L’exigence de surveillance continue des bassins d’une piscine, y compris à l’heure de fermeture est d’une importance capitale. Pour ne pas l’avoir appliquée, un enfant est mort de noyade. A cet égard, le jugement rendu le 6 octobre 2017 par le tribunal correctionnel d’Angers condamnant pour homicide involontaire la régie exploitant la piscine est digne d’intérêt par les conséquences dramatiques de l’application d’une note interne de la direction aboutissant à l’abandon de la surveillance des bassins lors de l’évacuation des lieux par les usagers.
1-Le 9 août 2012, à 19h45, les personnels de surveillance de la piscine sont alertés par deux femmes qui signalent la disparition d’un enfant de 2 ans. Les recherches immédiatement entreprises aboutissent à la découverte du corps inanimé du malheureux gisant dans le bassin extérieur. L’enquête révèle que l’accident est survenu au moment où les Maîtres Nageurs Sauveurs (MNS) faisaient évacuer les usagers situés dans la partie ludique extérieure de l’établissement. Le tribunal correctionnel observant que la noyade était la conséquence d’un défaut de surveillance continue du bassin extérieur imputable à l’application d’une note de service validée par la direction, condamne la régie exploitant l’établissement à une amende de 10.000 euros et décide d’un partage de responsabilité avec la mère sur le terrain des réparations civiles.
2-S’il est bien connu que l’attention des MNS a tendance à se relâcher en fin de journée après la forte concentration qu’impose l’exigence d’une surveillance constante et vigilante, un autre danger encore plus redoutable menace également les usagers. Il s’agit des modalités d’évacuation des bassins et des zones alentours après l’annonce de la fermeture de l’établissement. Il y a un risque d’interruption de la surveillance des personnels quittant prématurément le bassin ou procédant au rangement du matériel sans attendre que le dernier usager ait quitté les lieux. Y sont particulièrement exposés les enfants en bas âge, public vulnérable par excellence, car naturellement curieux et habituellement non-nageur. Ainsi des enfants d’écoles élémentaires se sont noyés en regagnant les bassins, que les MNS avaient prématurément désertés, après avoir échappé à la surveillance de leurs instituteurs[1]. Les circonstances de la présente noyade sont voisines. Le drame est survenu après que les maîtres nageurs aient cessé d’exercer la surveillance du bassin extérieur pour faire évacuer les usagers des espaces extérieurs de l’établissement. Ce comportement est la conséquence de consignes contradictoires ayant trait à la fermeture de l’établissement. Elles avaient été consignées dans la note de service du directeur et dans un document rédigé par un chef de bassin qui ont été annexés au POSS. Par une ironie du sort ces consignes avaient pour but de prévenir les circonstances de la noyade de la piscine des Herbiers où un enfant avait trouvé la mort. En l’occurrence, les maîtres nageurs avaient fait une mauvaise application du POSS relatif au changement de poste. Celui-ci prévoyait qu’ils assuraient alternativement des fonctions de surveillant avec un polo blanc et d’éducateur avec un polo bleu. Le changement de maillot devait s’effectuer autour des bassins au moment du changement de groupe scolaire. Or, à ce moment là, les deux maîtres nageurs de surveillance, sans attendre d’être relevés par leurs collègues, s’étaient rendus dans leur local où ils les avaient rejoints pour changer de tee-shirt, de sorte que le bassin avait été laissé sans surveillance pendant ce laps de temps évalué à 5 minutes (voir notre commentaire du 29 mai 2013). Pour éviter la réitération d’un tel drame, le directeur de la piscine de Cholet avait cru bon de rappeler à ses agents les prescriptions du POSS et notamment de porter une attention particulière aux articles qui imposent aux MNS « une surveillance active, constante et exclusive ». L’enquête administrative de la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) a révélé qu’avait été joint à cette note un document préparé par un chef de bassin et validé par le directeur de l’établissement précisant « de ne pas ranger le matériel avant l’évacuation » et pour l’extérieur « d’inviter les clients à se diriger vers l’intérieur 5 minutes avant l’évacuation et commencer à ranger à ce moment ». Contradictoires ou tout au moins susceptibles d’interprétations divergentes, comme le relève le jugement, ces consignes avaient été mal comprises, comme l’attestent des pratiques différentes entre MNS au sein de cet établissement. Pour les uns le rangement du matériel ne débutait qu’à compter du moment où les usagers avaient regagné l’intérieur du bâtiment. Pour les autres, il pouvait commencer dès que les bassins étaient évacués, ce qui n’excluait pas la présence d’usagers aux alentours. Cette seconde modalité d’organisation, en contradiction avec l’obligation de surveillance constante prescrite par le POSS, avait été appliquée le jour de l’accident par une partie des MNS. Les auditions révèlent que ceux affectés à la surveillance du bassin extérieur avaient abandonné leur poste fixe pour notifier aux derniers usagers encore présents hors des bassins la fermeture de l’établissement et rejoint leurs collègues occupés à ranger le matériel, ce qui avait entrainé une rupture dans la continuité de la surveillance de cette zone. Or c’est précisément pendant ce laps de temps que l’enfant s’est noyé.
3-On retiendra, tout d’abord, que les poursuites ont été uniquement dirigées contre la société exploitant l’établissement, à l’exclusion de son personnel et spécialement de son directeur ayant validé la note litigieuse. Pourtant l’article 121-2 du Code pénal qui prévoit la responsabilité pénale des personnes morales, « n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ». Les deux responsabilités peuvent coexister. Aussi, l’absence de poursuites à l’encontre du directeur mérite qu’on s’y arrête. Elle s’explique, à notre avis, par une double raison. D’abord, la faute reprochée est moins la manifestation d’un laisser aller dans l’exercice de la surveillance, d’un désintérêt coupable pour la sécurité des usagers qu’un défaut de vérification de la cohérence des consignes données. On a un exemple voisin de défaillance dans l’organisation de la surveillance avec la noyade d’un jeune handicapé au cours d’une sortie organisée par son IME avec le concours du comité départemental du sport adapté (TC Poitiersch. corr., 28 sept. 2017. Juris Associations, 15 mai 2018, p.35 note J-P. Vial). En l’espèce, outre le manque de professionnalisme des éducateurs qui assuraient la surveillance du bassin, (aucun d’entre eux n’a vu l’enfant se diriger vers le grand bassin, jouer sur un tapis et se débattre avant de couler) la cause efficiente du dramea été imputée à une absence de transmission d’information sur les modalités de surveillance de la séance. Les éducateurs présents ont en effet crus, à tort, que la surveillance était assurée par les MNS de l’établissement présents ce jour là, alors que la convention de location des bassins mettait la surveillance des handicapés à leur charge. La condamnation des trois associations co-organisatrices de la sortie fut, comme c’est le cas dans la présente espèce, la sanction d’une défaillance structurelle plutôt que le châtiment de l’impéritie des personnels en charge de la surveillance.
4-Le deuxième motif d’absence de poursuites pénales à l’encontre du directeur de l’établissement tient – et c’est un point capital – à l’exigence de faute qualifiée pour la mise en jeu de la responsabilité des personnes physiques ayant la qualité d’auteurs indirects de l’infraction. En effet, la Cour de cassation considère que cette condition ne s’applique pas aux personnes morales qui peuvent être condamnées pour une faute ordinaire de leurs organes ou représentants[2]. Il peut donc y avoir, pour les mêmes faits, condamnation de la personne morale et relaxe de son représentant, s’il est jugé que la faute commise par ce dernier n’est pas qualifiée. On comprend donc que les parquets choisissent uniquement pour cible la personne morale chaque fois que la responsabilité personnelle de ses représentants ne peut pas être engagée.
5-La décision du parquet de ne poursuivre que la régie exploitant l’établissement[3] est donc sans surprise. La faute reprochée au directeur ne correspond pas à la faute qualifiée que doit commettre la personne physique ayant la qualité d’auteur indirect d’un homicide involontaire[4], au sens de l’article 121-3 du Code pénal. On rappelle qu’il doit s’agir tantôt d’une faute délibérée, c’est-à-dire la violation en pleine connaissance de cause d’une obligation particulière de sécurité prévue par une loi ou un règlement ; tantôt d’une faute caractérisée et exposant autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur des faits ne pouvait ignorer. En l’occurrence, la faute du directeur ne présente aucun de ces caractères.
6-Elle n’est pas délibérée, car il n’a enfreint aucune loi ni règlement. Sans doute sa note interne est-elle en contradiction avec les dispositions du POSS, mais ce document a seulement valeur de règlement intérieur. Les tribunaux ne prennent en considération que les décrets et arrêtés pour l’appréciation de la faute délibérée. Par ailleurs en admettant même qu’il s’agisse d’un règlement (ce qui serait le cas si cette note avait été prise par arrêté) il resterait à établir que sa violation a été commise délibérément c’est à dire avec la ferme intention d’enfreindre le POSS, ce qui apparaît peu vraisemblable si on considère que la note litigieuse a été dictée par le souci de sa bonne application.
7- La validation malencontreuse de cette note ne présente pas plus les caractères de la faute caractérisée. Il ne s’agit ni d’un manquement à une obligation professionnelle essentielle ni d’une addition de comportements fautifs comme le requiert l’interprétation que les tribunaux font de ce concept de faute. De surcroît, rien ne permet raisonnablement de penser que le directeur a joint ce document à sa note de service en sachant qu’il mettait en danger les usagers ou tout au moins en ne pouvant l’ignorer alors que c’est précisément le souci de leur protection qui lui a inspiré sa note de rappel des prescriptions du POSS. Au pire, on pourra lui reprocher de l’avoir validée hâtivement sans l’avoir relue avec attention, de sorte qu’il n’a pas pris la mesure de la confusion qu’elle allait entretenir dans l’esprit des MNS. Il y a bien de sa part une faute professionnelle par manque de vigilance mais il faut la ranger dans la catégorie des fautes ordinaires insusceptibles d’engager la responsabilité des auteurs indirects d’un délit d’imprudence. En réplique, on pourra toujours objecter un manque de contrôle de sa part puisqu’il ne s’est pas assuré que ses personnels appliquaient bien les dispositions du POSS, de sorte que cette défaillance venant s’ajouter à la validation imprudente de l’annexe à la note, on trouve l’addition de fautes révélatrices d’une faute caractérisée. Mais la question n’a pas été débattue dès lors que les poursuites se sont exercées exclusivement contre la régie.
8-On peut aussi s’interroger sur l’absence de poursuites pénales à l’encontre de la mère. En effet, son comportement n’est pas exempt de reproche, comme l’atteste la part de responsabilité mise à sa charge sur le terrain des réparations civiles (voir infra). Elle a commis d’abord l’imprudence de retirer à l’enfant son gilet de sauvetage avant de regagner les vestiaires. Ensuite, elle l’a laissé entre les mains de son neveu de 10 ans et de son jeune fils de 7 ans, n’ayant manifestement pas l’autorité suffisante pour prendre en charge la surveillance d’un bambin. Imprudence d’autant plus grave qu’elle aboutissait à enfreindre le règlement intérieur précisant que les enfants de moins de 8 ans doivent être obligatoirement accompagnés par un adulte. Enfin au lieu d’alerter immédiatement les MNS dès qu’elle avait constaté la disparition de l’enfant, elle est allée le chercher du côté des douches, du vestiaire et finalement du côté des bassins. Erreur lourde de conséquence car les 5 minutes qui se sont écoulées à rechercher la victime ont pu lui être fatales, mais bévue somme toute classique de la part des adultes ne voulant pas croire au pire. Cette conjonction de fautes aurait pu être considérée comme une faute caractérisée de sa part. Le parquet a sans doute estimé que l’inconscience de cette mère était suffisamment punie par la perte de son fils et qu’il n’était pas nécessaire d’y ajouter une condamnation pénale.
9-Les poursuites ont donc été uniquement exercées contre la société exploitant l’établissement sur le fondement de l’article 121-2 du Code pénal. Rappelons que ce texte permet d’entrer en voie de condamnation contre les personnes morales « pour les infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants ». C’est l’application de la théorie de la représentation qui paraît aller de soi dès lors que la personne morale est un être désincarné ne pouvant agir que par l’intermédiaire de ses représentants. En l’occurrence, les conditions de mise en jeu de la responsabilité de la régie exploitant l’établissement étaient assurément réunies. Son directeur avait bien la qualité de représentant puisqu’il avait été assigné comme représentant légal de sa société. Il avait validé la note litigieuse dont il est établi – et c’est un préalable nécessaire – qu’elle a été l’élément déterminant du dommage. Le tribunal retient, à cet égard que « le lien avec la mort de l’enfant est indirect mais certain ». Lien de causalité indirect car la note n’est pas la cause immédiate du dommage mais en a crée les conditions puisque la lecture qu’en ont fait les MNS le jour du drame les a amenés à cesser la surveillance des bassins alors que la zone où ils se trouvaient était en cours d’évacuation. Lien de causalité certain car s’ils avaient appliqué à la lettre les dispositions du POSS et étaient restés en surveillance, ils auraient pu intervenir rapidement évitant que l’enfant ne fasse un séjour anormalement long -et donc mortel- dans le bassin où il a été retrouvé. Enfin, le directeur agissait bien « pour le compte » de la régie et non dans un intérêt personnel comme cela aurait été le cas s’il s’était rendu coupable d’abus de confiance.
10-La condamnation pénale de la régie s’accompagne, comme c’est l’habitude – les victimes se constituant partie civile – d’une condamnation au civil à des dommages et intérêts. Il s’agit cette fois-ci non plus de réprimer – ce qui a été fait avec la condamnation à une amende pénale – mais de réparer le dommage moral – en l’occurrence préjudice d’affection – causé à la famille de la malheureuse victime. A cet égard, la régie demandait le bénéfice d’une exonération partielle de responsabilité au motif qu’une part du drame était imputable au manque de surveillance de la mère et à la tardivité de l’alerte de sa part. C’est l’occasion de rappeler que s’il n’y a pas de partage de responsabilité en matière pénale (l’exonération de responsabilité n’existe que si la faute de la victime est la cause exclusive de son dommage), en revanche, il est parfaitement admis sur le terrain des réparations civiles. En l’occurrence le tribunal l’a évalué à 30% ce qui paraît raisonnable si on admet que l’absence de surveillance a été de courte durée et qu’elle a été motivée en partie par la pression qu’exerçaient les MNS pour faire évacuer les lieux.
11-La mort par noyade d’un enfant est toujours tragique. On ne dira jamais assez la nécessité de redoubler de vigilance en leur présence. Les professionnels le savent par expérience et pourtant ils se sont fait prendre au piège ! Quant aux parents, ils considèrent trop souvent, à tort, que la surveillance des bassins est l’unique affaire des MNS. On ne saurait donc trop recommander aux exploitants de rappeler aux familles la nécessité impérieuse de garder en permanence un contact étroit avec leurs enfants en bas âge.
Jean-Pierre VIAL, Inspecteur honoraire Jeunesse et Sport, Docteur en droit
En savoir plus :
Tribunal Correctionnel d’ Angers, 6 octobre 2017
Formation Atelier – Débat ISBL CONSULTANTS le lundi 11 juin 2018 à LYON intitulée : Responsabilités des organisateurs d’activités sportives , animée par Jean-Pierre VIAL