Le contentieux des parcs acrobatiques en hauteur est une nouvelle fois l’occasion, pour la Cour de cassation, de faire barrage aux tentatives des juges du fond qui veulent mettre une obligation de résultat à la charge des exploitants d’équipements sportifs. Il y voir sa volonté de maintenir le rôle de la victime comme critère de distinction des obligations de moyen et de résultat. Pourtant celui-ci fait problème dans les contrats où l’usager n’est pas totalement privé d’autonomie comme l’attestent les deux affaires récemment jugées par la 1 ère chambre civile.
Nouveaux venus sur la scène des loisirs sportifs, les parcours acrobatiques offrent au grand public un moment d’émotions fortes que lui procurent les déplacements d’arbre en arbre à plusieurs mètres du sol. Cette pratique ludique connaît un succès croissant mais n’est pas dépourvue de tout risque, comme le confirment deux récentes espèces où les victimes se sont blessées en heurtant violemment l’arbre d’arrivée au terme de la descente d’une tyrolienne. Bien que le scénario de l’accident ait été semblable dans les deux cas, la solution donnée par les juges du fond diffère.
Dans la première affaire, la Cour d’appel d’Aix en Provence déboute la victime en l’absence de preuve d’un comportement fautif de l’exploitant. Dans la seconde, la Cour de Bastia donne suite à sa demande de versement, en référé, d’une provision sans rechercher s’il y a eu faute de l’exploitant. L’explication de cette divergence de vue est simple. Pour la comprendre, il faut rappeler que l’obligation de sécurité est de moyen lorsque la victime a eu un rôle actif dans l’exécution de la prestation et de résultat lorsqu’elle n’y a pas contribué. L’intérêt de la distinction porte sur la charge de la preuve. Si l’obligation est de moyen, la victime doit établir le comportement fautif de l’exploitant. En revanche si l’obligation est de résultat, la responsabilité de l’exploitant est engagée du seul fait de la survenance de l’accident sans que la victime ait à rapporter la preuve d’une faute de sa part. Dans le premier cas, c’est une responsabilité pour faute prouvée et dans le second, une responsabilité sans faute.
Dans la première espèce, le juge a considéré que l’exploitant n’était tenu que par une obligation de sécurité de moyen, en raison de la participation active de l’utilisateur. Il a débouté la victime qui n’avait pu établir la preuve du comportement fautif de l’exploitant. Dans l’autre espèce, au contraire, il a estimé que celui-ci était responsable du seul fait de la survenance de l’accident, car son rôle a été passif puisqu’il « n’a fait que subir une trajectoire imposée par la consistance même de l’atelier acrobatique ». Obligation de sécurité de moyen et responsabilité pour faute prouvée dans un cas ; obligation de sécurité de résultat et responsabilité sans faute dans l’autre. La différence n’est pas neutre : l’obligation de moyen fait l’affaire de l’exploitant, puisque sa responsabilité ne peut être engagée que si la victime a rapporté la preuve d’une faute de sa part. L’obligation de résultat est, au contraire, tout bénéfice pour la victime qui fait l’économie de la charge de la preuve, puisque l’exploitant, privé de la possibilité de lui opposer l’absence de faute de sa part, n’a guère d’autre moyen d’exonération que la preuve d’une cause étrangère.
La différence des solutions données par les juges du fond dans ces deux espèces parfaitement similaires où l’un considère que la victime a eu un rôle actif, alors que l’autre ne lui reconnaît qu’un rôle passif, montre bien que le critère de distinction des obligations de moyen et de résultat ne convient pas aux contrats à autonomie limitée. Pourtant, la Cour de cassation le maintient en vie. Elle reproche à la Cour de Bastia, dans son arrêt du 8 octobre 2009, d’avoir retenu une obligation de résultat à la charge de l’exploitant alors que la victime avait bénéficié d’une initiation à un loisir qui impliquait une participation active de sa part. En revanche, dans celui 22 janvier 2009, elle approuve la Cour d’Aix en Provence qui a rejeté l’action en réparation exercée par la victime. Il est vraisemblable que si la Haute cour avait retenu le critère de la volonté des parties, la solution de ces deux espèces aurait été différente et la responsabilité sans faute l’aurait emporté (I). Toutefois, si elle refuse à la victime le bénéfice de l’obligation de résultat, la 1ère chambre civile abaisse, en contrepartie, le seuil de la faute par expansion de l’obligation de sécurité facilitant ainsi l’administration de la preuve d’une faute de l’exploitant (II).
I – Le rôle de la victime un critère discutable
Le critère du rôle de la victime est à mettre en relation avec celui de l’aléa de la prestation. Plus la prestation fournie est entourée d’aléas et moins son débiteur peut en promettre avec certitude l’exécution. C’est le cas des prestations d’activités sportives. Il est logique que l’organisateur, qui ne maîtrise pas le comportement de l’usager, soit assujetti à une obligation de moyen, comme l’a rappelé la Cour de cassation pour le moniteur de sports dans un arrêt de principe du 16 octobre 2001. En revanche, lorsque l’aléa est faible et les risques d’accidents résiduels, l’organisateur peut garantir à l’usager qu’il sera à l’abri du danger. C’est le cas du transporteur assujetti à une obligation de résultat parce qu’il maîtrise entièrement l’opération de transport dans laquelle le voyageur n’intervient à aucun moment. Toutefois, les choses se compliquent pour les contrats à autonomie limitée, c’est-à-dire ceux où l’usager n’est pas complètement passif. Les solutions sont alors plus hasardeuses. Tel est le cas du toboggan aquatique, du bob luge et de la tyrolienne descendante. L’usager d’un toboggan aquatique n’est pas vraiment libre du choix de sa trajectoire, puisqu’il glisse le long d’un tube. Toutefois, il n’est pas totalement passif, puisqu’il doit garder pendant la glissade une position correcte, éviter de se mettre en travers, voire de freiner dangereusement et de s’immobiliser avant l’arrivée dans le bassin de réception. De même, s’il dévale une pente, l’amateur de bob luge est équipé d’un frein lui permettant de réguler sa vitesse. L’utilisateur d’une tyrolienne glisse le long d’un câble, mais il est équipé de gants pour ralentir sa descente. Dans ce cas quelle obligation mettre à la charge de l’exploitant ? Obligation de résultat si on considère que la victime n’a pas la maîtrise de sa trajectoire. Obligation de moyen si on estime qu’elle peut réguler sa vitesse. La Cour de cassation a fait le choix de l’obligation de résultat pour les exploitants de toboggans et de bob luge. En revanche, elle applique l’obligation de moyen à l’exploitant de parc acrobatique. Pourtant, le degré d’autonomie de l’usager n’est pas différent dans les trois cas.
Pour d’autres équipements ludiques, la difficulté vient non pas la phase plus ou moins passive du contrat, mais du passage d’une séquence passive à une séquence active. C’est le cas du contrat de télésiège. Durant le transport, l’exploitant est tenu par une obligation de résultat et, dans les phases d’embarquement et de débarquement, par une obligation de moyen. Au moment du débarquement, on s’est demandé si la fin de l’obligation de résultat et le début de celle de moyen se situait au moment où l’usager relevait son garde corps ou bien celui où il quittait son siège. Après avoir appliqué l’obligation de moyen à la levée du garde-corps (Civ. 1, 10 mars 1998, Bull. civ. I, 1998, n° 110, p. 73), la Haute juridiction s’est ravisée et a décidé de maintenir l’obligation de résultat jusqu’au « moment où l’usager doit quitter le siège sur lequel il est installé » c’est-à-dire lorsqu’il atteint l’aire de débarquement (Civ. 1, 11 juin 2002, Bull. civ. I, 2002, n° 166 p. 127). Ce revirement prouve, une fois de plus, que le critère du rôle de la victime n’est pas pertinent.
Il devrait normalement correspondre à la volonté des parties qu’il a pour finalité de rechercher. Dans le cas d’utilisation d’équipements ludiques, on voit bien qu’il n’existe pas, dans l’esprit de l’usager, de risque particulier dès lors qu’il peut raisonnablement supposer que l’exploitant ne va pas mettre d’appareil défectueux ni dangereux à sa disposition. L’aléa est trop faible pour qu’il puisse accepter que l’exploitant ne soit tenu qu’à une obligation de moyen. Aussi, il serait préférable de substituer au critère du comportement celui de la volonté des parties. Dans ce cas, la solution aurait été celle de la Cour d’appel de Bastia qui avait mis une obligation de résultat à la charge de l’exploitant car il y a fort à parier que le client d’un parc acrobatique en hauteur n’accepte pas le risque d’accident. Cependant, si la Cour de cassation refuse d’appliquer une responsabilité sans faute à l’exploitant, elle compense en partie ce rejet par l’alourdissement de l’obligation de sécurité. En procédant par expansion de son contenu, elle allège la charge de la preuve d’une faute de l’exploitant.
II – L’expansion du contenu de l’obligation de sécurité de l’exploitant
Il existe deux moyens pour diminuer la charge de la preuve dans la responsabilité pour faute prouvée : les présomptions de faute et l’expansion du contenu de l’obligation de sécurité.
La présomption de faute offre l’avantage d’un renversement de la charge de la preuve. La victime se voit dispensée d’établir l’existence d’une faute et c’est au débiteur de l’obligation de sécurité de prouver qu’il n’en a pas commis. C’était précisément l’un des moyens du pourvoi de l’arrêt du 22 janvier 2009. La victime prétendait que l’exploitant aurait dû fournir la preuve que des consignes rappelant l’obligation de freiner pour les tyroliennes descendantes étaient remises à chaque participant et que, pour chaque atelier, un pictogramme leur indiquait la position à adopter. Selon son analyse, l’exploitant était présumé coupable d’un défaut de conseil qu’il lui appartenait de combattre en rapportant la preuve que l’usager avait bien été personnellement avisé de ces recommandations le jour même de l’accident. On trouve quelques applications de la présomption de faute dans les sports dangereux comme la plongée subaquatique. Mais ce moyen avait peu de chance de prospérer pour les parcours acrobatiques en hauteur qui n’entrent pas dans la catégorie des sports dangereux.
L’expansion du contenu de l’obligation de sécurité est la seconde technique utilisée par les juges pour faciliter la preuve d’une faute. C’est le cas lorsque l’activité s’adresse à des débutants incapables de prendre l’exacte mesure du danger. Il faut alors renforcer les mesures de précaution imposées à l’organisateur. En élargissant la liste des devoirs à sa charge on augmente ainsi les chances de la victime de pouvoir établir une défaillance de sa part. La victime, s’inspirant sans doute d’un arrêt de la Haute juridiction rendu à l’encontre de l’exploitant d’un karting (Civ. 1, 1 déc. 1999), prétendait dans son pourvoi que l’exploitant d’un parc acrobatique était tenu par une obligation de surveillance permanente. L’objection n’a pas été retenue pour la même raison que précédemment : Les parcours d’aventure n’exposent pas les participants à des risques assez sérieux pour justifier une surveillance constante des utilisateurs. En revanche, si la Cour de cassation ne le mentionne pas explicitement, tout laisse à penser que l’obligation de moyen de l’exploitant d’un parc acrobatique n’est pas ordinaire. Sans pouvoir être qualifiée de dangereuse, la progression dans un parc d’aventure présente néanmoins certains risques, comme celui de chute dès lors que les participants ne sont pas des sportifs aguerris, mais plutôt des débutants dont le mobile n’est pas l’initiation à l’activité, mais le simple plaisir de la découvrir et de se procurer quelques sensations fortes. Si la Haute juridiction approuve la Cour d’appel d’Aix en Provence dans son arrêt du 22 janvier 2009, c’est bien parce que l’exploitant du parc a pris toutes les mesures de précautions requises pour ce type d’activité s’adressant au grand public : initiation préalable et rappel des règles de sécurité à observer ; équipement de protection ; surveillance du parcours par un nombre suffisant de moniteurs diplômés ; parcours adapté au niveau des participants.
En définitive, en élargissant le périmètre de l’obligation de sécurité, la Cour de cassation abaisse le seuil de la faute. La victime peut donc, plus facilement, engager la responsabilité de l’exploitant ce qui aurait été le cas en l’occurrence si aucune initiation préalable n’avait été organisée. Mais c’est au prix d’une certaine insécurité juridique car la solution va dépendre des circonstances de l’espèce laissées à l’appréciation du juge.
Jean Pierre Vial, Inspecteur Jeunesse et Sports