Les musées publics se tournent de plus en plus vers le mécénat d’entreprise pour compenser la baisse des subventions publiques. Une participation qui n’est pas du goût de tout le monde, et qui soulève des enjeux majeurs quant à l’indépendance de ces institutions…
Depuis de nombreuses années, le financement de l’art, en particulier des institutions publiques, est vecteur d’inquiétudes. La Museum Association rapporte que, d’ici 2016, les musées nationaux d’Angleterre pourraient subir une baisse de 30 à 49 % de leurs financements publics, après les coupes budgétaires déjà opérées ces dernières années. La croissance de la fréquentation des musées et le dynamisme du marché de l’art ne semblent pas avoir permis aux institutions publiques de s’assurer une relative autonomie financière, les conduisant à multiplier les partenariats.
Les gains du mécénat pour les entreprises
En 1985, le New York Times titrait : « Le monde de l’art glisse subtilement vers le mécénat d’entreprise ». Aujourd’hui, rares sont les institutions publiques fonctionnant sans le soutien d’une ou plusieurs entreprises. Mais pourquoi les entreprises souhaitent-elles autant investir dans ces activités hors de prix ? La réponse est plutôt simple – les musées publics conservent une image prestigieuse au regard du grand public, et pour certaines entreprises dont l’image n’est pas très « clean », le fait de s’associer avec ces institutions fait oublier, jusqu’à un certain degré, les connotations négatives liées à leurs pratiques. Arts & Business – un service qui vise à unir les compagnies, les communautés et les individus aux organisations culturelles – précise que ce genre de sponsoring de la part des entreprises « va de pair avec une bonne publicité ». Le résultat est une promotion dont le rapport coût-efficacité est avantageux pour le sponsor.
Des éthiques contradictoires
À l’inverse, pourquoi les sponsors des entreprises posent-ils autant de problèmes aux foires, aux musées et aux programmes qui valorisent les supports financiers de façon considérable ? Tout commence avec les questions éthiques qui sont posées par ces opérations visant à améliorer l’image des entreprises concernées. Un certain nombre de groupes d’activistes sont apparus ces dernières années, faisant du lobbying pour la séparation des musées avec ces sponsors dont les principes et les valeurs sont contestables, comme les sociétés pétrolières, les compagnies de tabac et les entreprises d’exploitation minière. Liberate Tate est un des groupes activistes les plus connus, faisant campagne contre le sponsoring de BP pour la Tate. Leur lettre ouverte à Nicholas Serota, Directeur de la Tate, précise :« Il y a une contradiction dans le fait que la Tate soit engagée dans des actions pour l’environnement et s’associe en même temps à une compagnie qui nous mène vers un futur catastrophique et renvoie à un modèle énergétique obsolète. »
Ce n’est pas seulement les lobbyistes extérieurs que les acteurs du monde de l’art doivent craindre, les artistes exposant dans ces institutions étant aussi connus pour faire entendre leur voix quand un conflit d’intérêts s’installe. Parmi les exemples récents, le sponsoring d’Israël lors de la Biennale de São Paulo 2014, a mené à la suppression des fonds suivie d’un boycott de 61 artistes. Leur raisonnement pour s’opposer au sponsoring de l’art est très proche de celui tenu par les activistes pour la Tate et BP :« Nous, artistes et participants de la 31e Biennale de São Paulo, refusons de supporter la banalisation de l’occupation actuelle d’Israël par les Palestiniens. Nous pensons que l’état des fonds culturels israéliens contribue directement à maintenir, défendre et blanchir leur violation de la loi internationale et des droits de l’homme. »
Cette année, la Biennale de Sydney connaît des conséquences bien plus graves avec un mouvement de boycott contre son sponsoring par Transfield Holdings – une compagnie qui travaille notamment pour un centre de rétention pour les immigrés clandestins. Le directeur de Transfield, Luca Belgiorno-Nettis, a quitté son poste suite à la fin du partenariat avec la biennale, ouvrant un tout nouveau débat sur la véritable signification du sponsoring. Après ce coup réussi par les militants, le ministre australien en charge de l’art, George Brandis, a exprimé sa désapprobation du boycott :« Vous comprendrez facilement que les gens qui payent des taxes se disent : si la Biennale de Sydney n’a pas besoin de l’argent de Transfield, pourquoi nous demander le nôtre ? », jugeant nommant la décision de s’éloigner de Transfield comme « déraisonnable ».
Après l’événement, le ministre a menacé les organisations artistiques à travers politique de pénalisation lourde pour ceux qui rejetteraient les fonds non-gouvernementaux sans justification valable. Interrogé sur les sponsorings d’entreprises de tabac sur l’antenne d’ABC Radio, le ministre a été plus loin, déclarant :« Je ne pense pas que les professionnels de l’art devraient rejeter les sponsorings sérieux de la part de partenaires commerciaux pour des raisons politiques. »
Une relation dictatoriale
Le débat autour de ces problèmes de sponsoring est de plus en plus étendu, les protestataires mettant d’une part en avant les contradictions éthiques qu’impliquent ces partenariats, mais clamant également que l’implication de certaines entreprises dans l’art change de façon fondamentale ces institutions. Le journaliste du Guardian Robert Newman considère quant à lui que nos musées nationaux « sont faits pour être dédiés à nous, qui sommes des citoyens au sein d’une démocratie. Ils sont les cathédrales de la démocratie. Les entreprises ne sont pas des institutions démocratiques. Elles sont de vastes blocs de pouvoir privé centralisé et plus elles prennent de la place dans la vie publique, plus elles déshumanisent la façon dont nous nous parlons et dont nous envisageons notre place dans le monde. »
Il continue, affirmant que « l’art est notre manière de contourner une vision de domination des entreprises ». Un des problèmes inhérents à ces partenariats est la peur des musées les conduisant à s’engager eux-mêmes dans une autocensure pour garantir les fonds de leurs expositions. Aucun musée n’admettra clairement qu’il « taille » ses expositions en fonction des demandes de ses sponsors. Il est effectivement probable que de trouver des financements pour des paysages impressionnistes soit plus facile que pour une rétrospective des frères Chapman, si on considère que le consensus général est que les entreprises investissent dans ces expositions pour s’offrir une image plus acceptable plutôt que de créer une controverse. C’est là où se situe le problème ; les institutions artistiques sont supposées être les lieux de discussions culturelles et si elles acceptent le soutien de la première entreprise venue, comme le souhaite monsieur Brandis, et tentent de séduire les sponsors avec des programmes taillés pour leur plaire, alors le dialogue est complètement vain. Ce problème s’étend au-delà des musées, et, à ce sujet, dans un article récemment publié sur artnet l’artiste Cara Benedetto explique : « Les artistes s’impliquent dans ces relations avec les entreprises et les collectionneurs et les galeries qui altèrent ce que nous faisons, » ajoutant que les artistes ne créent pas pour plaire aux sponsors, ni pour un travail filtré par les musées et les galeries.
La fiabilité des alternatives possibles
Il faut néanmoins être conscient qu’il est facile de critiquer ce système, qui, est au final un système qui fonctionne pour les deux parties. Liberate Tate cite de nombreuses personnalités qui sont favorables à c
es sponsoring, et critique ces opinions, mais il convient de prendre en compte ce que déclare Nicholas Serota, à savoir qu’il n’existe pas d’argent « propre ». Si considérer que recevoir les fonds du gouvernement est une option préférable, il faut accepter le fait que la politique du gouvernement serait plus éthique que celle des entreprises, ce qui n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, le musicien Nick Rhodes déclare : « Je préfère que l’argent soit entre les mains des acteurs de l’art plutôt que dans celles des compagnies pétrolières. Donc quoiqu’ils veuillent donner, prenez-le. » Ce qui soulève un point intéressant : avec la pression exercée sur les grosses entreprises pour rendre à la communauté globale, l’art est certainement une forme d’investissement intéressante. Par exemple, si BP donnait à des œuvres caritatives pour la protection de l’enfance, ils voudraient redorer leur image de la même manière qu’ils le font en donnant à l’art, mais ils recevraient probablement moins de critiques. Pourquoi ne pas accepter de contribution sociale de la part de ces entreprises et trouver des moyens différents de se rassembler contre leurs pratiques immorales ? Pour boucler la boucle il faut noter que les revendications de groupes comme Liberate Tate ne sont pas liées aux financements dont bénéficient les musées, mais plus à la censure qui découle de la relation entre les institutions et leurs sponsors les plus controversés. Liberate Tate affirme que la Tate entrave la mise en place d’une discussion ouverte sur le sujet et a estime que la quantité d’argent versée par BP représente une part négligeable du budget global de la Tate. Le collectif a affirmé à AMA : « Nous suspectons que BP ne donne pas tant d’argent que supposé et que la Tate pourrait assez facilement ajuster son budget ou trouver des sponsors alternatifs,» justifiant ainsi les accusations d’une pratique immorale, BP feignant une contribution sociale au nom de cette collaboration.
De plus, avant de renoncer aux financements sur les plans moral et politique, nous devrions être capable de suggérer des alternatives pour récolter des fonds, s’inspirant potentiellement de l’annonce récente d’Art Basel d’utiliser la plateforme de financement participatif Kickstarter – Art Basel étant une organisation sponsorisée par l’entreprise de tabac Davidoff. Il est néanmoins clair que le financement communautaire ne peut pas être une option viable pour les institutions publiques à travers le monde, subissant déjà des critiques déclarant que ces types d’institutions peuvent seulement attirer le même genre de mécènes que ceux qui investissent déjà dans l’art. Revenant à Nicholas Serota qui clame qu’il n’existe pas d’argent propre, Will Gompertz de la BBC explique qu’ « il n’y a pas d’argent libre dans l’art, il y a toujours des contreparties. Le gouvernement veut un retour sur investissement, les philanthropes ont besoin de beaucoup de vin et de bons repas et les entreprises ont des objectifs à atteindre. » Il semble que le moyen le plus éthique pour les musées d’aller de l’avant est d’être plus sélectifs dans leur choix de sponsors, d’accepter des financements d’entreprises dont la mission est en accord avec la leur. Malgré tout, dans cette période où le financement des musées reste une question centrale, refuser certains sponsors, quels qu’ils soient, semble, aujourd’hui, être une option non envisageable pour les institutions artistiques.
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