TEXTE DE LA QUESTION orale sans débat n° 0312S, publiée dans le JO Sénat du 24/01/2013, p. 233.
M. Jacques Mézard (Cantal – RDSE) attire l’attention de Mme la ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative sur la décision de la Fédération internationale de football (FIFA) du 5 juillet 2012 autorisant le port du voile islamique par les joueuses de football en compétition officielle.
Il lui rappelle que cette décision est contraire à la loi n° 4 des règlements de la FIFA selon laquelle « l’équipement de base obligatoire ne doit présenter aucune inscription politique, religieuse ou personnelle ». Si la Fédération française de football a pris acte de cette décision, elle n’en a pas moins pris position en réitérant son refus d’autoriser les joueuses à porter le voile dans le cadre des sélections nationales françaises d’une part et des compétitions nationales qu’elle organise d’autre part, au nom du principe constitutionnel de laïcité.
Néanmoins, cette position laisse entrevoir que des joueuses étrangères prenant part en France à une compétition organisée par la FIFA pourraient porter le voile, ou tout autre signe religieux distinctif.
De façon plus générale, la décision de la FIFA est un signal lourd de sens à destination des acteurs du monde sportif, particulièrement amateur et scolaire, qui tentent de garder au sport sa dimension universelle et neutre sur le plan politique ou religieux. Il est à craindre que cette décision serve d’argument pour justifier des réclamations tendant à admettre le port de signes religieux dans d’autres disciplines, et dans des lieux déjà soumis à de fortes pressions communautaristes. Il est d’ailleurs inquiétant que M. Jacques Rogge, président du Comité international olympique, explique dans un entretien au quotidien L’Équipe du 24 juillet 2012 que le port du voile ou du turban ne présente aucune incompatibilité avec la charte olympique. Bien au contraire, il n’y voit que l’expression d’une conviction religieuse et estime qu’on ne saurait, de la même façon, reprocher à un athlète de porter une croix.
En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui indiquer comment le Gouvernement entend assurer la pleine application du principe de laïcité dans le sport professionnel et amateur.
TEXTE DE LA REPONSE du Ministère de l’intérieur publiée dans le JO Sénat du 20/02/2013, p. 1334.
M. Jacques Mézard. Ma question s’adressait à Mme la ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, mais je suis certain que M. le ministre de l’intérieur, avec sa polyvalence et sa compétence,…
M. Manuel Valls, ministre. Et son jeu de jambes ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. … saura parfaitement y répondre.
Le 5 juillet dernier, la Fédération internationale de football association, la FIFA, décidait d’autoriser le port du voile islamique par les joueuses de football en compétition officielle.
Cette décision, très contestée, est contraire aux règlements de la FIFA, selon lesquels « l’équipement de base obligatoire ne doit présenter aucune inscription politique, religieuse ou personnelle ». Si la Fédération française de football a pris acte de cette décision, elle n’en a pas moins pris position en réitérant son refus d’autoriser les joueuses à porter le voile dans le cadre des sélections nationales françaises, d’une part, et des compétitions nationales qu’elle organise, d’autre part, au nom du principe constitutionnel de laïcité, auquel vous savez, monsieur le ministre, que les radicaux sont fondamentalement et viscéralement attachés.
Néanmoins, cette décision laisse ouverte la possibilité pour des joueuses étrangères prenant part en France à une compétition organisée par la FIFA de porter le voile ou tout autre signe religieux distinctif.
De façon plus générale, la décision de la FIFA est un signal lourd de sens envoyé aux acteurs du monde sportif, plus particulièrement aux acteurs du sport amateur et scolaire. Ces derniers, nous le savons pour le vivre au quotidien au sein des collectivités territoriales, tentent de sauvegarder la dimension universelle et neutre, sur le plan politique ou religieux, du sport.
Il est à craindre que cette décision serve d’argument pour justifier les réclamations tendant à admettre le port de signes religieux dans d’autres disciplines et dans des lieux déjà soumis à de fortes pressions communautaristes. Je prendrai comme exemple les centres aqua-ludiques, où les élus locaux sont souvent confrontés à des difficultés de ce type. Il est d’ailleurs inquiétant que M. Jacques Rogge, président du Comité international olympique, explique, dans un entretien au quotidien L’Équipe en date du 24 juillet 2012, que le port du voile ou du turban ne présente aucune incompatibilité avec la Charte olympique.
M. Jean-Michel Baylet. Et la laïcité, alors ?
M. Jacques Mézard. Bien au contraire, il n’y voit que l’expression d’une conviction religieuse et estime qu’on ne saurait, de la même façon, reprocher à un athlète de porter une croix.
Tout aussi préoccupante est la décision du 14 janvier dernier de la Fédération mondiale de karaté qui autorise le port du hijab en compétition officielle de karaté, précisant même qu’un seul modèle de voile serait approuvé. D’aucuns y voient aussi, monsieur le ministre, un moyen subtil d’obtenir le vote de certains États pour faire du karaté un sport olympique…
Au vu de ces éléments, je souhaiterais que vous nous indiquiez comment le Gouvernement entend assurer la pleine application du principe de laïcité dans le sport professionnel et amateur.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, ma collègue Valérie Fourneyron vous prie de bien vouloir excuser son absence. C’est avec beaucoup de plaisir que je vais moi-même répondre à votre question, car je connais vos convictions. Sachez que, ces convictions, nous les partageons.
La décision prise l’été dernier par la FIFA est un important – et inquiétant ! – changement de doctrine. Depuis, cette association a décidé qu’une période de test serait ouverte, jusqu’en mars 2014, pour permettre aux joueuses voilées de participer aux compétitions internationales, alors qu’elles en étaient jusqu’à présent exclues.
Cette décision heurte la conception française de la neutralité dans la pratique sportive, qui implique non seulement l’absence de discrimination, mais aussi la discrétion et l’impossibilité d’arborer des signes politiques ou religieux sur un terrain de sport.
Cette conception, qui correspond aussi à ma conviction personnelle, n’est pas seulement celle de la France. Elle puise son origine, me semble-t-il, dans des valeurs universelles, qui tendent à séparer l’État des religions et, surtout, à permettre aux femmes de s’émanciper. Il n’est pas question de les recouvrir d’un voile les différenciant du reste de l’humanité !
Le sport est précisément porteur de valeurs morales, d’humanité, de fraternité, d’intégration, de mixité. C’est ainsi qu’il restera un vecteur incontournable d’éducation à la citoyenneté et d’apprentissage du vivre-ensemble. C’est vrai aussi au niveau international.
J’étais tout à l’heure au comité interministériel des villes. Élu de la banlieue parisienne, je connais la chape de plomb, faite de machisme et de conservatisme, qui pèse sur certains quartiers, au détriment notamment des jeunes filles, qui peuvent s’émanciper d’abord par l’école, mais aussi par le sport.
Le Gouvernement a soutenu la décision de la Fédération française de football, qui, vous le savez, dispose d’une délégation de la part de l’État pour édicter les règles techniques propres à ce sport pour les compétitions nationales, de refuser aux joueuses le port du voile dans les compétitions nationales. Nous devons évidemment veiller à ce qu’une telle interdiction n’écarte pas certaines catégories de population de la pratique sportive, mais sans transiger sur nos convictions.
Il faut faire en sorte que les athlètes français restent un exemple pour notre jeunesse, en s’inscrivant pleinement dans les principes de la Charte olympique. Il ne peut pas y avoir de démonstration ou de propagande politique ou religieuse – pour ma part, je crois qu’il s’agit avant tout de propagande politique – sur un site sportif ou olympique.
Ce n’est pas un sujet facile. La laïcité, fruit de l’Histoire et garantie de paix et de concorde civile, crée des limites à l’expression d’une préférence religieuse. La loi les a clairement fixées pour les agents publics et pour les écoliers, collégiens et lycéens des établissements d’enseignement public. Mais il y a d’autres domaines où l’équilibre entre la liberté de croire et le principe de laïcité n’est pas clairement défini. La pratique sportive en est parfois un.
L’observatoire de la laïcité dont le président de la République a annoncé la mise en place le 9 décembre dernier pourra se saisir de ce sujet délicat et contribuer au débat important du champ d’application de la laïcité sur l’espace public.
Des lois importantes ont été adoptées ; je serai évidemment très vigilant quant à leur application.
Monsieur Mézard, je crois, comme vous, que la laïcité reste un combat profondément moderne, adapté à notre temps et porteur d’espoir partout où les femmes se battent pour leur dignité.
M. Jean-Michel Baylet. Très bonne réponse !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je n’en attendais d’ailleurs pas moins de vous, connaissant votre attachement personnel à ce qui constitue à nos yeux une valeur fondamentale de la République.
L’enjeu, c’est la liberté, au sens premier du terme. Il n’est donc pas possible de transiger. Nous savons trop bien l’utilisation qui serait faite de dérogations consenties dans telle fédération ou sur tel territoire…
L’État doit veiller au respect du principe de laïcité, qui est, vous l’avez souligné, l’outil
pour défendre la liberté dans notre pays et faire avancer la cause des femmes : voir des femmes revêtues d’un hijab sur un terrain de sport ou un tatami est une aberration et un véritable recul en termes de liberté et d’émancipation des femmes.
Mme Nathalie Goulet. Pas du tout !
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