L’arrêt de rejet n°16-18681 rendu le 22 juin 2017 par la 1re chambre civile de la Cour de cassation contre un pourvoi formé par la victime d’un accident survenu dans une salle de musculation n’est pas de ceux qui forcent l’attention. Pourtant, il fera l’affaire des exploitants qui mettent à la disposition de leur clientèle des matériels en libre service. Ils retiendront d’abord que cette pratique n’est pas bannie par les juges. Ils auront ensuite la confirmation que la charge de la preuve d’un matériel défectueux incombe bien à la victime, contrairement à ce que soutenait l’auteur du pourvoi pour qui tout dommage corporel survenu lors de l’utilisation d’une machine fait présumer la faute du club.  

1-Le client d’une salle de remise en forme est blessé par un portique muni de charges à ses extrémités qui lui est tombé sur la tête. Il met en cause l’exploitant au motif de défectuosité de l’appareil et d’insuffisance de l’encadrement. Sa demande de réparation est rejetée, la cour d’appel ayant estimé que les témoignages produits n’étaient pas suffisants pour établir les circonstances de l’accident et notamment qu’il n’était pas prouvé que l’appareil employé par lui aurait été défectueux ou aurait dû être fixé au sol. Le pourvoi formé contre cet arrêt est à son tour rejeté.

2-On retiendra, de prime abord, que cet arrêt illustre bien le problème posé aux victimes d’un dommage survenu dans le cadre de l’exécution d’un contrat de service sportif. L’exploitant n’ayant, par principe, à sa charge qu’une obligation de sécurité de moyens[1], la mise en jeu de sa responsabilité est subordonnée à l’existence d’une faute de sa part dont la preuve incombe à la victime. Aussi, il suffit que les circonstances de l’accident soient indéterminées, comme c’était le cas en l’espèce, pour que sa demande de réparation soit rejetée en raison de son impuissance à administrer la preuve d’un manquement de l’exploitant à son obligation de sécurité.

3-Les victimes d’accidents corporels provoqués par le fait d’une chose dans un cadre contractuel ont pu un moment espérer sortir de cette impasse, avec « l’arrêt des cerceaux ». En l’occurrence, la Cour de cassation avait admis que le débiteur d’une obligation de sécurité était responsable  non seulement des dommages causés par sa faute « mais encore par le fait des choses qu’il met en œuvre pour l’exécution de son obligation contractuelle[2] ». Cet arrêt représentait un réel progrès pour les créanciers de l’obligation de sécurité dans la mesure où il les affranchissait du fardeau de la preuve d’une faute dès l’instant où un dommage avait été causé par l’intervention d’une chose dans l’exécution du contrat. Mais ce moyen n’avait guère de chance d’aboutir dans la présente espèce dès lors que la Cour de cassation n’a jamais confirmé cette jurisprudence passée aux oubliettes.

4-Les auteurs du pourvoi n’auraient pas eu plus de réussite s’ils s’étaient prévalus d’un récent arrêt de la Cour de cassation ayant admis que le contrat formé entre la personne qui participe à un stage de parapente et le professionnel qui l’organise met à la charge de celui-ci une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne le matériel utilisé pour exécuter sa prestation[3]. En effet, pour que l’action aboutisse, il aurait fallu établir que l’appareil avait été le fait générateur du dommage. Or la victime n’était pas parvenue à administrer la preuve qu’elle utilisait le même appareil au moment de l’accident que celui qu’elle incriminait, ni que cet appareil était défectueux ou aurait dû être fixé au sol[4].

5-L’auteur du pourvoi s’était engagé dans une autre voie en reprenant mot pour mot, les motifs d’un arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2011censurant une cour d’appel ayant estimé que le moniteur d’escalade n’est pas tenu à une obligation de sécurité lorsque la personne exerce librement l’activité dans une salle et sur un mur mis à la disposition de tous les sportifs membres du club [5]. En l’occurrence la cour d’appel n’avait relevé aucun manquement du club à son obligation de surveillance et d’information et avait même observé que les deux grimpeurs qui pratiquaient l’escalade libre avaient décliné la formation qui leur était proposée. Pourtant, la Haute juridiction avait affirmé dans une déclaration de principe « que le club sportif est tenu d’une obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence envers les sportifs exerçant une activité dans ses locaux et sur des installations mises à leur disposition, quand bien même ceux-ci pratiquent librement cette activité ». Le professeur Jourdain s’était alors demandé quelle autre faute pourrait être reprochée au club de sport et en avait déduit « qu’en dépit des termes de l’arrêt, la seule atteinte à la sécurité des pratiquants pouvait suffire à établir ou au moins à présumer la faute[6] ». C’est précisément cette idée que reprend le pourvoi en soutenant « que la seule atteinte à la sécurité des pratiquants lors de l’utilisation d’une machine fait présumer la défaillance du club dans la mise en oeuvre de son obligation et qu’il lui appartient de prouver qu’il n’a commis aucune faute ». En somme, pour l’auteur du pourvoi toute   atteinte à la sécurité des pratiquants lors de l’utilisation d’une machine serait génératrice d’une présomption de faute à la charge de l’exploitant. Présomption qui aurait pour effet de renverser la charge de la preuve puisqu’il appartiendrait au club de prouver qu’il n’a commis aucune faute. Si la Cour de cassation admet que l’obligation de moyens soit appréciée avec plus de rigueur pour les sports dangereux, elle ne met pas pour autant une obligation de moyens renforcée à la charge du débiteur[7]. Aussi cette voie devait-elle aboutir à une impasse, d’autant plus que l’utilisation d’appareils de musculation n’est pas considérée comme un sport dangereux par la Haute juridiction qui ne fait pas reproche à l’exploitant de laisser ses clients pratiquer sans encadrement des appareils de musculation.

6-Pour autant, il ne faudrait pas déduire de cet arrêt que l’obligation de sécurité de l’exploitant se réduit à la mise à disposition d’appareils en bon état de marche. Il est d’abord astreint à une obligation d’information sur l’emploi des appareils. Ensuite, il doit s’assurer que les participants ont l’aptitude à les utiliser sans danger. La Cour de cassation y fait indirectement allusion en précisant que la victime « fréquentait le club depuis mars 2006 » soit depuis près de deux ans et « ne prétendait pas avoir ignoré les modalités d’utilisation de l’appareil sur lequel elle s’entraînait ». En somme, la connaissance qu’elle avait de l’appareil incriminé laissait supposer qu’elle en maitrisait suffisamment l’utilisation pour s’en servir sans risque d’accident. Il n’y avait donc pas faute de la part de l’exploitant à l’avoir laissée opérer sans encadrement. En revanche, il est vraisemblable que la solution du procès aurait été toute autre si la victime avait été un nouvel arrivant.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit

Jean Pierre Vial est l’auteur d’un guide de la responsabilité des organisateurs d’accueils collectifs de mineurs, d’un guide de la responsabilité des exploitants de piscines et baignades, d’un traité sur la responsabilité des organisateurs sportifs et d’un ouvrage sur le risque pénal dans le sport.

 

 

Jean-Pierre Vial





Notes:

[1] L’obligation de sécurité de résultat n’intervient que dans les rares cas où le sportif n’a qu’un rôle passif dans l’exécution du contrat, comme cela a été jugé pour le saut à l’élastique (notre commentaire), pour une collision en cours de descente d’un toboggan aquatique (Civ. 1, 28 oct. 1991, n° 90-14713) ; pour un accident survenu dans un manège d’auto tamponneuses (Civ. 1, 28 avr. 1969,) une chute dans la phase de transport d’un télésiège (Civ. 1, 10 mars 1998, n° 96-12141. Bull. civ. I, n°110) ou au cours d’un vol en parapente (Civ. 1, 21 oct. 1997, n° 95-18558. Bull. civ. I, n° 287, p.193).

[2] Civ. 1, 17 janv. 1995, n° 93-13075. Bull civ. I, n° 43, p. 29 D. 1995, jurispr. p. 350, note P. Jourdain. JCP G 1995, 1, 3853, n° 9 à 14, obs. G. Viney. Resp. civ. et assur. 1995, n° 16, note H. Groutel « la spécificité de la responsabilité contractuelle du fait des choses ». D. 1996, chron. p. 164, F. Leduc (en l’espèce, l’élève d’un établissement scolaire avait été blessé par la dislocation d’un cerceau au cours d’un exercice de psychomotricité).

[3] Civ 1, 11 janv. 2017, n° 15-24696 .

[4] En revanche, dans l’accident de parapente la cour d’appel avait relevé que la radio attribuée au parapentiste avait connu une panne inexpliquée lors du vol en solo du parapentiste.

[5] N° 10-23528 et 10-24545.

[6] RTD Civ. 2012 p. 121.

[7] A l’exception du contrat de prise en pension d’un animal (Civ. 1, 10 janv. 1990, n° 87-20231. Bull. Civ. I, n° 6, p. 5).

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