Décidément, la délimitation des responsabilités contractuelles et délictuelles n’a pas fini de faire couler de l’encre! Le sociétaire d’une société de chasse organisatrice d’un ball trap l’assigne sur le fondement de la responsabilité du fait des choses après avoir été blessé par le disfonctionnement du lanceur sur lequel il était intervenu sans que lui soit opposée la règle du non-cumul des responsabilités. L’arrêt de la cour d’appel d’Amiens du 29 octobre 2013 entérine ce fondement sans requalifier la demande. Pourtant les règles de la responsabilité contractuelle auraient dû s’appliquer pour la double raison que la victime participait à cette manifestation à la fois comme tireur et collaborateur bénévole.

1-Alors qu’il participait au ball trap annuel d’une société de chasse, un tireur voulant aider le préposé chargé d’actionner le lanceur, à la suite d’une panne de l’engin prêté par une société de chasse, est blessé au niveau de l’œil droit par un éclat du plateau d’argile propulsé par le lanceur. Il actionne l’association organisatrice sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 du code civil au motif que le lanceur se trouvait sous la garde de la société de chasse, organisatrice du ball trap annuel et que la défaillance de l’engin avait été établie par un rapport d’expertise technique.

 

2-Le débat aurait dû normalement s’engager sur le terrain de la responsabilité contractuelle et sur le fondement de l’article 1147 du code civil. En effet, la victime participait à la manifestation comme tireur. Il y avait bien un contrat puisque la société de chasse avait proposé à ses sociétaires son ball trap annuel et ceux-ci, en retour, avaient accepté d’y participer. Comme tout organisateur d’une manifestation sportive, elle était tenue d’assurer la sécurité des participants.  La cour d’appel fait d’ailleurs explicitement allusion à cette obligation de sécurité pour constater que l’organisateur ne l’a manifestement pas exécutée et qu’il faut y voir l’origine de l’accident. Il est donc surprenant que l’arrêt n’ait pas relevé l’atteinte à la règle du non-cumul et n’ait pas requalifié le fondement de la demande ou débouté le demandeur.

 

3-En supposant que l’action ait été engagée en application de l’article 1147 du code civil, la victime aurait dû subir la charge de la preuve. Mais elle n’aurait pas eu grande difficulté à établir l’existence d’une faute de la société de chasse. La cour d’appel s’est employée à dresser l’inventaire de ses manquements.  Les lanceurs n’étaient pas équipés de lunettes. Aucune consigne de prudence ne leur avait été donnée, notamment l’interdiction de déplacer et d’actionner la télécommande de l’appareil de lancement dans sa zone de chargement. Enfin, la société de chasse est intervenue tardivement pour remettre l’engin en état, alors que la panne était d’autant plus dangereuse que, contrairement aux recommandations du constructeur l’appareil ne se trouvait pas protégé à l’intérieur d’une cabane, mais placé en plein air à proximité des tireurs.

 

4-La victime aurait également pu faire valoir sa qualité de collaborateur bénévole, puisqu’elle se trouvait dans cette position au moment de l’accident. Si ce statut ne permet pas de bénéficier de la législation sur les accidents du travail et que le collaborateur accidenté ne peut obtenir réparation qu’en application des règles du droit commun, la Cour de cassation a admis l’existence à son profit « d’une convention d’assistance ». Celle-ci  implique « pour l’assisté l’obligation de réparer les conséquences des dommages corporels subis par celui auquel il a fait appel »[1]. L’assisté s’engage donc, même tacitement, à indemniser  automatiquement son collaborateur en cas d’accident, indépendamment de toute faute de sa part[2]. C’est donc une responsabilité de plein droit qui dispense la victime d’établir une faute de l’organisateur. Elle est subordonnée à deux conditions : l’accord de l’assisté et l’absence de faute de l’assistant.

 

5-Il ne peut y avoir de convention si l’assistant a agi de sa propre initiative[3]. En l’occurrence, il faut admettre que la demande d’assistance était tacite puisque selon les déclarations du trésorier en charge de l’organisation pratique de la manifestation  « il n’y avait pas vraiment quelqu’un de désigné, tout le monde est bénévole et c’était un peu chacun son tour ». De surcroît, le jour de l’accident, la victime était membre de l’organisation et avait la responsabilité d’un lanceur de plateaux.

 

6-L’assistant ne peut prétendre au bénéfice d’une responsabilité sans faute, s’il n’est pas lui-même irréprochable[4].  En l’occurrence, la cour d’appel, comme il vient d’être dit, l’a lavé de toutes les fautes que le tribunal avait retenues contre lui. Dans ces conditions rien ne s’opposait à ce qu’il puisse être indemnisé en qualité de collaborateur bénévole.

 

7-En  actionnant la société de chasse en qualité de gardien de l’engin, la victime  faisait l’économie de la preuve d’une faute mais prenait le risque que  lui soit opposée l’exception du non-cumul des responsabilités. Toutefois, l’intimé ayant tacitement admis que le débat s’engage sur le terrain de la responsabilité délictuelle et les juges n’y ayant pas vu d’objection, la victime n’avait guère qu’à établir que la société de chasse était gardienne du lanceur et que celui-ci avait été l’instrument du dommage.

 

8-La garde du lanceur débattue à l’occasion de l’action en garantie formée par cette société contre son propriétaire n’a pas été évoquée dans le litige l’opposant à la victime. De même, l’intimé n’a pas contesté l’existence du lien de causalité entre l’action de l’engin et le dommage alors même que la victime blessée par un éclat du plateau d’argile n’avait pas été en contact avec le lanceur. Il est vrai qu’un tel contact n’est pas nécessaire pour qu’il soit conclu au rôle actif de la chose dès lors qu’il est matériellement établi que celle-ci a été l’instrument du dommage. Ainsi, la Cour de cassation a admis que la raquette avec laquelle une balle de tennis avait été projetée dans l’œil d’un joueur était bien l’instrument de la blessure qu’il avait subie[5]. C’est également le cas en l’espèce où il est acquis que l’éclat du plateau d’argile a bien été propulsé par l’engin.

 

9-Les premiers juges avaient conclu à un partage de responsabilité considérant qu’une part du dommage était imputable à l’imprudence de la victime. La cour d’appel estime au contraire que son comportement est la conséquence directe des manquements de l’organisateur.

 

10- L’intimé avait appelé en garantie le propriétaire de l’engin. Il prétendait  que la garde du lanceur ne lui avait pas été transférée.  S’inspirant  de  la jurisprudence qui opère une distinction entre la garde de la structure et la garde du comportement, il faisait valoir que la société de chasse ne lui avait pas pleinement transféré la garde de l’engin, en raison d’un vice interne de l’appareil[6].  Mais fallait-il encore établir que la défectuosité de l’engin fut antérieure à sa remise. Or la cour d’appel relève « qu’aucun élément matériel ne permet de retenir qu’à l’époque du prêt, le lanceur présentait un défaut d’entretien, ni qu’il avait déjà subi les modifications qualifiées par l’expert comme non conformes et pouvant en rendre l’utilisation dangereuse ».

 

11-L’intimé soutenait également que la société de chasse avait méconnu les dispositions de l’article 1891 du code civil selon lesquelles le prêteur est responsable de ne pas avoir averti l’emprunteur s’il connaissait les défauts de la chose prêtée tels qu’elle puisse causer préjudice. A cet égard, il faisait valoir que la simple remise d’un ressort de rechange ne pouvait s’apparenter à une information du prêteur sur la défectuosité de l’appareil et qu’il s’agissait de la simple délivrance d’un accessoire de la chose prêtée. Le moyen tombe à plat dès lors que, selon le rapport d’expertise, la  rupture du ressort du doigt de positionnement peut seule être retenue comme ayant eu un lien direct et certain avec l’accident. De surcroît, ce dysfonctionnement était connu de la société de chasse emprunteuse de l’appareil puisqu’elle était intervenue après l’accident pour remplacer le ressort défectueux. Dans ces conditions, le recours en garantie n’avait aucune chance d’aboutir.

 

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports

 

En savoir plus : 

 

CA_AMIENS_29_OCT_2013

Jean-Pierre Vial





Notes:

[1]Civ. 2, 23 mai 1962, Gaz. Pal. 1962, 2, p. 210. RTD civ. 1971, p. 165, note G. Durry. Les juges du fond se voient même contraints par la Cour suprême de rechercher si une convention d’assistance est intervenue avec l’assisté lorsque la victime a formé une demande sur le terrain délictuel. Civ. 1, 16 déc. 1997, Bull. civ. I, n° 376, p. 254. D. 1998, jurispr. p. 580, note M. Viala.

[2] Civ. 1, 27 janv. 1993. Bull. civ. I, n° 42 p. 28. Gaz. Pal. 1993, n° 268, p. 19, note F. Chabas.

[3] Ainsi, la demande d’indemnisation d’un bûcheron blessé à l’œil alors qu’il agissait à la demande d’un membre du club gestionnaire d’un stade, pour l’abattage d’arbres, a été rejetée au motif que les dirigeants du club n’avaient pas été consultés sur ce projet d’abattage. Civ. 2, 12 déc. 1994, pourvoi n° 91-17149.

[4] « Toute faute de l’assistant, quelle que soit sa nature, peut décharger l’assisté de cette obligation, dans la mesure où elle a concouru à la réalisation du dommage » ; Civ. 1, 13 janv. 1998, Bull. civ. I, n° 15. D. 1970,  jurispr. p. 422, note M. Puech. Civ. 1, 13 juin 2006, pourvoi  n° 04-19344.

[5] Civ 2, 28 mars 2002, n° de pourvoi: 00-10628.

[6] En ce sens, Civ. 2, 23 septembre 2004, pourvoi n° 03-10672 cité par la société de chasse.

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