Face au dérèglement climatique et à la dégradation de la biodiversité, il est urgent d’agir à tous les niveaux. Des centaines d’initiatives de l’économie sociale et solidaire contribuent déjà, chaque jour, à faire la transition écologique sur les territoires. Elles agissent dans tous les domaines, de la protection de la biodiversité aux mobilités durables, en passant par la rénovation énergétique ou le réemploi des objets. Mais elles doivent encore essaimer et se développer. 

Alors qu’elle avait été qualifiée de « moment historique », la Cop 26 de Glasgow aura été, on le sait, un semi-échec. Certes, elle a réaffirmé l’objectif de la communauté internationale de limiter le réchauffement climatique à +1,5 degrés en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle, alors que nous sommes sur une tendance catastrophique à +2,7 degrés. Toutefois, les actions concrètes pour contenir cette hausse sont très décevantes.

Certes, pour la première fois, un texte de négociations climatiques mentionne le début d’une sortie du charbon et des énergies fossiles, qui sont responsables de 90 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais aucune contrainte n’est imposée. Et les nouveaux objectifs fixés entraîneraient, s’ils sont tenus, une hausse de 14 % des émissions d’ici à 2030 par rapport à 2010, alors qu’il faudrait les réduire de 45 % pour espérer limiter le réchauffement à 1,5 °C.

Le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec) soulignait pourtant que, même avec une hausse de la température moyenne de notre planète à 1,5° C, « les conditions de vie vont changer au-delà de la capacité de certains organismes à s’adapter » : les récifs coralliens notamment, dont un demi-milliard de personnes dépendent, pourraient ne pas y survivre.

Avec un réchauffement de +2 °C, 80 millions de personnes supplémentaires souffriront de la faim d’ici à 2050 ; des centaines de millions d’habitants de villes côtières seront menacées par des submersions plus fréquentes, liées à une hausse du niveau de la mer ; par ailleurs, 420 millions de personnes de plus vivront des canicules extrêmes.

« La vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L’humanité ne le peut pas », notait le rapport du Giec. Et de conclure que « nous avons besoin d’une transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux : individus, communautés, entreprises, institutions et gouvernement. (…) Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation ».

Certes, mais comment y arriver ? Les politiques publiques sont évidemment déterminantes pour que nous puissions relever le défi de la « transition écologique » nécessaire pour contenir à la fois le réchauffement climatique et la disparition progressive de la biodiversité qui menace la survie de l’humanité. Mais chacun, à son échelle, peut également contribuer à cette transition. Et de fait, des projets citoyens naissent ici et là, sur les territoires, souvent portées par des structures de l’économie sociale et solidaire (ESS), et font la transition écologique au quotidien.

Ces initiatives agissent sur tous les territoires et dans tous les domaines de la transition écologique. En matière de mobilité, par exemple, des acteurs comme Mobicoop, Railcoop, Citiz ou Carton Plein agissent chaque jour pour développer des modes de transports plus durables et moins émetteurs de gaz à effet de serre. En matière d’économie circulaire, Emmaüs, le réseau Envie, l’association Rejoué, ou encore les Repair cafés, font en sorte de donner une seconde vie à nos objets pour réduire la quantité de biens nouveaux que nous produisons, tout en les rendant accessibles à bas prix à des ménages à revenus modestes. En matière d’énergie, la Scic Enercoop, mais aussi toutes les initiatives citoyennes productrices d’énergies renouvelables, permettent d’envisager des alternatives concrètes aux énergies fossiles et au nucléaire qui, s’il émet peu de gaz à effet de serre, continue à représenter un risque non négligeable et difficilement mesurable pour les populations.

D’autres structures de l’ESS interviennent également pour protéger la biodiversité, développer l’agriculture biologique, l’alimentation en vrac, les circuits courts ou de proximité, pour rénover des logements et les rendre moins énergivores, ou encore pour sensibiliser le grand public aux enjeux de la transition écologique. Ce sont tous ces acteurs que j’ai voulu valoriser dans mon livre La transition écologique, ici et maintenant !, qui vient de paraître aux éditions Les Petits Matins.

De fait, l’ESS et la transition écologique partagent un certain nombre de valeurs et de principes fondateurs qui en font des alliés naturels. La vision du long terme, d’abord. Les structures de l’ESS – associations, coopératives, mutuelles, fondations, mais aussi certaines entreprises commerciales ayant un objectif d’utilité sociale – se définissent par leur gouvernance démocratique et une lucrativité nulle ou limitée. Les projets de l’ESS sont portés par un collectif et non par une personne seule. Ils visent à soutenir une communauté dans la durée. La plus grande partie de leurs bénéfices servent non pas à rémunérer des actionnaires, mais à investir dans des projets futurs. C’est donc l’un des fondements de l’ESS que de s’inscrire dans la prise en compte du temps long et de l’intérêt général, en sortant de la logique du seul profit à court terme. Or, l’idée même de transition écologique nécessite de s’inscrire dans un temps long et de prendre en compte l’intérêt général des générations futures, au-dessus des intérêts particuliers de nos contemporains.

Par ailleurs, l’ESS a une culture forte de l’expérimentation, comme je le montre dans cet ouvrage : partout elle innove, invente, réinvente, essaie, et n’a pas peur de se tromper pour réajuster si besoin. Comme son intérêt n’est pas le profit, elle n’hésite pas à investir des champs dont le modèle économique est incertain, lorsque leur utilité sociale et/ou environnementale est avérée, et trouve le plus souvent des solutions pour en faire des activités pérennes. Or la transition écologique exige d’innover et d’expérimenter, car, dans beaucoup de domaines, nous ne savons pas toujours comment nous y prendre pour réduire nettement notre impact sur l’environnement.

Enfin, l’ESS s’ancre naturellement dans les territoires dans lesquels elle est implantée, au service des communautés visées par son champ d’action. Les décisions sont prises par les membres des structures implantées localement, en tenant compte de la réalité de chaque territoire, et non depuis un quelconque centre de décision national. De même, la transition écologique, même si ses grandes orientations se décident en partie au niveau national ou international, trouve sa traduction concrète et sa mise en œuvre au niveau des territoires.

Il est donc logique de constater que, depuis quelques décennies, mais en particulier depuis les années 2000, les structures de l’ESS ont été nombreuses à investir le champ de la transition écologique dans ses différentes dimensions.

Il est frappant de voir que toutes ces initiatives associent à l’objectif d’une transition écologique celui d’une transition vers un modèle de société plus solidaire, où les liens sociaux sont renforcés. De fait, la transition écologique implique le passage vers des systèmes économiques et sociaux plus résilients et durables, se préoccupant davantage de l’impact de nos actions d’aujourd’hui à la fois sur nos contemporains mais aussi sur les générations futures. Transition écologique et transition solidaire ne vont donc pas l’une sans l’autre. L’idée est de placer l’humain et l’intérêt pour l’autre au cœur des préoccupations, qu’il s’agisse de l’humain d’aujourd’hui ou de celui de demain.

En participant à ces projets d’ESS, les citoyens s’approprient les enjeux de la transition écologique et en deviennent des acteurs. Ils contribuent aussi collectivement à montrer l’exemple, à transmettre des valeurs de progrès, à démontrer que nous ne sommes pas condamnés à subir le dérèglement climatique. Par leur action, ils ne sont plus impuissants face à la crise écologique, et surmontent l’éco-anxiété que nous avons tous pu ressentir un jour ou l’autre.

Ils contribuent à la construction d’un récit collectif porteur de sens et d’espoir : oui, nous devons réussir cette transition écologique et solidaire, rendue nécessaire par le dérèglement climatique ; oui, cette transition écologique nous permettra de vivre mieux, grâce à plus de solidarité, de démocratie et de connexion à la nature. Alors, qu’attendons-nous pour nous y mettre ?

 

 

Camille Dorival, consultante et journaliste

 

 

En savoir plus : 

Camille DORIVAL, « La transition écologique, ici et maintenant ! », collection « Mondes en transitions », éditions Les Petits Matins, octobre 2021

 

 

Ivan CHALEIL : « Licornes ou Licoornes : Quel monde pour demain? », Institut ISBL novembre 2021

Pierre LIRET : « Scic et CAE : des coopératives pour demain selon l’IGAS », Institut ISBL octobre 2021

Pierre LIRET, « Faire grandir l’ESS », Institut ISBL juin 2021

Pierre LIRET : « ESS, qui sommes-nous ? », Institut ISBL juillet 2020

Colas AMBLARD : « But non lucratif : un concept incontournable encore mal appréhendé par les associations », Institut ISBL juillet 2020

Rubrique de l’Institut ISBL   « A la rencontre de … » – L’économie sociale et solidaire, un autre rapport au travail : à la rencontre d’Arnaud Lacan.

Rubrique de l’Institut ISBL   « A la rencontre de … » – L’ESS doit aller plus loin dans ses convergences avec d’autres acteurs : interview de Thierry JEANTET par Camille DORIVAL

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