinait à ce poste, force est de constater que cette dernière s’est attachée avec vigueur à affronter les difficultés liées à la pandémie Covid-19 pour permettre au secteur associatif et aux entreprises de l’ESS de surmonter cette crise sans précédent. Pour le reste, aucun changement majeur ne sera à mettre à son crédit, l’ESS et les associations demeurant strictement cantonnées dans l’économie de la réparation (des méfaits du capitalisme financier) et non comme le moyen d’opérer les transformations sociales, économiques, démocratiques et environnementales profondes dont notre pays a pourtant tant besoin.
Quelques mesures d’ajustement techniques éparses mais non dénuées d’intérêt
Certes, il ne s’agit pas de « jeter le bébé avec l’eau du bain. » Si tout n’a pas été parfait, loin de là, quelques mesures[6]Colas AMBLARD : « Associations : de nouvelles mesures législatives viennent renforcer leur capacité d’actions dans les territoires », éditorial ISBL MAGAZINE janvier 2020trouvent cependant grâce à nos yeux. Nous ne reviendrons pas sur les dispositions prises à l’attention des associations et des entreprises de l’ESS pour lutter contre les effets de la crise Covid-19 dont l’histoire jugera si elles ont été pertinentes et suffisamment efficaces. Mais pour l’essentiel, il s’agit de dispositions strictement techniques[7]Colas AMBLARD : « Les dernières mesures du quinquennat Macron en faveur du secteur associatif » Institut ISBL avril 2022qui, à elles seules, ne sauraient traduire une vision prospective du rôle que les ISBL et les entreprises de l’ESS sont susceptibles de jouer dans la nécessaire refondation de notre pays. Ces simples ajustements ne suffiront pas non plus à faire oublier ces grandes décisions politiques prises durant le premier quinquennat (réformes de l’ISF, suppression des emplois aidés, augmentation constante de la commande publique, etc.) et qui auront significativement et durablement impacté le monde associatif. Tantôt remerciées (secteur de la santé) tantôt vilipendées (contrat d’engagement républicain), les associations se sont beaucoup fragilisées durant ces cinq dernières années au point qu’elles créent depuis peu moins d’emplois et surtout perdent des bénévoles dans une proportion inquiétante.
Un bilan somme-toute en demi-teinte au regard des enjeux
A l’heure où l’extrême-droite est aux portes du pouvoir, où le taux de pauvreté ne cesse d’augmenter pour atteindre en 2022 le seuil de 10 millions de personnes concernées en France (soit + de 14,5% de la population), où les menaces climatiques se font de plus en plus précises si l’on en juge le dernier rapport du GIEC et où l’accroissement des inégalités sociales[4]déchirent chaque jour un peu plus notre pacte républicain, le bilan de ce premier quinquennat en direction des associations et des entreprises de l’ESS nous apparaît – au mieux – en demi-teinte – au pire – complètement raté.
Au regard des enjeux précédemment décrits, pourquoi ne pas avoir d’ores et déjà impliqué dans la bataille qui s’annonce l’ensemble des forces vives de la Nation, au premier rang desquelles figurent les associations et l’ESS ? Pourquoi compte tenu de la situation décrite, la confiance accordée à la doxa néolibérale pour déterminer nos politiques de régulation économique ne s’érode-t-elle pas au fil du temps… et des affaires (Ehpad Orpéa ou Korian) ? Pourquoi les associations et l’ESS ne pourraient-elles pas inspirer durablement la mise en œuvre d’un nouveau paradigme économique[8]Jean-Louis CABRESPINES : « Le modèle associatif peut-il s’inscrire dans un nouveau paradigme économique ? », éditorial ISBL MAGAZINE mai 2021respectueux des exigences imposées par l’obligation de transition écologique [9]Camille DORIVAL : « Transition écologique : qu’attendons-nous pour nous y mettre ? », éditorial ISBL MAGAZINE novembre 2021? Les questions sur la manière dont il nous faut répondre à ces enjeux multiples sont nombreuses. De toute évidence, les solutions seront de plus en plus difficiles à mettre en œuvre compte tenu de l’urgence croissante dans laquelle elles devront, de toute évidence, être prises si rien ne bouge rapidement !
Réflexions à propos des grandes orientations à prendre
Sans attendre les résultats des législatives 2022 qui pourraient singulièrement faire évoluer la donne politique, Emmanuel Macron réélu pour cinq ans supplémentaires a récemment annoncé vouloir nommer un Premier ministre chargé de la planification écologique. L’intention est louable et montre le degré de responsabilité qui est le sien, même s’il demeurera pour l’Histoire le premier chef d’État d’un gouvernement condamné pour son inaction climatique et la raison pour laquelle les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat ne cessent de ressasser le célèbre adage qui veut que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient. »[3] Il n’empêche que la planification écologique appelée de ses vœux à la dernière minute par notre Président, si l’on veut qu’elle produise les effets escomptés, ne pourra pas se décliner sans de solides relais répartis sur tout le territoire national et sans l’aide de la société civile organisée, c’est-à-dire au premier chef le secteur associatif – fort de ses 13 millions de bénévoles – et les autres entreprises de l’ESS – susceptibles de mobiliser ses 2,38 millions de salariés. Pour ce faire, l’ESS et le secteur associatif doivent continuer à être soutenus. A ce titre, le Mouvement associatif et ESS FRANCE ont formulé un certain nombre de propositions qu’il conviendrait d’urgence de prendre en considération, tout comme les avis formulés par le Haut-Conseil à la Vie Associative et le Conseil Supérieur de l’ESS. Les nouveaux modes d’entreprendre à « but non lucratif » ou à « lucrativité limitée » représentés par ces instances doivent devenir la norme économique de demain. Pour cela, notre Président doit désormais trouver la bonne distance entre sa conception « Jupitérienne » du pouvoir et l’absolue nécessité d’entretenir avec les corps intermédiaires ainsi que l’ensemble de la société civile un dialogue constructif, apaisé, et surtout basé sur une confiance réciproque.
Espérons que le dialogue civil redevienne une priorité absolue pour la future majorité présidentielle et que le second quinquennat soit celui des associations et de l’ESS.
Colas AMBLARD, Président de l’Institut ISBL
En savoir plus :
Pierre LIRET : « Danone ou l’impasse de l’entreprise à mission », Institut ISBL novembre 2020
Jerome SADDIER : « Pour une économie de la réconciliation. Faire de l’ESS la norme de l’économie de demain », collection Mondes en transitions, éditions Les Petits Matins , avril 2022
« L’AGLCA pose un bilan amer des 5 dernières années pour la vie associative », éditorial newsletter RNMA mai 2022 par Loïc BASSET BOUGAIN, directeur adjoint de l’AGLCA – MDA de Bourg en Bresse, membre du RNMA.
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