Des attaques contre l’ESS

Les prises de position constantes en opposition à l’économie sociale et solidaire de la part de certains élus ne sont pas nouvelles, mais elles s’amplifient. Dans le contexte français, cela peut aller d’une proposition de députés LR de supprimer ESS France ou une affirmation de financements totalement inventés jusqu’à des suppressions de subventions en direction d’associations (et particulièrement culturelles) de la part de président.e. de Conseil régional (Pays de Loire, par exemple) ou de maire de certaines villes (Noyon par exemple). Nous avons déjà eu l’occasion de le dire et de nous inquiéter de cette dérive libérale qui veut éradiquer un pan entier de ce qui nous permet de faire société : le monde associatif.

 

Les associations en danger

Les associations sont fondamentalement, intrinsèquement des structures qui, par leur activité, répondent aux besoins de la population. A la fois actrices de lien social, de développement territorial, porteuses de l’intérêt général et fortement impliquées dans les missions de service public, elles devraient être des partenaires des pouvoirs publics. Mais, au fil du temps, la relation s’est modifiée et les financements publics destinés à reconnaître ce que sont les associations et ce qu’elles font se sont transformés en moyens de contraindre les associations à remplir ce que veulent les élus, au risque de se retrouver en cessation d’activité entrainant une perte de réponse aux besoins des populations. Et, nous l’avons déjà souligné, le Contrat d’Engagement Républicain est, dans ce contexte, une pression supplémentaire pour rendre les associations plus « obéissantes » à ce que veulent les élus.

Et, en ce début d’année 2025, la situation s’est encore plus tendue en raison d’un environnement politique de plus en plus défavorable à tout ce qui touche à la solidarité, aux actions communes, à l’engagement citoyen. Car le sens même de ce que sont les associations est dénié. Elles ne sont plus reconnues que pour ce qu’elles font, en commande des pouvoirs publics. Si elles souhaitent développer leurs activités pour défendre les valeurs qui sont les leurs, elles doivent faire appel à d’autres sources de financement (entreprises privées et mécénat, les rendant ainsi dépendantes des orientations définies par les possesseurs des capitaux) ou auprès de leurs adhérents, augmentant ainsi la contribution qui est demandée, avec le risque de procéder à une sélection par l’argent (ne peuvent bénéficier de l’association que ceux qui peuvent payer !).

 

La poursuite d’une destruction organisée

Rien de nouveau sous le soleil me direz-vous ! Sans doute, mais il y a un accroissement à la fois de la baisse des financements et de la dépendance aux pouvoirs publics. Les travaux de Lionel Prouteau et Vivianne Tchernonog sont éclairants à ce propos : alors qu’en 2005, les associations étaient financées à hauteur de 34% de subventions publiques, elles le sont à hauteur de 20% quinze ans plus tard. Les contrats aidés sont souvent considérés comme des variables d’ajustement avec une politique du « stop and go » qui rend aléatoire l’insertion des personnes concernées dans des parcours vers l’emploi ou d’insertion dans un premier emploi.

Aujourd’hui, ce qui prévaut est la commande publique qui représentait, en 2005, 17% du financement des associations pour être de 29% en 2020. Cette question se pose particulièrement pour les 10% de structures employeuses, or, comme le souligne Vivianne Tchernonog du centre d’économie de la Sorbonne, elles n’arrivent pas toutes à répondre aux appels d’offre et aux marchés publics : « En réalité, quand on parle de baisse des subventions, on parle des petits et moyens employeurs, qui n’ont pas la taille suffisante ni les ressources humaines nécessaires pour bénéficier des commandes publiques, des appels d’offres » (…) « Et donc ces associations n’ont pas d’autres marges de manœuvre que de demander aux usagers de participer davantage, ce qui a bien sûr une limite. Et elles sont, on l’observe à chaque étude, en train de mourir, car elles n’ont plus d’autre forme de financements. »

Le CESE (Conseil économique, social et environnemental), dans son rapport « Renforcer le financement des associations : une urgence démocratique[1]https://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_2024_09_financement_associations_v1.pdf, souligne la menace qui pèse sur une grande partie des associations et regrette la contrainte que subissent certaines d’entre-elles qui survivent, obligées de s’adapter à des appels à projet verrouillés, au lieu d’expérimenter de nouvelles manières de faire. C’est pourtant cette capacité d’adaptation et de proposition, qui est au cœur de ce que sont les associations. S’en priver, c’est perdre une capacité de progression d’innovation dans les territoires, c’est occulter de nouvelles pistes de réponses aux besoins en constante évolution des populations.

 

Une étude éclairante

Face à ces restrictions, le Mouvement associatif, le Réseau National des Maisons des Associations (RNMA)[2]





Le Réseau national des Maisons des associations (RNMA) soutient le développement des structures locales d’aide à la vie associative sur l’ensemble du territoire
et Hexopée[3]Hexopée, anciennement CNEA (Conseil National des Employeurs d’Avenir) est un syndicat d’employeurs de l’Économie Sociale et Solidaire représentatif dans les secteurs de l’animation, … Continue reading ont mandaté l’Observatoire Régional de la Vie Associative (ORVA) des Hauts- de-France pour réaliser une étude visant à évaluer l’impact des baisses de financement annoncées sur le secteur associatif.

Cette étude est éclairante et le communiqué de presse donne un ensemble de constats très inquiétants pour l’avenir du monde associatif[4]https://lemouvementassociatif.org/wp- content/uploads/2025/04/LMA_CP_enquete_sante_financiere_des_assos_09042025.pdf.
Quelques chiffres sont édifiants sur la situation du secteur associatif :

  • 22 % des associations non employeuses vont jusqu’à annuler certaines de leurs actions,
  • Près de 15 % des associations augmentent la participation financière de leurs usagers, alors que le modèle associatif vise à rester accessible à tous, y compris aux publics non solvables,
  • 18 % ne remplacent pas les départs de salarié⸱e⸱s,
  • 16 % annulent ou retardent leurs recrutements,
  • 8 % mettent en place un plan de sauvegarde de l’emploi ou procèdent à des licenciements économiques,
  • 7 % ne remplacent pas les départs temporaires,
  • Seul un quart des associations excluent, pour l’instant, toute réduction de leur masse salariale. Pourtant, le secteur associatif représente 1,8 millions de salarié⸱e⸱s répartis dans 144 000 structures !

Claire Thoury, sur la radio RTL (13 avril 2025) donnait quelques détails sur les résultats de cette étude et sur les conséquences pour les associations, mais au-delà, sur l’ensemble de l’activité d’intérêt général et sur la mise en place de missions de service public :

  • « 18% des associations ne remplacent par les départs de salariés, 16% annulent ou retardent leur recrutement »,
  • Il s’agit « d’une baisse structurelle de la part des subventions dans le budget des associations depuis 20 ans »(…) « des pouvoirs publics ne subventionnent plus, mais font appel à des marchés publics. C’est extrêmement complexe, hyper technique, ça met en concurrence les acteurs associatifs entre eux et avec d’autres »(…) « cette situation est délétère durablement« .
  • La subvention « reste un outil discrétionnaire » : « Certains interlocuteurs politiques considèrent que certaines associations n’ont pas à être financées pour des raisons plus ou moins nobles. » Évoquant enfin « une accumulation de crises : crise sanitaire, inflationniste, budgétaire avec un budget 2025extrêmement difficile, des collectivités territoriales impactées », elle affirme que « 45% des associations déclarent que les subventions ont diminué cette année, ce qui est considérable. »

Le communiqué de presse propose 7 mesures fortes de soutien aux associations pour qu’elles continuent à remplir leur rôle :

  1. Simplifier les démarches bancaires des associations avec des outils adaptés à leurs modèles
  2. Renforcer les acteurs de l’accompagnement qui interviennent auprès des associations
  3. Fournir des données précises sur les baisses de financement au monde associatif en cours dans les collectivités territoriales
  4. Donner davantage de visibilité financière aux associations – Sortir des logiques de commande publique quand ce n’est pas nécessaire en privilégiant la subvention – accorder des subventions de fonctionnements aux associations – privilégier la pluri-annualité pour permettre aux associations de se projeter et de pérenniser les emplois – respecter le délai de versement de la subvention fixé à 60 jours dans la loi
  5. Développer les outils d’une gouvernance mixte du financement des  associations à l’échelle nationale et locale
  6. Renforcer les financements pour le monde associatif lors du prochain projet de loi de finance notamment du Fond de Développement de la Vie Associative en augmentant la part des comptes bancaires inactifs à 60%
  7. Adopter une fiscalité davantage favorable aux associations – supprimer la taxe sur les salaires pour renforcer l’emploi pour les associations – permettre des crédits d’impôts pour les dons aux associations ainsi que pour les bénévoles qui engagent des frais – extraire les associations de la réforme de la TVA proposant un abaissement du seuil de franchise qui prendra effet au 1er juin

L’alerte sur la survie de associations et ce qu’elles représentent tant dans les structures de l’économie sociale et solidaire (80% des entreprises de l’ESS sont des associations) que dans les activités dans les territoires, doit être entendue de tous. Une mobilisation de plus en plus forte doit avoir lieu pour que la richesse du tissu associatif ne soit pas remise en question par des pouvoirs publics qui, après s’être déchargés de certaines de leurs missions, ne donnent plus les moyens de les mener à bien.

La cohésion de nos territoires et de notre pays passe aussi par le soutien au monde associatif. Cela demande une mobilisation de tous.

 

 

Jean-Louis CABRESPINES, ancien membre du CESE Délégué général du CIRIEC-France

 

 

 

En savoir plus : 

Cet article a fait l’objet d’une publication dans La Lettre mensuelle du CIRIEC-France (mai 2025)

References

References
1 https://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_2024_09_financement_associations_v1.pdf
2

Le Réseau national des Maisons des associations (RNMA) soutient le développement des structures locales d’aide à la vie associative sur l’ensemble du territoire

3 Hexopée, anciennement CNEA (Conseil National des Employeurs d’Avenir) est un syndicat d’employeurs de l’Économie Sociale et Solidaire représentatif dans les secteurs de l’animation, du sport, du tourisme social et familial, et des foyers et services pour les jeunes travailleurs
4 https://lemouvementassociatif.org/wp- content/uploads/2025/04/LMA_CP_enquete_sante_financiere_des_assos_09042025.pdf





© 2025 Institut ISBL |  Tous droits réservés   |   Mentions légales   |   Politique de confidentialité

Vous connecter avec vos identifiants

Vous avez oublié vos informations ?