La loi du 5 juillet 1985, dont le domaine habituel est celui des accidents de la circulation sur la voie publique, est  cette fois-ci invoquée  dans une situation inédite où une voiturette de golf est entrée en collision avec sa conductrice qui s’en était éjectée. Une telle action n’avait guère de chance d’aboutir dès lors que la victime cumulait les qualités de conductrice et de gardienne de l’engin comme l’atteste l’arrêt de la cour d’appel de Caen du 8 juillet 2014 en application d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation.

1-Les coups de canne au visage sur un practice où la projection de balle dans l’œil d’un joueur forment le lot habituel des accidents sur les terrains de golf. La collision entre un golfeur et sa voiturette est peu banale. En l’occurrence, la conductrice de l’engin, qui disputait une compétition avait sauté en marche alors que son engin prenait de la vitesse dans une descente. Elle était alors tombée sur le dos et avait été heurtée par la voiturette qui finissait sa course.

2-Le parti qu’elle avait pris d’assigner en responsabilité la société exploitant le golf sur le fondement de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 qui a vocation à indemniser les victimes d’accident de la circulation n’était pas sans aléa au regard des conditions d’application de ce texte. Sans doute, l’exigence d’un accident provoqué par un engin terrestre à moteur ne faisait pas difficulté puisqu’une voiturette de golf se déplace et est équipé d’un moteur électrique, et n’était d’ailleurs contestée par aucune des parties. En revanche, celles-ci étaient, cette fois-ci, en désaccord sur la qualification d’accident de la circulation.  L’exploitant et son assureur prétendaient que le golf n’était pas un lieu ouvert à la circulation de sorte que la loi de 1985 n’avait pas vocation à s’appliquer. Mais ce moyen n’avait guère de chance d’être retenu. La cour d’appel rappelle, en effet, « que la notion de circulation inclut tout usage d’un véhicule à l’intérieur d’une propriété privée ou sur une voie publique ». En ce sens, elle ne fait qu’exprimer la jurisprudence dominante qui en a une conception extensive de cette notion. Elle admet, en effet,  que tout accident impliquant un véhicule en mouvement peut être qualifié d’accident de la circulation quel que soit le lieu où l’engin se déplace et notamment en dehors des voies ouvertes à la circulation automobile qu’il s’agisse d’un lieu public comme une piste de ski [1] ou d’un lieu privé comme  un champ[2].

3-L’accident de la circulation ne se limite pas aux seules collisions. Il s’applique aussi à ceux dans lesquels est impliqué un seul véhicule automobile lorsque la victime a la qualité de conducteur mais sans être gardienne de l’engin. La 2ème chambre civile de la Cour de cassation considère, en effet, depuis son arrêt du 2 juillet 1997[3] que le conducteur peut prétendre, dans ce cas, à l’indemnisation de son dommage à condition de ne pas  commettre de faute qui aurait contribué à sa réalisation. C’était la ligne de défense adoptée par la victime qui soutenait qu’elle n’avait pas la qualité de gardien du véhicule. Elle n’avait d’ailleurs pas d’autre alternative car il a été décidé très tôt que lorsque la victime est à la fois conducteur et gardien du véhicule, elle ne pouvait se prévaloir de la loi du 3 juillet 1985 pour tenter d’obtenir de l’assureur du véhicule une indemnisation[4]. En effet, la loi ne s’applique que si le débiteur est un tiers par rapport à la victime. Le demandeur ne peut être à la fois le débiteur de l’indemnité due et la victime ce que soutenait l’exploitant pour qui les deux qualités de conducteur et de gardien de l’engin étaient réunies sur la même tête.

4-La garde du véhicule se trouvait donc au cœur du débat : la loi de 1985 ne pouvait s’appliquer s’il était établi que la golfeuse était gardienne du véhicule au sens de l’article 1384 alinéa 1 du code civil.

5-Il est admis par principe que le propriétaire d’une chose en a la garde. Mais il ne s’agit que d’une présomption qui peut être combattue par la preuve d’un transfert de garde. En effet, depuis l’arrêt Franck, qui a substitué la garde matérielle à la garde juridique, le gardien est celui qui a l’usage, la direction et le contrôle de la chose. S’il en perd l’usage et le contrôle dans le cas de vol ou par transmission de la chose à un tiers à titre gratuit (prêt) ou onéreux (location) la garde de la chose passe alors à celui qui la détient. Ainsi, des engins ou véhicules loués passent sous la garde du locataire[5].

6-Toutefois, le fait de remettre momentanément une chose à un tiers ne lui en transmet pas automatiquement la garde. La jurisprudence considère que ce transfert ne se réalise qu’autant que le détenteur a acquis des pouvoirs suffisants sur la chose, ce qui n’est pas le cas si le propriétaire n’a pas abdiqué tout pouvoir de contrôle sur celle-ci. Il en est ainsi lorsqu’il a confié la conduite du véhicule à un tiers tout en demeurant à ses côtés pendant le trajet[6]. Lorsque la conduite du véhicule a été confiée à la victime, la Cour de cassation a d’abord admis qu’elle puisse invoquer la loi de 1985 contre le propriétaire à condition de prouver la faute de ce dernier ce qui aboutissait à réintroduire une responsabilité pour faute que le législateur avait voulu précisément écarter[7]. Elle a, ensuite, abandonné cette condition avec pour seule réserve que la faute de la victime réduirait son indemnisation[8]. Toutefois, la solution demeure incertaine lorsque le propriétaire ne se trouvait pas dans le véhicule au moment de l’accident comme c’était le cas en l’occurrence. Trois critères semblent alors inspirer la jurisprudence de la Cour de cassation.

7-Le premier est celui la durée de la transmission. Le propriétaire conserve la maitrise du véhicule si celui-ci n’est remis que pour une brève durée et dans un but précis comme le prêt d’un tracteur « à titre gratuit, pour une durée limitée et dans un but précis[9]»  ou d’un véhicule prêté par un garagiste et confié temporairement par son emprunteur à un ami pour un trajet déterminé[10]. Mais la notion de durée est laissée à l’appréciation du juge d’où une jurisprudence qui ne brille pas par sa cohérence[11] et n’est pas exempte de contradiction puisque la Cour de cassation a admis que les clients d’un magasin sont gardiens des chariots de transport de marchandises qu’il met à leur disposition alors qu’ils ne les utilisent que le temps de leur approvisionnement[12]. La cour de Caen contourne la difficulté en observant que même si l’appelante « n’avait l’usage de la voiturette que pour le temps nécessaire à l’accomplissement de son parcours de golf », les autres éléments constitutifs de la garde étaient réunis.

8-Un second critère porte sur l’intérêt que le propriétaire peut avoir à la détention de la chose lorsqu’un tiers a agi « dans le seul but de rendre service » et « non dans un intérêt personnel ». Ainsi, le propriétaire d’un cheval en pension demeure gardien de l’animal qui a blessé d’un coup de sabot celui qui en son absence a pris l’initiative de soigner et longer le cheval[13]. Critère inapplicable en l’occurrence car la victime n’était pas préposé de l’exploitant et agissait pour son propre compte en qualité de compétitrice.

9-Le troisième critère concerne l’itinéraire dont le propriétaire du moyen de transport se réserve le choix. La Cour de cassation a d’abord reproché à une cour d’appel d’avoir considéré qu’un enfant en colonie de vacances avait la garde du vélo qui lui avait été remis pour effectuer une randonnée alors que celle-ci avait été organisée par la colonie sur un itinéraire qu’elle avait elle-même fixée[14]. Puis elle est revenue sur cette jurisprudence en décidant que la garde d’un quad loué avait été transférée à son locataire qui pilotait l’engin sans la présence du propriétaire à bord bien que le préposé du loueur ait fait le choix du circuit et accompagné l’excursion[15]. En considérant que la victime seule conductrice à bord pilotait l’engin « de façon indépendante et en toute autonomie sur la totalité du parcours » la cour de Caen s’inscrit dans le droit fil de cette jurisprudence.

10- Privée du  bénéfice de la loi de 1985 puisqu’il était acquis qu’elle était gardienne de la voiturette, la golfeuse avait encore la possibilité d’agir sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1. Toutefois, il lui fallait établir que l’exploitant avait conservé la garde de la structure de la voiturette. On rappellera pour mémoire que la Cour de cassation a admis  une division de la garde, consacrée dans l’affaire de l’Oxygène liquide[16], entre celle de la structure de la chose et celle du comportement de son détenteur.  Dès lors, si le dommage résulte du comportement du détenteur de la chose c’est lui qui sera considéré comme responsable. En revanche, s’il a été provoqué par un vice affectant une chose intrinsèquement dangereuse comme une bouteille de gaz ou une boisson gazeuse c’est au propriétaire ou au fabricant (gardien de la structure) d’en répondre. Une voiturette de golf ne devrait pas être concernée par cette jurisprudence car elle n’est pas réputée pour être « intrinsèquement dangereuse ». Toutefois, les tribunaux ont appliqué la garde divisée pour des choses qui ne l’étaient pas.

11-La garde divisée ne peut s’appliquer qu’aux choses dont le détenteur n’a pas la maitrise interne de sorte qu’il ne peut être tenu responsable des dommages imputables à leur défectuosité comme c’est le cas de l’éclatement d’un pneumatique[17].  En revanche, si l’accident est dû à un maniement défectueux de celle-ci, le gardien du comportement est alors le seul responsable. En l’occurrence, la collision  paraît bien avoir eu pour origine  la victime, elle-même,  qui  s’est éjectée du véhicule avant que celui-ci ne la percute. Pour imputer l’accident à l’exploitant, gardien de la structure, il aurait fallu établir que l’accélération de l’engin était anormale ou tout au moins que sa conductrice n’avait pas été en mesure de réguler sa vitesse. Or, il n’a pas été démontré que la voiturette était affecté d’un vice interne ou d’un dysfonctionnement, ce qui ferme définitivement la voie de l’article 1384 alinéa 1.

12-En dernier recours, la victime prétendait, sur le fondement de la responsabilité pour faute, cette fois-ci, que l’exploitant lui aurait procuré un véhicule inadapté à un terrain non balisé et qu’il aurait négligé de lui donner des consignes particulières pour la conduite de la voiturette. Mais, là encore, le moyen est écarté, les juges estimant que la victime n’établissait pas la preuve de ces prétentions.

Jean-Pierre VIAL, Inspecteur Jeunesse et Sports
 
 
En savoir plus :
Cour d’Appel de Caen, 8 juillet 2014
Jean-Pierre VIAL, « Le risque pénal dans le sport », coll. « Lamy Axe Droit », novembre 2012

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Jean-Pierre Vial



Documents joints:

CA Caen 8 juillet 2014



Notes:

[1] Skieur blessé par un engin de damage. CA Grenoble, 9 févr. 1987, D. 1987.245, note F. Chabas
[2] Tracteur : Cass. 2e civ. 5 mars 1986 n° 84-17728; 17 déc. 1997, n°96-12850. Bull. civ. II, no 314, Resp. civ. et assur. 1998, comm. 86 ; moissonneuse-batteuse : 10 mai 1991, n° 90-11377. Bull. civ. II, no 137, D. 1992, somm. 207, obs. Couvrat et Massé
[3] Cass. 2e civ. 2 juill. 1997, n° 96-10298. Bull. civ. II, no 209, D. 1997.448, note H. Groutel , D. 1998, somm. 203, obs. Mazeaud , Dr. et patrimoine, nov. 1997, p. 68, obs. F. Chabas, RTD civ. 1997.959, obs. Jourdain
[4] Civ. 2e, 19 nov. 1986, n° 85-13760 Bull. civ. II, n° 166 ; Gaz. Pal. 1987.1.140, note F. Chabas
[5] Cass. 2e civ. 18 janv. 1989, n° 87-20259. Gaz. Pal. 1989.2, panor. 120, benne ; 7 févr. 1990, Bull. civ. II, no 25, bulldozer
[6] Cass. 2e civ. 3 oct. 1990, n° 89-16113. Bull. civ. II, no 174, p 89.
[7] Civ  2e, 19 janv. 1994, n°92-11293. Resp. civ. et assur. 1994, comm. 84 et chron. 7, par Groutel, RTD civ. 1994.625, obs. Jourdain. Civ 2 e  24 janv. 1996, Bull. civ. II, no 7. RTD civ. 1996.409, obs. Jourdain.
[8] Civ. 2e, 2 juill. 1997, n° 96-10298. Bull. civ. II n° 209 p. 123. RTD civ. 1997.959. D. 1997.448, note H. Groutel
[9] Civ. 2e, 14 janv. 1999, n° 97-13768. Resp. civ. et assur. 1999.comm.65. RTD civ. 1999.630, obs. Jourdain
[10] Civ. 2e, 8 nov. 1989, n° 87-10357. RTD Civ. 1990 p. 92, obs P Jourdain.
[11] Ainsi, le prêt d’un véhicule pour plusieurs heures, « non pour effectuer un modeste tour de quartier ou d’un simple pâté de maisons » transfère la garde de l’automobile à l’emprunteur 13. Paris, 2 juill. 2001, D. 2001, IR 2461
[12] Civ. 2e, 14 janv. 1999, n° 97-11527 Bull. civ. II, n° 13 p 8 ; Resp. civ. et assur. 1999.comm.94. Civ. 2e, 6 avr. 1987, n° 85-13278 Gaz. Pal. 1987.1.somm.158, obs. F. Chabas ; D. 1987.IR.113.
[13] Civ. 2e, 18 juin 1997,  n° 95-17891 ; Resp. civ. et assur. 1998.comm.293
[14] Civ. 2e, 5 mai 1978,  Bull. civ. II, no  121 p. 98. J.C.P. 1979. II. 19606, obs. F. Chabas
[15] Cass civ 2 , 10 nov. 2009, no 08-20273, Bull. civ. II, n° n° 262. Obs. JP Vial. LPA 25 juin 2010. n° 126, p. 17
[16] Cass. 2e civ. 5 janv. 1956, n°56-02126 56-02138.D. 1957.261, note R. Rodière, JCP 1956. II. 9095, note R. Savatier
[17] Civ. 2e, 24 janvier 1996, n°94-10923. Bull. civ. II, N° 7 p. 4 Resp. civ. et assur. 1996, comm. 91 et chron. 12, H. Groutel

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